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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 4. Pér. 3.1910

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Nr. 1
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Monod, François: L' exposition nationale de maîtres anciens à Londres, 1
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https://doi.org/10.11588/diglit.24873#0069
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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

trop souvent d’accorder un regard au passage, quand il fait route vers
les Highlands. L’agitation embarrassée des figures, leur éparpille-
ment incohérent (voyez au fond le vieillard, à droite les deux tètes
d’hommes près du bord du cadre), la médiocrité du dessin, la per-
spective incertaine et la distribution heurtée de la lumière ne suf-
fisent pas pour que l'on refuse cette œuvre capitale à Giorgione.
Toujours malhabile à disposer ensemble plusieurs figures, le génie
absorbé et contemplatif de Giorgione, M. Cook l’a très bien mar-
qué, répugnait, à plus forte raison, à une action dramatique. Et avec
ces bizarreries, la poétique fantaisie de ce Christ dérobé au milieu du
tableau dans un chaud clair-obscur, son visage d’éphèbe effacé dans
l’ombre, ce bras nu et ce pied tendre comme un pied de femme qui
viennent briller en plein centre dans la lumière, tels passages subtils
comme les reflets de mauve palpitant au corsage de la femme, le
moelleux et profond rayonnement où tout est baigné, enfin, au-
dessus du drame, l’éclaircie paisible, l’admirable échappée du
paysage, les ombrages et les prairies lustrées et immobiles, plon-
gées dans l’ardeur pacifique de l’été et les lents nuages qui glissent
en se dorant dans l’azur, —-où saisir Giorgione, s’il n’est pas là? En
faisant état des lourdes et choquantes inégalités de la peinture (et
le tableau a souffert encore depuis, dans la suite du temps), on a
l’impression d’une œuvre inachevée, et qui aurait été reprise, gâtée
et appesantie par la main d’un disciple, que ce soit ou non Cariani1.

Un chef-d’œuvre indiscutable de Giorgione, jusqu’ici à peine
connu, le Portrait de jeune homme de la collection Wood, a été
révélé par l’Exposition de Londres. De même famille et de même
coupe que les deux portraits de jeunes hommes du musée de Berlin
et du musée de Budapest2, il est empreint de la même fascination
pathétique et mystérieuse qui enveloppe tout le tableau d’un seul
accord, mais avec une beauté plus noble et quelque chose en tout de
plus avancé et de plus achevé. Une main gantée et résolue posée
sur l’appui, l’autre tient le chapeau de feutre d’un geste de salut
qui s’arrête et s’oublie, son pouce luit seul, comme un trait de clarté
spirituelle. Le fond brunâtre et sombre, le vêtement noir, les che-
veux roux coupés sur la nuque, détachent en pleine lumière le visage
régulier, élégant et austère, modelé avec la même perfection que

1. Cf. le Bravo conservé au musée de Vienne : repr. dans Max von Boehn,
Giorgione und P aima Vecchio, Bi elefeld, 1908, p. 18.

2. Cf. Cook, op.cit., p. 31-32. Le portrait de la collection Wood est reproduit à
la p. 86.
 
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