Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 20.1898

DOI issue:
Nr. 2
DOI article:
Bénédite, Léonce: Les salons de 1898, [4]
DOI Page / Citation link:
https://doi.org/10.11588/diglit.24684#0162

DWork-Logo
Overview
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
GAZETTE DES REAUX-ARTS

142

toute cette humanité douloureuse, qui remue dans l’œuvre de M. Ro-
din et qui semble échappée aux Portes de l'Enfer autour desquelles
a évolué sa vie d’artiste, ce monde fatal noyé dans je ne sais quelle
ivresse de volupté poignante et triste, ces corps qui s’enlacent, ces
membres qui s’étreignent, toutes ces créations que M. Rodin semble
avoir puisées dans la Divine Comédie en compagnie de Baudelaire,
n’ont que peu à peu et difficilement été comprises et acceptées. On
sentait d’ailleurs en lui, en dehors même du sujet qui pouvait trou-
bler, un véritable révolutionnaire comme artiste. C’est bien là, on
effet, son rôle, et si trop souvent ■— comme le Salon de cette année
nous en fournit plus d'un exemple — il a entraîné dans les excès de
la manière de jeunes artistes qui l’ont mal compris, beaucoup d’autres
auraient pu profiter des excellents conseils qu’un peu d’examen
attentif leur eût fait tirer de ses œuvres. Révolutionnaire, en ciïet,
l’homme qui, le premier, a souffert d’une façon plus aiguë des ten-
dances déplorables d’un art factice,, artificiel, qui n’était plus l’ex-
pression réelle de la vie de son temps, d’un art qui reposait sur le
formulaire étroit des canons antiques, dénaturés encore par quatre
cents ans d’imitation plus ou moins servile.

Tout l’effort tenté dans le passé pour ranimer l’art parla vie,
pour exprimer d’autres aspects de l’âme humaine, ce que Puget,
Pigalle, Falconet, Houdon même tentèrent de réaliser par l’obser-
vation attentive de la vie et l’inoculation d’une ardeur plus pas-
sionnée, ce que Rude et Carpeaux essayèrent à leur tour, M. Rodin a
voulu le reprendre, moins instinctivement, avec une volonté con-
sciente et résolue. M. Rodin voulait puiser directement à la source de
vie, à la nature, si féconde et si inépuisable, à laquelle tous les arts
ont pour ainsi dire à peine touché, et en même temps rompre avec la
tradition latine, et remonter à nos véritables traditions clhniques,
pour créer sinon un art populaire, du moins un art expressif, dégagé
des formules convenues de la pédagogie scolaire, qui pût traduire de
plus près toute la pensée contemporaine. Est-ce rencontre fortuite,
est-ce fatalité ou providence? le statuaire rencontra, parallèlement à
son effort, la voix la plus éloquente de l’apôtre le plus convaincu qui
pût répandre ce verbe nouveau, celle de Louis Courajod, le fondateur
du musée français du moyen âge, le vaillant et hardi professeur de
l’Ecole du Louvre. Depuis ce temps, un conllit s’est produit entre les
deux courants, la tradition antique et païenne d’une part, à laquelle
appartient toute notre école classique, la tradition septentrionale
de l’autre, réaliste, chrétienne et populaire, à laquelle se rattachent,
 
Annotationen