LES SALONS DE 1898
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même temps que les combinaisons colorées, riches, fortes et déli-
cates, émeuvent vivement les facultés imaginatives du spectateur.
Cette dernière œuvre, plus complète, plus variée, sans excès,
venue après l'expérience heureuse des décorations de l'Hôtel de
ville, classe définitivement M. Henri Martin, même auprès des
esprits les plus réfractaires, comme un de ceux qui ont protesté
contre l’anémie de la peinture actuelle, contre les conventions scé-
niques du théâtre sur lesquelles nous vivons depuis si longtemps,
comme un de ceux qui ont su appeler la nature en collaboration
intime avec leur rêve et essayé de relever la peinture d’histoire si
démodée aujourd’hui.
Plus réservé, plus calme, plus songeur, fuyant le bruit par
tempérament, s’affirmait parallèlement, dès la même époque,
M. Aman Jean, qui s’intitulait élève de Hébert et de Puvis de Cha-
vannes. Nature du Nord opposée à la nature méridionale de M. Henri
Martin, cet artiste trouvait, de son côté, près de ses maîtres pré-
férés la douce chaleur qui convenait pour faire éclore délicatement
ses songes poétiques. Fréquentant volontiers, au début, le monde ima-
ginaire de la légende, de l’histoire ou delà fable, il s’est détaché peu
à peu de Saint Julien l’Hospitalier, de Sainte Geneviève, de Jeanne
d'Arc et des Muses pour évoluer dans un sens plus moderne et réa-
liser, avec les éléments empruntés à notre vie contemporaine, un
mode de décoration rêveuse et émue, d'un charme enveloppant et
persuasif, qui parlât en même temps aux yeux et à l’âme. Harmoniste
savant et raffiné, lui aussi, il se sert du langage expressif des tons
pour nous faire pénétrer dans l’intimité des modèles qui posent dans
ses portraits comme dans ses panneaux décoratifs — car il confond
volontiers les deux genres -— et dont il nous dévoile tout bas la
psychologie. C’est là ce qui nous attire cette année encore devant
ses portraits et ces décorations de la Confidence et de VAttente.
Entre ces deux artistes, allant de l’un à l’autre et penchant peut-
être davantage vers le dernier, se présente un petit groupe de son-
geurs peu bruyants, aimant la pénombre et le mystère : c’est
M. Laurent, dontlaJfw.se du bois rêve à l’ombre des pins que nous
connaissons, et dont le portrait de femme, surtout, moins inconsis-
tant, est conçu dans une harmonie très discrète, très délicate, de gris
et de mauves, relevés parles violets plus francs d’une gerbe d’iris, la
couverture jaune d’un livre, qui accompagne en sourdine le ton
très doux des chairs. De même, M. Ridel (Pensées d’automne), dont
les jeunes femmes songeuses s’épanouissent sur les gazons ras, au
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même temps que les combinaisons colorées, riches, fortes et déli-
cates, émeuvent vivement les facultés imaginatives du spectateur.
Cette dernière œuvre, plus complète, plus variée, sans excès,
venue après l'expérience heureuse des décorations de l'Hôtel de
ville, classe définitivement M. Henri Martin, même auprès des
esprits les plus réfractaires, comme un de ceux qui ont protesté
contre l’anémie de la peinture actuelle, contre les conventions scé-
niques du théâtre sur lesquelles nous vivons depuis si longtemps,
comme un de ceux qui ont su appeler la nature en collaboration
intime avec leur rêve et essayé de relever la peinture d’histoire si
démodée aujourd’hui.
Plus réservé, plus calme, plus songeur, fuyant le bruit par
tempérament, s’affirmait parallèlement, dès la même époque,
M. Aman Jean, qui s’intitulait élève de Hébert et de Puvis de Cha-
vannes. Nature du Nord opposée à la nature méridionale de M. Henri
Martin, cet artiste trouvait, de son côté, près de ses maîtres pré-
férés la douce chaleur qui convenait pour faire éclore délicatement
ses songes poétiques. Fréquentant volontiers, au début, le monde ima-
ginaire de la légende, de l’histoire ou delà fable, il s’est détaché peu
à peu de Saint Julien l’Hospitalier, de Sainte Geneviève, de Jeanne
d'Arc et des Muses pour évoluer dans un sens plus moderne et réa-
liser, avec les éléments empruntés à notre vie contemporaine, un
mode de décoration rêveuse et émue, d'un charme enveloppant et
persuasif, qui parlât en même temps aux yeux et à l’âme. Harmoniste
savant et raffiné, lui aussi, il se sert du langage expressif des tons
pour nous faire pénétrer dans l’intimité des modèles qui posent dans
ses portraits comme dans ses panneaux décoratifs — car il confond
volontiers les deux genres -— et dont il nous dévoile tout bas la
psychologie. C’est là ce qui nous attire cette année encore devant
ses portraits et ces décorations de la Confidence et de VAttente.
Entre ces deux artistes, allant de l’un à l’autre et penchant peut-
être davantage vers le dernier, se présente un petit groupe de son-
geurs peu bruyants, aimant la pénombre et le mystère : c’est
M. Laurent, dontlaJfw.se du bois rêve à l’ombre des pins que nous
connaissons, et dont le portrait de femme, surtout, moins inconsis-
tant, est conçu dans une harmonie très discrète, très délicate, de gris
et de mauves, relevés parles violets plus francs d’une gerbe d’iris, la
couverture jaune d’un livre, qui accompagne en sourdine le ton
très doux des chairs. De même, M. Ridel (Pensées d’automne), dont
les jeunes femmes songeuses s’épanouissent sur les gazons ras, au