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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
un accent, une grandeur que ne connut guère cette Inde brûlante
où la pureté, la fermeté grecques se corrompirent si vite. C’est à
cette discipline, aux œuvres mâles de cette école, nourrie du pro-
fond rêve hindou, purifiée par de lointains souvenirs de Grèce, que
nous devons l’art aristocratique du Japon, qui, toujours, se tournera
vers la Chine aux heures de décadence, pour lui redemander ses
secrets de grandeur et les maîtrises oubliées.
La deuxième tendance est tout autre. Elle nous vaut des œuvres
plus proches de la bonhomie japonaise, rustiques et sérieuses, d’une
facture plus lourde, plus touchante aussi, d’un sentiment de bonté
et de douceur profond. Elle est proprement populaire. Elle nous
montre déjà à cette époque primitive cette veine indépendante de la
Chine et de l’art aristocratique qui plus tard nous donnera les Toba-ye,
les écoles purement japonaises, l’Ukiyoyé. Je la crois sino-coréenne.
Elle est l’expression d’une race parente de la japonaise : c’est l’élé-
ment moral et l’âme de l’art nouveau qui, discipliné par la règle
chinoise, enfermé dans la délicate rigueur de ses contours, s’en
dégageant peu à peu, produira des œuvres charmantes et profondes,
mariant à la force et au style de la Chine la douceur, la grâce, la
naïveté japonaises. Deux monuments importants la représentent au
pavillon, et un troisième celte alliance naissante.
Le premier (du vuc siècle ?) est la statue en bronze doré venue
d’Horiuji, debout parmi les bronzes de la Maison impériale. Son atti-
tude est charmante de tendre gaucherie et de bonté : sa grosse tète
massive et bienveillante, sa figure ronde, puissante et douce, aux
yeux candides, aux sourcils montant fortement vers l’extérieur, au
nez court, aux lèvres pleines et sensibles, semblent trop lourdes pour
les épaules où elles s’enfoncent. Il n’y a pas le moindre souci d’élé-
gance. La facture est paisible : elle n’a rien de la décision nerveuse des
œuvres précédentes. La physionomie n’est point chinoise, ni hin-
doue ; l’expression de rêve engourdi, de naïveté, de réflexion calme
est celle qu’on voit souvent aujourd’hui encore sur la large face du
peuple au Japon. Ce type est fréquent parmi les œuvres conservées
à Horiuji, à Nara ; il y fait le plus étrange contraste avec les fres-
ques, uniques de grandeur et de rêve, attribuées, elles aussi, à des
ouvriers coréens, hindoues cependant par la profondeur, la lassitude,
la gravité voluptueuse des figures surhumaines qui trônent parmi
les fumées, les fleurs et les abîmes d'un ciel mystérieux ; le riant
éther du Japon serait irrespirable pour ces divinités. Ces visions
mélancoliques sont d’une autre terre, chargée de fatalité : leur
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
un accent, une grandeur que ne connut guère cette Inde brûlante
où la pureté, la fermeté grecques se corrompirent si vite. C’est à
cette discipline, aux œuvres mâles de cette école, nourrie du pro-
fond rêve hindou, purifiée par de lointains souvenirs de Grèce, que
nous devons l’art aristocratique du Japon, qui, toujours, se tournera
vers la Chine aux heures de décadence, pour lui redemander ses
secrets de grandeur et les maîtrises oubliées.
La deuxième tendance est tout autre. Elle nous vaut des œuvres
plus proches de la bonhomie japonaise, rustiques et sérieuses, d’une
facture plus lourde, plus touchante aussi, d’un sentiment de bonté
et de douceur profond. Elle est proprement populaire. Elle nous
montre déjà à cette époque primitive cette veine indépendante de la
Chine et de l’art aristocratique qui plus tard nous donnera les Toba-ye,
les écoles purement japonaises, l’Ukiyoyé. Je la crois sino-coréenne.
Elle est l’expression d’une race parente de la japonaise : c’est l’élé-
ment moral et l’âme de l’art nouveau qui, discipliné par la règle
chinoise, enfermé dans la délicate rigueur de ses contours, s’en
dégageant peu à peu, produira des œuvres charmantes et profondes,
mariant à la force et au style de la Chine la douceur, la grâce, la
naïveté japonaises. Deux monuments importants la représentent au
pavillon, et un troisième celte alliance naissante.
Le premier (du vuc siècle ?) est la statue en bronze doré venue
d’Horiuji, debout parmi les bronzes de la Maison impériale. Son atti-
tude est charmante de tendre gaucherie et de bonté : sa grosse tète
massive et bienveillante, sa figure ronde, puissante et douce, aux
yeux candides, aux sourcils montant fortement vers l’extérieur, au
nez court, aux lèvres pleines et sensibles, semblent trop lourdes pour
les épaules où elles s’enfoncent. Il n’y a pas le moindre souci d’élé-
gance. La facture est paisible : elle n’a rien de la décision nerveuse des
œuvres précédentes. La physionomie n’est point chinoise, ni hin-
doue ; l’expression de rêve engourdi, de naïveté, de réflexion calme
est celle qu’on voit souvent aujourd’hui encore sur la large face du
peuple au Japon. Ce type est fréquent parmi les œuvres conservées
à Horiuji, à Nara ; il y fait le plus étrange contraste avec les fres-
ques, uniques de grandeur et de rêve, attribuées, elles aussi, à des
ouvriers coréens, hindoues cependant par la profondeur, la lassitude,
la gravité voluptueuse des figures surhumaines qui trônent parmi
les fumées, les fleurs et les abîmes d'un ciel mystérieux ; le riant
éther du Japon serait irrespirable pour ces divinités. Ces visions
mélancoliques sont d’une autre terre, chargée de fatalité : leur