UNE LETTRE DE MICHEL-ANGE
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Et Fortunati, dans son expérience, couvait peut-être l'espoir qu’un
artiste pourrait prendre en mains cet enfant rebelle, déjà « féroce,
et qui, dès ses premières années, avait l’esprit tourné seulement
à chevaucher, nager, et à s’exercer de sa personne à tous les métiers
du soldat1 ».
Mais c’était les années où Michel-Ange, proche de la trentaine,
« produisait chaque jour des fruits plus divins », comme dit le poé-
tique Vasari. 1504, l'année où le David se dresse sur la place du
Palais-Vieux; novembre 1504, deux mois après le contrat avec les
Piccolomini pour les statues du Dôme de Sienne ; un mois après que
Michel-Ange a donné les premiers coups de crayon au carton de la
guerre de Pise ! Il avait, c’est certain, « mille affaires2 ». Ce n’était
plus le Michel-Ange des jardins Oricellari, l’hôte du palais Médicis,
celui à qui Pierfrancesco faisait faire une statue de neige, « attendu
qu’il avait neigé plus d'une journée durant, et que la neige s’élevait,
dans Florence, à plus d’une brasse3 ». Mais il avait, au milieu de
ses travaux d’alors, le même caractère qui lui faisait écrire, plus
tard, en 1542, à Nicolas Martelli : « Je suis un pauvre homme, et de
peu de valeur, qui me vais fatiguant dans cet art que Dieu m’a
donné, pour allonger ma vie le plus que je puis4. » Ft il ménageait
Fortunati, le favori des Médicis, des Salviati, l'influent chanoine de
Saint-Laurent, lequel pouvait presser les paiements en retard. Avec
une seule réserve, c'est que rien n'empiéterait sur « l’art que lui a
donné Dieu ».
On ne renonça pas à trouver un précepteur pour Jean de Mé-
dicis. Au refus de Michel-Ange, Zanobio Acciaiuoli en connaissait
un, en 1505; Nicolas Serristori cherchait de nouveau, en 1507, et un
certain Barthélemy Massaroni faisait ses prix5. Peu nous importe la
suite anonyme de ces personnages de troisième ordre et de valeur
inconnue. Aucun n’a pu marquer sur le condottiere futur, dont le
style, l’écriture et le paraphe se montreront toujours aussi frustes et
sauvages. Mais on ne peut songer de sang-froid à cette rencontre qui
1. Vita del molto illustre et valoroso Sig. G. dei Mcdici, par J. H. de’ Rossi, év. de
Pavie, ap. Ciampi, ibid., p. 141, et Vite di uomini d'arme, etc. Florence, 1866, p. 75.
2. Voir le Prospctto cronologico annexé par M. Milanesi à la vie de Michel-
Ange, et l’excellent article de A. de Montaiglon dans la Gazette des Beaux-Arts,
2e pér., t. XIII, p. 222 et suivantes.
3. Delizic degli eruditi toscani, t. XXII, p. 285.
4. Lett., éd. Milanesi, p. 473.
5. « Medici avanti Principato », liasses LXX, p, 180 et 286, et LXXV ; Pasolini,
III, p. 523.
— 3e PÉHIODE,
XVI-
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Et Fortunati, dans son expérience, couvait peut-être l'espoir qu’un
artiste pourrait prendre en mains cet enfant rebelle, déjà « féroce,
et qui, dès ses premières années, avait l’esprit tourné seulement
à chevaucher, nager, et à s’exercer de sa personne à tous les métiers
du soldat1 ».
Mais c’était les années où Michel-Ange, proche de la trentaine,
« produisait chaque jour des fruits plus divins », comme dit le poé-
tique Vasari. 1504, l'année où le David se dresse sur la place du
Palais-Vieux; novembre 1504, deux mois après le contrat avec les
Piccolomini pour les statues du Dôme de Sienne ; un mois après que
Michel-Ange a donné les premiers coups de crayon au carton de la
guerre de Pise ! Il avait, c’est certain, « mille affaires2 ». Ce n’était
plus le Michel-Ange des jardins Oricellari, l’hôte du palais Médicis,
celui à qui Pierfrancesco faisait faire une statue de neige, « attendu
qu’il avait neigé plus d'une journée durant, et que la neige s’élevait,
dans Florence, à plus d’une brasse3 ». Mais il avait, au milieu de
ses travaux d’alors, le même caractère qui lui faisait écrire, plus
tard, en 1542, à Nicolas Martelli : « Je suis un pauvre homme, et de
peu de valeur, qui me vais fatiguant dans cet art que Dieu m’a
donné, pour allonger ma vie le plus que je puis4. » Ft il ménageait
Fortunati, le favori des Médicis, des Salviati, l'influent chanoine de
Saint-Laurent, lequel pouvait presser les paiements en retard. Avec
une seule réserve, c'est que rien n'empiéterait sur « l’art que lui a
donné Dieu ».
On ne renonça pas à trouver un précepteur pour Jean de Mé-
dicis. Au refus de Michel-Ange, Zanobio Acciaiuoli en connaissait
un, en 1505; Nicolas Serristori cherchait de nouveau, en 1507, et un
certain Barthélemy Massaroni faisait ses prix5. Peu nous importe la
suite anonyme de ces personnages de troisième ordre et de valeur
inconnue. Aucun n’a pu marquer sur le condottiere futur, dont le
style, l’écriture et le paraphe se montreront toujours aussi frustes et
sauvages. Mais on ne peut songer de sang-froid à cette rencontre qui
1. Vita del molto illustre et valoroso Sig. G. dei Mcdici, par J. H. de’ Rossi, év. de
Pavie, ap. Ciampi, ibid., p. 141, et Vite di uomini d'arme, etc. Florence, 1866, p. 75.
2. Voir le Prospctto cronologico annexé par M. Milanesi à la vie de Michel-
Ange, et l’excellent article de A. de Montaiglon dans la Gazette des Beaux-Arts,
2e pér., t. XIII, p. 222 et suivantes.
3. Delizic degli eruditi toscani, t. XXII, p. 285.
4. Lett., éd. Milanesi, p. 473.
5. « Medici avanti Principato », liasses LXX, p, 180 et 286, et LXXV ; Pasolini,
III, p. 523.
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