Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (3. Pér. 35.1906)

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

284

récente que les premiers mois de 1413, et dans un manuscrit exé-
cuté pour un prince français, la recherche de l’effet qu’un Millet,
par exemple, au xixe siècle, devait à son tour aborder dans son
Printemps du musée du Louvre. Sans doute, il y a encore ici bien
de l'inexpérience, en particulier dans le rendu des flots écumants.
Ce n’est presque qu’un premier balbutiement. Mais l’esprit y est. Et,
pour une date relativement aussi reculée, je ne connais rien d’équi-
valent, abstraction faite peut-être de l’Extrême-Orient, dans l’art
d’aucun pays. Cet exemple suffit à montrer combien les Heures
d’Ailhj constituent un monument précieux à étudier.

*

❖ ❖

Une particularité qui, à elle seule, mettrait aussi au premier rang
le livre d’Heures du duc de Berry aujourd’hui possédé par M. le
baron Edmond de Rothschild, c’est l’étroite relation des images de
ce volume avec la série des miniatures exécutées pour le même duc
Jean de Berry qu’on admire dans les célèbres Heures conservées
au Musée Condé de Chantilly.

Au cours de notre rapide description des Heures <ïAilly, nous
avons eu l’occasion d’indiquer, d’un mot, bien des rapprochements
à faire avec le manuscrit de Chantilly. La parenté des deux volumes
éclate aux yeux, quand on les a feuilletés Lun et l’autre. Dans
leurs miniatures, on retrouve le même style de dessin, la même fac-
ture, à la fois d’une précision et d’une légèreté merveilleuses, les
mêmes types de visages, les mêmes proportions pour les corps aux
formes élancées, le même modelé des étoffes, la même manière de
composer, les mêmes principes pour le rendu des architectures, le
même coloris enfin, très spécial dans sa gamme singulièrement gaie,
claire et brillante, en même temps que d’une suprême harmonie de
tons. L’examen successif de tous les détails confirme de plus en
plus cette impression. On voit, par exemple, placée au premier
plan, dans la miniature initiale du manuscrit de Chantilly repré-
sentant le Festin du duc de Berry, une élégante figure de jeune
homme debout. Le corps de ce jeune homme est montré presque
complètement de dos, tandis que sa tête, aux cheveux coupés en
rond, est tournée vers l’épaule droite et apparaît de profil. C’est là
une attitude qui sort des données ordinaires de l’époque. Or, ce
même personnage joue également son rôle dans une page des
Heures d'Ailly, où il assiste au Festin d’Hérode (fol. 212, verso du