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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
premières étoiles, dans une tendre solitude. Remarquez, en passant,
que ces trois derniers artistes nous viennent d’outre-Atlantique,
et que nous assistons, peut-être, à la naissance d’une grande école
américaine de paysage.
Je vous recommande encore le Vieux Saule, de M. Costeau, d’un
sentiment très juste, d’une peinture précise et pourtant large, et le
Brouillard sur le pré, de M. Georges Le Febvre : une flaque dormante,
au milieu des herbes, des traînées de brume laiteuse et opaline, un
lointain confus massé dans les ombres, tout cela plat, joli, délicat.
En terminant cette série, il est convenable, sinon utile,, de saluer
Harpignies, toujours là, dont deux toiles imposantes, à la fois ner-
veuses et sereines, anciennes par la beauté constructive, riches de
dessous, donnent l’impression de quelque maître d’une époque de
certitude, continuant de peindre depuis deux cents ans, et gardant
seul le fil non brisé, de Claude Gelée à nous.
II. LA MER. - LES EAUX.
Chaque année, M. Mesdag expose plusieurs belles marines,
mais une plus belle que les autres, formant centre, où il s’est mis et
déployé avec une prédilection réfléchie. Cette fois, son chef-d’œuvre
s’appelle un Temps tranquille. Ce n’est pas, comme dans le tableau
du Luxembourg, la fusion du ciel et de l’eau, se rejoignant à l’horizon
dans un ilamboiement de soleil; la toile est partagée, aux deux tiers,
entre le ciel fluide et la mer opaque, le ciel gris pâle et la mer verte,
— non pas glauque, mais vraiment d’un vert absinthe, — de sorte
qu’il y a opposition de l'un à l’autre, et harmonie par opposition.
Une flottille de barques est disséminée sur le liquide miroir ; en
premier plan, deux petites lames étroites et longues plissent la sur-
face de l’eau, d’un bord du cadre à l’autre bord ; ce ne sont que deux
raies blanches, à peine écumeuses, marquant la régulière pulsation
de Neptune au repos; le flot lourd flaque contre les coques gou-
dronnées, imperceptiblement balancées ; les voiles bises palpitent,
pendantes aux mâts. Tout cela est rempli; de quoi donc, puisqu’il
n’y a nul épisode ni sujet central? Simplement de l’espace... En
M. Mesdag, il faut honorer la grande puissance de contemplation et
de paix d’un moderne Willem van de Yelde.
M. Lionel Walden (encore un Américain) exprime aussi le
calme des eaux sourdes dans sa Pêche en rade. Sur le flot, couleur
d’aigue-marine, le disque ardent de la lune se mire, ainsi que les
feux tremblants des fanaux. Il est tard : les pêcheurs rament dans
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
premières étoiles, dans une tendre solitude. Remarquez, en passant,
que ces trois derniers artistes nous viennent d’outre-Atlantique,
et que nous assistons, peut-être, à la naissance d’une grande école
américaine de paysage.
Je vous recommande encore le Vieux Saule, de M. Costeau, d’un
sentiment très juste, d’une peinture précise et pourtant large, et le
Brouillard sur le pré, de M. Georges Le Febvre : une flaque dormante,
au milieu des herbes, des traînées de brume laiteuse et opaline, un
lointain confus massé dans les ombres, tout cela plat, joli, délicat.
En terminant cette série, il est convenable, sinon utile,, de saluer
Harpignies, toujours là, dont deux toiles imposantes, à la fois ner-
veuses et sereines, anciennes par la beauté constructive, riches de
dessous, donnent l’impression de quelque maître d’une époque de
certitude, continuant de peindre depuis deux cents ans, et gardant
seul le fil non brisé, de Claude Gelée à nous.
II. LA MER. - LES EAUX.
Chaque année, M. Mesdag expose plusieurs belles marines,
mais une plus belle que les autres, formant centre, où il s’est mis et
déployé avec une prédilection réfléchie. Cette fois, son chef-d’œuvre
s’appelle un Temps tranquille. Ce n’est pas, comme dans le tableau
du Luxembourg, la fusion du ciel et de l’eau, se rejoignant à l’horizon
dans un ilamboiement de soleil; la toile est partagée, aux deux tiers,
entre le ciel fluide et la mer opaque, le ciel gris pâle et la mer verte,
— non pas glauque, mais vraiment d’un vert absinthe, — de sorte
qu’il y a opposition de l'un à l’autre, et harmonie par opposition.
Une flottille de barques est disséminée sur le liquide miroir ; en
premier plan, deux petites lames étroites et longues plissent la sur-
face de l’eau, d’un bord du cadre à l’autre bord ; ce ne sont que deux
raies blanches, à peine écumeuses, marquant la régulière pulsation
de Neptune au repos; le flot lourd flaque contre les coques gou-
dronnées, imperceptiblement balancées ; les voiles bises palpitent,
pendantes aux mâts. Tout cela est rempli; de quoi donc, puisqu’il
n’y a nul épisode ni sujet central? Simplement de l’espace... En
M. Mesdag, il faut honorer la grande puissance de contemplation et
de paix d’un moderne Willem van de Yelde.
M. Lionel Walden (encore un Américain) exprime aussi le
calme des eaux sourdes dans sa Pêche en rade. Sur le flot, couleur
d’aigue-marine, le disque ardent de la lune se mire, ainsi que les
feux tremblants des fanaux. Il est tard : les pêcheurs rament dans