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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 35.1906

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Nr. 1
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Bénédite, Léonce: J.-J. Henner, [1]: artistes contemporains
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https://doi.org/10.11588/diglit.24817#0049

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

son accent local donnait un ton très particulier. On était plus étonné
encore de ce qui sortait de ce vaste front têtu et songeur. Henner
savait lire, écouter et regarder et, en Alsacien positif, il n’enserrait
dans les magasins de la mémoire que des notions exactes et sûres.
Aussi possédait-il très bien ce qu’il savait. Son intérêt ne s’arrêtait
pas aux confins des curiosités professionnelles; il rayonnait volon-
tiers sur des domaines très différents et très distants.

C’est ainsi, il y a quelques années, que, dans une maison amie
où nous dînions en petit comité, il nous laissa stupéfaits de la con-
naissance qu’il montra des choses militaires. 11 eût damé le pion à
Meissonier ou à Détaillé. Parmi les convives était un jeune officier
supérieur, intelligent, instruit, qui occupa l’attention d’Henner
sur les choses de son métier. Henner le poussait tout doucement
sur ce terrain, le pressait de ces formules interrogatives qu’il avait
coutume de répéter inlassablement, discutant sur les armements et
la tactique. Il l’entraîna enlin sur la guerre de 1870. Là, il nous offrit
un spectacle assez extraordinaire. Qui se fût, en effet, jamais douté,
à ces objections judicieuses, à ces rectifications précises, à ces
observations multiples sur la composition des régiments, leur com-
mandement, les combinaisons des diverses armes, ou encore sur les
opérations effectuées et la topographie, que nous entendions l’in-
comparable joueur de flûte des Eglogues et des Idylles? Assuré-
ment la blessure toujours saignante au cœur de ce fils proscrit
de l’Al sace fut le pieux motif qui l’avait engagé dans la voie de
ces douloureuses curiosités. Mais l’examen approfondi qu’il voulut
faire occasionnellement de ces matières, au lieu de se tenir satis-
fait de généralités qui eussent pu suflire à son sentiment ou aux
leçons qu'il cherchait, démontre la solide organisation, l’admirable
équilibre de cet esprit très personnel et très complet.

La grande unité de sa vie et de son idéal artistique a pu
tromper sur sa personnalité le public frivole et superficiel, avide de
changements et de nouveauté, qui s’en était formé un type de con-
vention, sommaire et fort inexact. Ce n’était pas, évidemment, une
nature compliquée, mais son esprit meublé, intéressé, aimait la
société des bons livres et recherchait la fréquentation des gens in-
struits et cultivés. Il n’avait de préjugés que ceux qui tiennent à
l’idiosyncrasie même de l’homme; il se plaçait sans effort hors des
influences déprimantes de milieux auxquels il appartenait par cer-
tains côtés et il resta toujours très libre et très indépendant dans
ses jugements.
 
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