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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 35.1906

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Nr. 5
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Jamot, Paul: Les salons de 1906, 1, La peinture à la Société nationale des Beaux-Arts
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https://doi.org/10.11588/diglit.24817#0380

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LES SALONS DE 1906

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son œuvre. Il n’y aurait rien, ou bien peu de chose, de changé dans
l’œuvre de Rembrand, si des nécessités matérielles l’avaient forcé
de quitter Haarlem pour Paris ou pour Rome. Carrière, passant sa
vie entière à Londres, eut certainement peint les mêmes Maternités,
les mêmes Sommeils de F enfant, les mêmes Familles.

Une fois installé à Paris, je pense qu’il ne s’en éloigna guère; et il
vécut confiné dans son atelier, qui était en même temps son foyer.
Cet homme, en qui la postérité saluera un des artistes les plus
représentatifs de son temps, celui qui a su lixer une nuance parti-
culière de notre sensibilité, a été, dès ses débuts, en opposition directe
avec la mode régnante, et même on peut dire qu’il n’a pas cessé
d’être en dehors et en marge des courants artistiques contemporains.
Il en est souvent ainsi d’ailleurs avec les plus grands artistes, et
cela s’explique par le misonéisme, qui est, en art et ailleurs aussi,
l’instinct primordial de la majorité. Le public n’aime spontanément
que les poncifs, c’est-à-dire la répétition mécanique et sans âme de
ce qui était hier une vérité vivante. Chaque génération prise en
masse s’ignore soi-même; elle proclame complaisamment des dog-
mes périmés et méconnaît la force inconsciente qui l’entraîne mal-
gré elle. C’est donc en paraissant contrecarrer les goûts et les
préjugés de son milieu qu’un artiste doué d’une sensibilité divinatrice
exprime le plus éloquemment l’âme obscure de son temps. Les meil-
leurs portraits, ceux que la postérité jugera les plus beaux et les plus
vrais, ne sont-ils pas souvent ceux dont la ressemblance a été niée
par leurs modèles ? Par suite de la même erreur, les générations ne
savent pas se reconnaître dans le portrait expressif et plein de sens
profond où l’avenir cherchera leur vivante image.

Carrière a commencé à peindre ses Maternités et ses Familles
à une époque et dans un milieu où, soit le réalisme un peu court et
sec de Bastien-Lcpage, soit les audaces de l’impressionnisme atti-
raient tout jeune peintre soucieux d’échapper à la formule acadé-
mique; et il a poursuivi sans hésitations son œuvre en un temps dont
les meilleurs artistes étaient ceux qui étaient le plus sensibles aux jeux
delà couleur et de la lumière. Ses modèles, —que ce fût par nécessité
ou par choix, peu importe, puisque ici la nécessité lui imposait la règle
qui favorisait le mieux son génie, — ce furent sa femme, ses enfants,
quelques amis intimes, comme ce sculpteur Devillez qu’il peignit
deux fois à dix-huit ans d’intervalle, et qui a ainsi l’honneur d’ou-
vrir et de fermer la série des chefs-d’œuvre de son illustre ami, ou
encore quelques poètes dont le tempérament fait de sensibilité
 
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