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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 21.1899

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Nr. 6
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Desjardins, Paul: Les salons de 1899, 2, Peinture
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https://doi.org/10.11588/diglit.24685#0464

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442

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

troisième mesure, nous voici déliés de la futilité fatigante du jour.
Une révélation intime, identique et simultanée en tous, c’est par là
que Beethoven fait l'unanimité dans une foule.

Les autres artistes de même, peintres ou tailleurs de pierre : ils
produisent l’union en produisant la solitude. Si, en présence d’une
œuvre d’art, nous remarquons encore les autres passants, comme
autres, avec leurs chapeaux et leurs grimaces, cela condamne l’ar-
tiste, ou nous. Ou il n’est pas digne,, ou nous ne le sommes pas. Et
la rencontre alors est sans charme ; elle est sans vertu. C’est pour-
quoi seule la contemplation tranquille laisse les belles œuvres
déployer leur empire ; un bon musée est celui qui est d’abord un
asile. Le salon suranné de la famille Six, à Amsterdam, avec, par
les glaces des croisées, la vue du Hecrengracht vêtu de feuilles tom-
bées et de paix; le cloître paisible de San Marco, de Florence, où
verdoie un mélèze, où des colombes se promènent sur les tuiles, où
rien autre ne bouge que les rais de soleil sur le carrelage des cellules
vides, voilà des lieux propices à goûter complètement la peinture.
Avant même d’être dans la chambre, on sait que l’œuvre est là qui
nous attend, on s’apprête à en recevoir le coup ; quand on la quitte,
elle nous accompagne encore un peu de temps. A Paris, nous avons
quelques-uns de ces coins élus, où l’on peut contempler sans trouble ;
les décorations de l’Ecole de pharmacie nous charment en toute tran-
quillité ; nous viendrons souvent au Père-Lachaise mêler à notre
promenade la grandeur poignante du monument de Bartholomé.
Ces ouvrages sont chez eux où ils sont.

Mais ici, dans ce déballage immense, dans cette parade où les
véridiques sont heurtés par les bateleurs, où les timides sont perdus,
combien il faut d’autorité à une peinture pour qu’elle nous prenne,
pour qu’elle nous délivre de toutes les autres ! Combien aussi de
candeur doit avoir l’artiste qui garde foi en sa petite expérience
propre, et, sans nulle idée de comparaison avec les voisins, continue
de peindre comme en une île non visitée !

De cette candeur, j’ai trouvé maints exemples, après être plus
d’une fois revenu au Salon. Je ne les avais pas aperçus d’abord, car
les tableaux qui assaillent les yeux sont les plus vains. Il faut
s’exercer à ne plus voir ceux-là ; c’est l’affaire de deux ou trois explo-
rations ; alors les bons, riches en dessous et d’une modestie fière,
montent à leur rang. Toute la pensée en est occupée ; la puissance
isolante de l’art vrai se manifeste.

J’en oublierai plus d’un, dont le labeur a du prix ; mais quoi !
 
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