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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
gréables. C’est toujours de la peinture en trompe-l’œil. On sait avec
quelle habileté terrible cet artiste, ou enfin ce peintre, copie les
objets, leur donne du relief : on se figure qu’on les voit, quand on
voit leur copie. Cette année, il a, en outre, voulu exprimer une
idée, et il a fait la Peine capitale, œuvre destinée, je crois, à dé-
montrer les inconvénients de la guillotine, à plaider en faveur de
l’abolition; car M. Friant doit être un penseur. En attendant, c’est,
dirait-on, de la peinture pour le Musée Grévin.
Les œuvres du regretté Frédéric Lottin, deux portraits et quatre
petites études, témoignent du goût distingué qu’il avait. Les noirs
et, si l’on peut dire, les nuances diverses du noir et les couleurs
approchantes composent des harmonies fines et belles. Et la vision
triste qu’attestent ces tableaux concorde avec la mélancolie de
cette destinée qu’une récente mort interrompit.
Le Violoniste, la Lettre et les Roses de MIle Rœderstein sont trois
tableaux émouvants pour l’analogie et la profondeur du sentiment :
ils sont pareils, malgré la diversité des sujets. Une âme s’y révèle,
tout entière en chacun d’eux, une âme qu'il est assez difficile de
définir avec des mots et qui trouve dans la peinture, dans cette
peinture, sa meilleure expression. H y a là de la douleur et de l’or-
gueil, le hautain refus d’un divertissement à sa peine; il y a là de
l’amitié pour les misères de l’exil, pour une fière intellectualité...
Les Roses — « Gloire de Dijon »! — semblent des fleurs de réfugié
politique, tout comme tel bouquet de violettes serait celui de Jenny
l’ouvrière. Combien je préfère cet art et sa franche sincérité, son
charme austère, à tels tableaux d’apparat qu’on admire dans son voi-
sinage !...
A propos du Salon des Indépendants, j’ai loué de mon mieux le
talent de M. Lebasque. Les six tableaux qu’il a donnés à la Société
Nationale me confirment dans mon opinion; et j’en suis fort aise, évi-
tant ainsi la fatigue de me contredire et trouvant l’occasion de voir
comme est féconde heureusement cette pratique d’art.
Je ne me figure pas beaucoup qu’il soit indispensable de vanter
les œuvres d’artistes célèbres, qui ont depuis longtemps la faveur
du public et dont on connaît la manière. Quelques-uns d’entre eux
me plaisent infiniment; les autres, non. Si je suis d’accord avec
mon lecteur, je n’ai donc rien à lui apprendre; et, autrement, je ne
le persuaderais pas : même, je rougirais si l’on m’accusait d’une
telle ambition singulière et hardie.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
gréables. C’est toujours de la peinture en trompe-l’œil. On sait avec
quelle habileté terrible cet artiste, ou enfin ce peintre, copie les
objets, leur donne du relief : on se figure qu’on les voit, quand on
voit leur copie. Cette année, il a, en outre, voulu exprimer une
idée, et il a fait la Peine capitale, œuvre destinée, je crois, à dé-
montrer les inconvénients de la guillotine, à plaider en faveur de
l’abolition; car M. Friant doit être un penseur. En attendant, c’est,
dirait-on, de la peinture pour le Musée Grévin.
Les œuvres du regretté Frédéric Lottin, deux portraits et quatre
petites études, témoignent du goût distingué qu’il avait. Les noirs
et, si l’on peut dire, les nuances diverses du noir et les couleurs
approchantes composent des harmonies fines et belles. Et la vision
triste qu’attestent ces tableaux concorde avec la mélancolie de
cette destinée qu’une récente mort interrompit.
Le Violoniste, la Lettre et les Roses de MIle Rœderstein sont trois
tableaux émouvants pour l’analogie et la profondeur du sentiment :
ils sont pareils, malgré la diversité des sujets. Une âme s’y révèle,
tout entière en chacun d’eux, une âme qu'il est assez difficile de
définir avec des mots et qui trouve dans la peinture, dans cette
peinture, sa meilleure expression. H y a là de la douleur et de l’or-
gueil, le hautain refus d’un divertissement à sa peine; il y a là de
l’amitié pour les misères de l’exil, pour une fière intellectualité...
Les Roses — « Gloire de Dijon »! — semblent des fleurs de réfugié
politique, tout comme tel bouquet de violettes serait celui de Jenny
l’ouvrière. Combien je préfère cet art et sa franche sincérité, son
charme austère, à tels tableaux d’apparat qu’on admire dans son voi-
sinage !...
A propos du Salon des Indépendants, j’ai loué de mon mieux le
talent de M. Lebasque. Les six tableaux qu’il a donnés à la Société
Nationale me confirment dans mon opinion; et j’en suis fort aise, évi-
tant ainsi la fatigue de me contredire et trouvant l’occasion de voir
comme est féconde heureusement cette pratique d’art.
Je ne me figure pas beaucoup qu’il soit indispensable de vanter
les œuvres d’artistes célèbres, qui ont depuis longtemps la faveur
du public et dont on connaît la manière. Quelques-uns d’entre eux
me plaisent infiniment; les autres, non. Si je suis d’accord avec
mon lecteur, je n’ai donc rien à lui apprendre; et, autrement, je ne
le persuaderais pas : même, je rougirais si l’on m’accusait d’une
telle ambition singulière et hardie.