fU GAZETTE DES BEAUX-A ETS
L’œuvre de Cézanne nous offre ce contraste, qui déconcerta
d’abord, de la sensibilité la plus fine et d’une abstraction portée à
l’extrême. Incapable d’invention dans le sujet, c’est dans la couleur
qu’il a mis toute son imagination, toute son émotion. Il ne perce-
vait pas la forme indépendante de la couleur. Son œil découvrait
dans les dégradations produites par le relief des objets et par l’éclai-
rage auquel ils sont exposés une multiplicité de teintes qu’il voulut
exprimer, avec la conscience et l’application d’un bon ouvrier, au
moyen d’une gamme chromatique inédite. Pour lui l’ombre est une
couleur, la lumière est une couleur, la demi-teinte est une couleur1.
Dans la décomposition de la couleur telle qu’on l’avait comprise et
pratiquée avant lui, il y a des heurts, des lacunes, de l’inégal, des
réussites de hasard, de l’improvisation, de l’à peu près. C’est à la
fois le défaut et le charme des œuvres impressionnistes. Chez
Cézanne la finesse de la vision et la sûreté de la méthode sont telles
que les couleurs se continuent ou s’opposent par tons et demi-tons,
chacune étant un élément indispensable d’une harmonie concertée
et jouant son rôle avec un maximum d’intensité,sans rien perdre
de son éclat propre : en même temps les touches prudemment
juxtaposées par le pinceau donnent à l’exécution l’aspect d’un riche
tissu, lisse et fondu. Ainsi Cézanne arrive au simple par le multiple
et tend à la synthèse par les moyens de l'analyse.
Il n’est pas facile d’expliquer pourquoi le besoin d’une ordon-
nance logique, la volonté d’une sorte de géométrie expressive, en se
superposant ou en s’amalgamant à ce qu’il appelait « sa petite sen-
sation )>, l’ont conduit trop Souvent à des gaucheries, à des mala-
dresses qui sont, — faut-il s’en étonner? — ce que ses imitateurs ont
surtout retenu de son exemple. Mais les toiles de Cézanne où la
sensation et l'abstraction s’accordent sans détriment pour l’une ou
pour l’autre ont un aspect à la fois chatoyant et robuste; elles ont
aussi une plénitude d’harmonie, une noblesse, une sérénité, une
simplicité d’effet, qui font comprendre que notre génération ait cru
y trouver les principes d’un style nouveau et néanmoins classique.
*
* *
A la suite des maîtres qui forment le centre de la collection
Camondo, Vincent van Gogh et Henri de Toulouse-Lautrec, nés à
t. Maurice Denis, Théories, p. 249.
L’œuvre de Cézanne nous offre ce contraste, qui déconcerta
d’abord, de la sensibilité la plus fine et d’une abstraction portée à
l’extrême. Incapable d’invention dans le sujet, c’est dans la couleur
qu’il a mis toute son imagination, toute son émotion. Il ne perce-
vait pas la forme indépendante de la couleur. Son œil découvrait
dans les dégradations produites par le relief des objets et par l’éclai-
rage auquel ils sont exposés une multiplicité de teintes qu’il voulut
exprimer, avec la conscience et l’application d’un bon ouvrier, au
moyen d’une gamme chromatique inédite. Pour lui l’ombre est une
couleur, la lumière est une couleur, la demi-teinte est une couleur1.
Dans la décomposition de la couleur telle qu’on l’avait comprise et
pratiquée avant lui, il y a des heurts, des lacunes, de l’inégal, des
réussites de hasard, de l’improvisation, de l’à peu près. C’est à la
fois le défaut et le charme des œuvres impressionnistes. Chez
Cézanne la finesse de la vision et la sûreté de la méthode sont telles
que les couleurs se continuent ou s’opposent par tons et demi-tons,
chacune étant un élément indispensable d’une harmonie concertée
et jouant son rôle avec un maximum d’intensité,sans rien perdre
de son éclat propre : en même temps les touches prudemment
juxtaposées par le pinceau donnent à l’exécution l’aspect d’un riche
tissu, lisse et fondu. Ainsi Cézanne arrive au simple par le multiple
et tend à la synthèse par les moyens de l'analyse.
Il n’est pas facile d’expliquer pourquoi le besoin d’une ordon-
nance logique, la volonté d’une sorte de géométrie expressive, en se
superposant ou en s’amalgamant à ce qu’il appelait « sa petite sen-
sation )>, l’ont conduit trop Souvent à des gaucheries, à des mala-
dresses qui sont, — faut-il s’en étonner? — ce que ses imitateurs ont
surtout retenu de son exemple. Mais les toiles de Cézanne où la
sensation et l'abstraction s’accordent sans détriment pour l’une ou
pour l’autre ont un aspect à la fois chatoyant et robuste; elles ont
aussi une plénitude d’harmonie, une noblesse, une sérénité, une
simplicité d’effet, qui font comprendre que notre génération ait cru
y trouver les principes d’un style nouveau et néanmoins classique.
*
* *
A la suite des maîtres qui forment le centre de la collection
Camondo, Vincent van Gogh et Henri de Toulouse-Lautrec, nés à
t. Maurice Denis, Théories, p. 249.