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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
IV
Quand Victor Hugo eut quitté Paris et qu’il eut repris à Jersey
son travail de poète et de prosateur, pour le continuer à Guernesey
avec une fécondité régulière, il continua de dessiner des burgs fan-
tastiques et des châteaux en Espagne. Il s’essaya même parfois à
mêler à son encre, à son café et à sa gouache quelques taches de
vermillon ou de vert et quelques paillons d’or en feuille. Tel des
dessins en noir et blanc qui sont datés de l’exil est encore un vrai
tableau : témoin celui que Victor Hugo donna en 1857 à Auguste
Vacquerie, et que possède M. Pierre Lefèvre : un donjon qui se
détache sur la nuit, tel qu’un énorme iceberg.
Ces silhouettes de ruines étaient recherchées par les amis comme
un autographe de poète et comme une fantaisie d’artiste. Victor Hugo
fut libéral de ses dessins autant que de ses missives grandiloquentes.
Au premier janvier il envoyait, en guise de souhait, un burg farouche
et noir, avec son nom tracé par des lettres plus hautes que les tours.
Parfois le proscrit faisait tenir à quelque initié un dessin à inten-
tions politiques : c’est ainsi que Paul de Saint-Victor reçut le 1er jan-
vier 1868, après Sadowa et le Mexique, un carton couvert de ruines
fumantes et de cadavres nageant dans le sang rouge, avec les mots :
« Organisation militaire ».
Un de ces dessins qui étaient des protestations fut destiné par
Victor Hugo lui-même au public et donné à la gravure. C’était en
1859. Attentif à tous les cris de liberté qui parvenaient jusqu’à son
lie, que l’appel vînt d’Italie ou d’Amérique, il reçut une nouvelle qui
l’agita profondément. John Brown, le patriote de Virginie qui avait
pris en main la cause des esclaves nègres et les poussait à la révolte,
venait d’être pris et jugé sommairement. L’apôtre devait être pendu
le 2 décembre. Le crime annoncé pour le jour anniversaire des
fusillades du coup d’Etat apparut à Victor Hugo dans toute son impor-
tance historique. Le poète, fort de son autorité papale, adressa aux
Etats-Unis d’Amérique une lettre qui prophétisait la guerre de Séces-
sion. En même temps, songeant à la potence préparée, il dessina plu-
sieurs silhouettes de pendus, ombres funèbres plus noires que la
nuit, et vers qui descend un rayon. Les légendes expliquent la mis-
sion des gibets transfigurés en croix : Crux nova; Ecce; Pro Christo
sicut Christus.
Le plus sombre et le plus vigoureux de ces dessins fut remis par
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
IV
Quand Victor Hugo eut quitté Paris et qu’il eut repris à Jersey
son travail de poète et de prosateur, pour le continuer à Guernesey
avec une fécondité régulière, il continua de dessiner des burgs fan-
tastiques et des châteaux en Espagne. Il s’essaya même parfois à
mêler à son encre, à son café et à sa gouache quelques taches de
vermillon ou de vert et quelques paillons d’or en feuille. Tel des
dessins en noir et blanc qui sont datés de l’exil est encore un vrai
tableau : témoin celui que Victor Hugo donna en 1857 à Auguste
Vacquerie, et que possède M. Pierre Lefèvre : un donjon qui se
détache sur la nuit, tel qu’un énorme iceberg.
Ces silhouettes de ruines étaient recherchées par les amis comme
un autographe de poète et comme une fantaisie d’artiste. Victor Hugo
fut libéral de ses dessins autant que de ses missives grandiloquentes.
Au premier janvier il envoyait, en guise de souhait, un burg farouche
et noir, avec son nom tracé par des lettres plus hautes que les tours.
Parfois le proscrit faisait tenir à quelque initié un dessin à inten-
tions politiques : c’est ainsi que Paul de Saint-Victor reçut le 1er jan-
vier 1868, après Sadowa et le Mexique, un carton couvert de ruines
fumantes et de cadavres nageant dans le sang rouge, avec les mots :
« Organisation militaire ».
Un de ces dessins qui étaient des protestations fut destiné par
Victor Hugo lui-même au public et donné à la gravure. C’était en
1859. Attentif à tous les cris de liberté qui parvenaient jusqu’à son
lie, que l’appel vînt d’Italie ou d’Amérique, il reçut une nouvelle qui
l’agita profondément. John Brown, le patriote de Virginie qui avait
pris en main la cause des esclaves nègres et les poussait à la révolte,
venait d’être pris et jugé sommairement. L’apôtre devait être pendu
le 2 décembre. Le crime annoncé pour le jour anniversaire des
fusillades du coup d’Etat apparut à Victor Hugo dans toute son impor-
tance historique. Le poète, fort de son autorité papale, adressa aux
Etats-Unis d’Amérique une lettre qui prophétisait la guerre de Séces-
sion. En même temps, songeant à la potence préparée, il dessina plu-
sieurs silhouettes de pendus, ombres funèbres plus noires que la
nuit, et vers qui descend un rayon. Les légendes expliquent la mis-
sion des gibets transfigurés en croix : Crux nova; Ecce; Pro Christo
sicut Christus.
Le plus sombre et le plus vigoureux de ces dessins fut remis par