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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
torse de celle-ci et le torse de la Vierge dans le tableau d’autel de
Brera, par Piero L
Une autre différence frappante entre la nouvelle acquisition du
Louvre et toutes les œuvres de Piero est le paysage. Piero ne sent pas
la poésie de l’espace telle que nous la trouvons ici, telle que nous
la trouvons plus profonde encore dans la fresque de l’Annunziata de
Florence. Le paysage de Piero n’est pas plus détaillé, mais il le paraît
davantage parce qu’il manque d’unité, parce que les formes en sont
plus petites et parce qu’il n’est pas en rapport avec les personnages.
Ses paysages, tels que celui de la Nativité ou ceux des Portraits du
duc et de la duchesse d’Urbin, sont délicieux assurément, mais ils
manquent de ce charme poétique et suggestif qui a permis aux fonds
de Baldovinetti de devenir des modèles non seulement pour Pol-
laiuolo et Verrocchio, mais même pour Léonard.
Arrivons maintenant aux détails et commençons par les traits
de la Madone. Les yeux ne sont pas aussi saillants que chez Piero, le
nez est plus délicat et plus aquilin, la bouche plus petite, les lèvres
sont plus minces. Tous ces traits, vous les trouverez presque sans
variantes dans n’importe quel tableau d’Alessio, surtout dans la
Madone de Mm0 André. Les mains sont toutes pareilles à celles de ce
tableau, toutes pareilles à celles de la Vierge des Oftices, et, si l’on
tient compte de la différence des gestes, toutes pareilles à ce que
sont partout et toujours les mains de Baldovinetti. Les mains de
Piero, même lorsque le geste est semblable, sont d’une toute autre
forme, moins plates, plus massives d'os et de chair ; les poignets
aussi sont plus puissants, comme on peut le voir d’un seul coup
d’œil en regardant les mains de la Vierge dans la Nativité de Londres
ou dans le tableau d'autel de Brera. Le fichu de la Madone ne se
trouve dans aucune œuvre de Piero, mais sa ressemblance avec le
fichu de la Madone de Mme André ou de la Vierge de L’Annonciation
de Baldovinetti à San Miniato est frappante. De même pour les plis,
qui, chez Piero, sont plus anguleux et plus compliqués, tandis qu’ici
ils ondulent ou forment de grandes cassures, comme chez Alessio,
surtout dans ses premiers tableaux1 2.
L’Enfant n’est pas encore le bambin d’une absurde sagesse de
1. Une tradition erronée attribuait cette grande œuvre à un peintre presque
mythique du nom de Fra Carnavale; mais aujourd'hui les meilleures autorités
l’ont rendu à Piero.
2. Particulièrement dans le Baptême et la Transfiguration de l’Académie de
Florence.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
torse de celle-ci et le torse de la Vierge dans le tableau d’autel de
Brera, par Piero L
Une autre différence frappante entre la nouvelle acquisition du
Louvre et toutes les œuvres de Piero est le paysage. Piero ne sent pas
la poésie de l’espace telle que nous la trouvons ici, telle que nous
la trouvons plus profonde encore dans la fresque de l’Annunziata de
Florence. Le paysage de Piero n’est pas plus détaillé, mais il le paraît
davantage parce qu’il manque d’unité, parce que les formes en sont
plus petites et parce qu’il n’est pas en rapport avec les personnages.
Ses paysages, tels que celui de la Nativité ou ceux des Portraits du
duc et de la duchesse d’Urbin, sont délicieux assurément, mais ils
manquent de ce charme poétique et suggestif qui a permis aux fonds
de Baldovinetti de devenir des modèles non seulement pour Pol-
laiuolo et Verrocchio, mais même pour Léonard.
Arrivons maintenant aux détails et commençons par les traits
de la Madone. Les yeux ne sont pas aussi saillants que chez Piero, le
nez est plus délicat et plus aquilin, la bouche plus petite, les lèvres
sont plus minces. Tous ces traits, vous les trouverez presque sans
variantes dans n’importe quel tableau d’Alessio, surtout dans la
Madone de Mm0 André. Les mains sont toutes pareilles à celles de ce
tableau, toutes pareilles à celles de la Vierge des Oftices, et, si l’on
tient compte de la différence des gestes, toutes pareilles à ce que
sont partout et toujours les mains de Baldovinetti. Les mains de
Piero, même lorsque le geste est semblable, sont d’une toute autre
forme, moins plates, plus massives d'os et de chair ; les poignets
aussi sont plus puissants, comme on peut le voir d’un seul coup
d’œil en regardant les mains de la Vierge dans la Nativité de Londres
ou dans le tableau d'autel de Brera. Le fichu de la Madone ne se
trouve dans aucune œuvre de Piero, mais sa ressemblance avec le
fichu de la Madone de Mme André ou de la Vierge de L’Annonciation
de Baldovinetti à San Miniato est frappante. De même pour les plis,
qui, chez Piero, sont plus anguleux et plus compliqués, tandis qu’ici
ils ondulent ou forment de grandes cassures, comme chez Alessio,
surtout dans ses premiers tableaux1 2.
L’Enfant n’est pas encore le bambin d’une absurde sagesse de
1. Une tradition erronée attribuait cette grande œuvre à un peintre presque
mythique du nom de Fra Carnavale; mais aujourd'hui les meilleures autorités
l’ont rendu à Piero.
2. Particulièrement dans le Baptême et la Transfiguration de l’Académie de
Florence.