338
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
jusqu’en 188(5. Posé sur le plancher et touchant au plafond, le cadre
ne pouvait tenir dans la plus grande pièce de cet édifice qu’à condi-
tion d'y être assez fortement incliné. Je ne me doutais guère, en
voyant élever les coûteuses constructions du Rijksmuseum, qu’avec
tous les admirateurs de Rembrandt j’en viendrais à regretter l’in-
stallation si défectueuse du Trippenhuis. En 1889, l’habile nettoyage
de M. Hopman avait rendu à la toile son aspect primitif ; mais, sous
le jour sépulcral où elle était exposée, il était absolument impossible
d’apprécier l’efficacité très réelle de cette délicate opération. La riche
décoration de la Salle Rembrandt, au Rijksmuseum, les colonnes,
les tentures, les inscriptions en lettres d’or dont elle est ornée,
témoignent, il est vrai, du prix qu’on attache à la Ronde de nuit.
Mais les essais réitérés de châssis de verre et de vélums destinés à
améliorer son éclairage sont, jusqu’à présent, demeurés inutiles pour
lui assurer la seule chose dont le tableau avait besoin : la lumière
qui permettrait de le bien voir. On l’admire aujourd’hui au Musée
municipal tel qu’il est, dans tout son éclat, et l’impression qu’il pro-
duit est saisissante. Pour mieux juger du contraste, le jour même de
l’inauguration, en sortant de l’Exposition Rembrandt je me suis rendu
à deux pas de là, au Rijksmuseum, où, une fois de plus, j’ai pu con-
stater la tristesse, la pauvreté absolue de l’éclairage. A deux heures de
l’après-midi, par un ciel sans nuages, au sortir des places et des rues
ensoleillées, il semblait qu’on entrât dans une caverne, et, à côté même
de l’emplacement qu’occupait la Ronde de nuit, un peintre, en train de
copier un fragment du tableau de Hais accroché sur la même paroi,
devait, n’y voyant plus, renoncer à prolonger sa séance de travail. Dans
cette même salle, sur les murs voisins ou opposés, les grandes toiles
de van der Ilelst ou de Flinck, malgré leur tonalité claire, étaient
littéralement invisibles et plongées dans la plus complète obscurité.
Quand donc les architectes comprendront-ils que, dans un musée des-
tiné à exposer des peintures, les conditions d’éclairage et de ventila-
tion priment toutes les autres, et qu’au lieu de chercher à attirer indis-
crètement l’attention du public sur le monument qu’ils construisent,
ils ont surtout à se préoccuper des chefs-d’œuvre qu’il doit recevoir?
En ce qui touche la Ronde de nuit, l’épreuve est faite désor-
mais, et, après tant de vaines tentatives, la ville d’Amsterdam, sou-
tenue par le sentiment unanime des admirateurs de Rembrandt, est
maintenant en droit d’exiger qu’on satisfasse aux réclamations qui,
bien des fois déjà, se sont produites, pour que des chefs-d’œuvre,
qui sont sa propriété, reçoivent enfin une hospitalité digne de ces
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
jusqu’en 188(5. Posé sur le plancher et touchant au plafond, le cadre
ne pouvait tenir dans la plus grande pièce de cet édifice qu’à condi-
tion d'y être assez fortement incliné. Je ne me doutais guère, en
voyant élever les coûteuses constructions du Rijksmuseum, qu’avec
tous les admirateurs de Rembrandt j’en viendrais à regretter l’in-
stallation si défectueuse du Trippenhuis. En 1889, l’habile nettoyage
de M. Hopman avait rendu à la toile son aspect primitif ; mais, sous
le jour sépulcral où elle était exposée, il était absolument impossible
d’apprécier l’efficacité très réelle de cette délicate opération. La riche
décoration de la Salle Rembrandt, au Rijksmuseum, les colonnes,
les tentures, les inscriptions en lettres d’or dont elle est ornée,
témoignent, il est vrai, du prix qu’on attache à la Ronde de nuit.
Mais les essais réitérés de châssis de verre et de vélums destinés à
améliorer son éclairage sont, jusqu’à présent, demeurés inutiles pour
lui assurer la seule chose dont le tableau avait besoin : la lumière
qui permettrait de le bien voir. On l’admire aujourd’hui au Musée
municipal tel qu’il est, dans tout son éclat, et l’impression qu’il pro-
duit est saisissante. Pour mieux juger du contraste, le jour même de
l’inauguration, en sortant de l’Exposition Rembrandt je me suis rendu
à deux pas de là, au Rijksmuseum, où, une fois de plus, j’ai pu con-
stater la tristesse, la pauvreté absolue de l’éclairage. A deux heures de
l’après-midi, par un ciel sans nuages, au sortir des places et des rues
ensoleillées, il semblait qu’on entrât dans une caverne, et, à côté même
de l’emplacement qu’occupait la Ronde de nuit, un peintre, en train de
copier un fragment du tableau de Hais accroché sur la même paroi,
devait, n’y voyant plus, renoncer à prolonger sa séance de travail. Dans
cette même salle, sur les murs voisins ou opposés, les grandes toiles
de van der Ilelst ou de Flinck, malgré leur tonalité claire, étaient
littéralement invisibles et plongées dans la plus complète obscurité.
Quand donc les architectes comprendront-ils que, dans un musée des-
tiné à exposer des peintures, les conditions d’éclairage et de ventila-
tion priment toutes les autres, et qu’au lieu de chercher à attirer indis-
crètement l’attention du public sur le monument qu’ils construisent,
ils ont surtout à se préoccuper des chefs-d’œuvre qu’il doit recevoir?
En ce qui touche la Ronde de nuit, l’épreuve est faite désor-
mais, et, après tant de vaines tentatives, la ville d’Amsterdam, sou-
tenue par le sentiment unanime des admirateurs de Rembrandt, est
maintenant en droit d’exiger qu’on satisfasse aux réclamations qui,
bien des fois déjà, se sont produites, pour que des chefs-d’œuvre,
qui sont sa propriété, reçoivent enfin une hospitalité digne de ces