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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 35.1906

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Nr. 5
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Jamot, Paul: Les salons de 1906, 1, La peinture à la Société nationale des Beaux-Arts
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https://doi.org/10.11588/diglit.24817#0379

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354

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

lesquelles se partagent les artistes contemporains, de signaler les
efforts individuels, les bonnes volontés même incertaines, les inten-
tions à demi réalisées et les productions dont le charme actuel s’éva-
porera bientôt peut-être. Mais, quand le brusque recul de la mort lui
montre tout à coup, sur le plan où le verra la postérité, l’œuvre d’un
homme qui était hier l’un d’entre nous, il serait coupable de ne pas
ennoblir un travail éphémère et improvisé par un hommage rendu
au certain et à l’impérissable.

Carrière est du petit nombre des isolés que rien n’annonce et que
rien ne suit. Car, s'ils ont, comme il est naturel, profité des leçons
techniques de leurs devanciers, c’est en eux-mêmes, c’est en eux
seuls, dans ce que leur personnalité contient de plus intime, de plus
irréductible/qu’ils ont trouvé leur inspiration, la beauté non apprise
et inimitable de leurs œuvres. On ne peut pas imiter Carrière, pas
plus que Rembrandt. Si même je voulais pousser une vérité jusqu’à
une apparence de paradoxe, je dirais que leurs successeurs n’ont rien
à prendre chez eux, sauf le magnifique exemple du génie le plus per-
sonnel s’exprimant par les moyens les plus adéquats. Sans doute
on peut pasticher leurs procédés; mais les procédés n’ont de valeur
que par et pour le créateur qui les invente, presque contre les règles
de son art, comme les seuls moyens plastiques de traduire son in-
consciente philosophie, son rêve de poète ou sa vision de l’humanité.
Entre les mains des imitateurs, qui peuvent bien être sincères, mais
qui ne peuvent pas posséder son âme, ils sont sans vertu et se trans-
formeront, ici en artifices de théâtre, là en molle imprécision ou en
commode escamotage. Le bâton du magicien opère des merveilles;
mais il faut être le magicien pour s’en servir; le sot qui l’a dérobé
n’a gagné qu’un inerte morceau de bois.

Comme Rembrandt, Carrière est un lyrique, en ce sens que, pour
lui, la représentation de la nature n’est pas un but, mais un moyen.
Ce ne sont pas les choses en elles-mêmes qui l’intéressent, ni même
les hommes objectivement, mais l’émotion tour à tour ou en même
temps douloureuse et tendre qu’il éprouve au spectacle de sa vie et
de celle des autres. Aussi personne n’a eu moins que lui la curiosité
de l’inédit, des effets rares, des décors inconnus, des visages nou-
veaux. Car ceux qui trouvent tout en eux-mêmes n’ont pas besoin
de l’excitation que d’autres demandent au pittoresque et à l’imprévu.
Un heureux échec lui épargna un inutile séjour à Rome. Si les
circonstances l’amenèrent à passer plusieurs années en Angleterre,
on ne voit pas que la vie anglaise ait laissé la moindre trace dans
 
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