224 GAZETTE DES BEAUX-ARTS
nièrc entrevue du Fils et de la mère. La Vierge semble accablée.
Jésus fait un geste plein de douceur, mais conserve la sérénité d’un
Dieu. Au xvU siècle, ce thème se rencontre fréquemment dans toute
l’Europe. Qu’il me suffise de citer, pour la France, le vitrail de
Conches1 et celui de Saint-Vincent de Rouen.
Arrivons à la Passion elle-même. Dans l’art, deux scènes portent
fortement la marque de saint Bonaventure.
Avant le xv° siècle, on n’avait guère eu l’idée de représenter le
moment où Jésus est attaché à la croix. C’est qu’on ne peignait pas
encore la Passion pour elle-même. Conformément à la tradition du
xme siècle, l’art ne retenait de la vie de Jésus-Christ que les faits qui
étaient des dogmes. On ne montrait pas Jésus dépouillé de sa tunique,
ou cloué à la croix; on montrait Jésus mourant sur la croix pour le
salut des hommes. Mais le jour où on joua la Passion sur un théâtre,
il fallut représenter les faits dans leur continuité. C’est ainsi que les
artistes eurent sous les yeux un tableau auquel ils n’avaient guère
songé, et qu’ils n’avaient même jamais représenté : la mise en croix.
Ils virent Jésus cloué sur la croix couchée à terre, comme le veut
saint Bonaventure. Ils le représentèrent donc ainsi désormais.
La scène se rencontre pour la première fois vers 1400, dans le
temps où le duc de Berry faisait enluminer ses merveilleux manu-
scrits. C’est, précisément le moment où, à Paris, les représentations
de la Passion deviennent régulières. Dans les Grandes Heures du duc,
qu’on attribue à Jacquemart de Flesdin2, la scène est à peu près telle
qu’elle devait se présenter au théâtre. Les bourreaux attachent
Jésus sur la croix couchée à terre, et l’un d’eux tire de toutes ses
forces sur une corde pour distendre les membres. 11 serait long de
citer toutes les pages analogues qu’on rencontre dans les manuscrits
à partir de cette époque3. — C’est la gravure sur bois qui, en s’empa-
rant de ce thème, a surtout contribué à Je rendre populaire. On
le rencontre dans le Spéculum liumanæ salvationis, un des livres les
plus célèbres du xvc siècle. De là, il passa dans nos livres d’FIcures,
dont les gravures ne sont souvent que des copies de celles du Spé-
culum. A force de le voir, les sculpteurs eux-mêmes finirent par
-i. L’artiste qui a dessiné le vitrait de Couches (Eure) (vitrail du chœur) avait
sous tes yeux la gravure d’Albert Diirer.
2. B. N., ms. latin 919, f° 74.
3. Mentionnons seulement B. N., ms. latin 18026, f° 94 (Heures du commence-
ment du xv° s.) ; ms. franc. 992, f° 116 (Vie de J.-C., fin du xvc s.) ; ms. franc. 50,
f° 231 (Miroir historial, fin du xvc s.); ms. latin 13289, f° 81 (Heures, fm du
xve siècle).
nièrc entrevue du Fils et de la mère. La Vierge semble accablée.
Jésus fait un geste plein de douceur, mais conserve la sérénité d’un
Dieu. Au xvU siècle, ce thème se rencontre fréquemment dans toute
l’Europe. Qu’il me suffise de citer, pour la France, le vitrail de
Conches1 et celui de Saint-Vincent de Rouen.
Arrivons à la Passion elle-même. Dans l’art, deux scènes portent
fortement la marque de saint Bonaventure.
Avant le xv° siècle, on n’avait guère eu l’idée de représenter le
moment où Jésus est attaché à la croix. C’est qu’on ne peignait pas
encore la Passion pour elle-même. Conformément à la tradition du
xme siècle, l’art ne retenait de la vie de Jésus-Christ que les faits qui
étaient des dogmes. On ne montrait pas Jésus dépouillé de sa tunique,
ou cloué à la croix; on montrait Jésus mourant sur la croix pour le
salut des hommes. Mais le jour où on joua la Passion sur un théâtre,
il fallut représenter les faits dans leur continuité. C’est ainsi que les
artistes eurent sous les yeux un tableau auquel ils n’avaient guère
songé, et qu’ils n’avaient même jamais représenté : la mise en croix.
Ils virent Jésus cloué sur la croix couchée à terre, comme le veut
saint Bonaventure. Ils le représentèrent donc ainsi désormais.
La scène se rencontre pour la première fois vers 1400, dans le
temps où le duc de Berry faisait enluminer ses merveilleux manu-
scrits. C’est, précisément le moment où, à Paris, les représentations
de la Passion deviennent régulières. Dans les Grandes Heures du duc,
qu’on attribue à Jacquemart de Flesdin2, la scène est à peu près telle
qu’elle devait se présenter au théâtre. Les bourreaux attachent
Jésus sur la croix couchée à terre, et l’un d’eux tire de toutes ses
forces sur une corde pour distendre les membres. 11 serait long de
citer toutes les pages analogues qu’on rencontre dans les manuscrits
à partir de cette époque3. — C’est la gravure sur bois qui, en s’empa-
rant de ce thème, a surtout contribué à Je rendre populaire. On
le rencontre dans le Spéculum liumanæ salvationis, un des livres les
plus célèbres du xvc siècle. De là, il passa dans nos livres d’FIcures,
dont les gravures ne sont souvent que des copies de celles du Spé-
culum. A force de le voir, les sculpteurs eux-mêmes finirent par
-i. L’artiste qui a dessiné le vitrait de Couches (Eure) (vitrail du chœur) avait
sous tes yeux la gravure d’Albert Diirer.
2. B. N., ms. latin 919, f° 74.
3. Mentionnons seulement B. N., ms. latin 18026, f° 94 (Heures du commence-
ment du xv° s.) ; ms. franc. 992, f° 116 (Vie de J.-C., fin du xvc s.) ; ms. franc. 50,
f° 231 (Miroir historial, fin du xvc s.); ms. latin 13289, f° 81 (Heures, fm du
xve siècle).