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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 21.1899

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Nr. 2
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Bouyer, Raymond: Eugène Boudin
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https://doi.org/10.11588/diglit.24685#0129

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

ces ténèbres chaotiques, ces immensités vertes et roses, suspendues et
ajoutées les unes aux autres, ces fournaises béantes, ces firmaments de
satin noir ou violet, fripé, roulé ou déchiré, ces horizons en deuil ou ruisse-
lants de métal fondu, toutes ces profondeurs, toutes ces splendeurs me
montèrent au cerveau comme une boisson capiteuse ou comme l’éloquence
de l’opium. Chose assez curieuse, il ne m’arriva pas une seule fois, devant
ces magies liquides ou aériennes, de me plaindre de l'absence de l’homme.
Mais je me garde bien de tirer de laplénitude de ma jouissance un conseil
pour qui que ce soit, non plus que pour M. Boudin. Le conseil serait trop
dangereux. Qu’il se rappelle que l’homme, comme dit Robespierre, qui
avait soigneusement fait ses humanités, ne voit jamais l’homme sans plaisir ;
et, s’il veut gagner un peu de popularité, qu’il se garde bien de croire que
le public soit arrivé à un égal enthousiasme pour la solitude...

Cette solitude s'animera bientôt de taches lumineuses, de sil-
houettes mondaines. Vers 1860, à Honlleur, sous les ombrages de
la ferme de Saint-Siméon, Boudin travaille et cause avec Daubigny,
Français, Grandsire, Cals, Jules Héreau plus tard, Amédée Besnus,
qui le retrouve rue Mogador, dans Barrière-boutique du père Martin,
Jongkind, le Hollandais novateur, Isabey, enfin, le maître alèrte
d’Hervier, de Jongkind : c’est Isabey qui l’oriente vers la papillotante
nouveauté des plages, Trouville, puis Deauville, la station rivale
créée par Morny. L Inauguration du Casino trouve son peintre. Ce
taciturne devient l’observateur des modernes fêtes galantes, le favori
des collections riches. S’il aime les ciels avec la ferveur d’un Cons-
table, il croque son temps avec la crânerie d’un Géricault brossant
sous l’orage Les Courses d'Epsom; et, joli contraste, à la futile magie
des modes fugitives, il donne pour décor l’éternelle et perfide beauté
du flot. A l’Exposition universelle de 1867, Chesneau profilait, parmi
les peintres et excentriques de la Jeune école, ce mariniste épris
de modernité :

M. Boudin s’est fait le très spirituel chroniqueur des toilettes fémi-
nines aux bains de mer. Il a, le premier, compris tout ce qu’il y avait de
grâce pittoresque dans ces caprices de la mode qui font gémir les moralistes
austères, mais qui réjouissent le peintre et sont une bonne fortune pour
son habile pinceau. Personne n’a vu ni rendu, comme M. Boudin, le four-
millement de couleurs de ces toilettes élégantes, le froissement des étoffes
au souffle de la mer... Tout cela s’épanouit dans le joyeux éclat de couleurs
des feuilles peintes japonaises...

L’Empire tombe et la féerie s’interrompt; l’œuvre, considérable
déjà, change d’aspect comme l’horizon : la mer, toujours, mais sous
 
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