LE GRELOT
NOS DESSINS REFUSÉS
Nos excellents amis les censeurs, désireux sans doute de réparer les
torts qu'ils ont eus en interdisant trois dessins destinés à notre numéro pour-
ra souscription des Femmes de France, ont eu l'extrême obligeance de
refuser cette semaine encore les deux dessins que nous avions successi-
vement soumis à leur haute approbation.
I. Le Refuge du Pécheur représentait M. Janvier de la Motte dans les
bras de M Pouyer-Quertier.
II. La Poule au Pot : le comte de Cliambord, en cuisinier, poursui-
vant la poule-peuple pour l'accommoder à sa façon. Ce dessin nous pa-
raissait'd'autant plus innocent que nous avions représenté il y a quinze
jours — avec l'approbtaion des mêmes censeurs — le même comte de
Cliambord s'apprêtant à découper, en compagnie de Napoléon 1 IL et,du
eomie de Paris, une dinde qui personnifiait la France.
MM. les censeurs, ennuyés par nos justes critiques, seraient-ils dé-
cidés à nous refuser, de parti pris et sans aucun motif plausible, les des-
sins que nous sommes obligés de leur soumettre? Nous en appellerions
en ce cas à leurs supérieurs et nous sommes sûrs d'être entendus.
LA SEMAINE PARISIENNE
M'accusera-l-on d'en vouloir à ce qui nous reste de liberté
si ie demande l'égalité des comptes rendus pour les journaux
quotidiens? J'entends les comptes rendus des séances législa-
tives et même ceux des tribunaux.
L'impartialité devrait être le premier souci de ces quasi-sté-
no°raphes chargés de transmettre au public le résumé des dis-
cours rie députés ou le sens des dépositions de témoins ; après
quoi les journaux pourraient apprécier et commenter ces ré-
sumés selon leurs passions et leurs aspirations politiques.
Mais ce n'est plus le cas, et depuis quelque temps le public
est dupe d'un système de comptes rendus politiques que je
voudrais voir disparaître au nom du bon sens, au nom de
l'honnêteté. . . .
Prenons pour exemple un procès déjà vieux de quinze jours,
mais dont on parle encore : le procès Janvier de la Motte.
Les comptes rendus des journaux bonapartistes ou simple-
ment favorables à l'accusé se ressemblaient tous.
Témoins à charge ( Voir le journal f Ordre).
M. le maire de... balbutie quelques mots sans importance
qui semblent ne produire aucun effet sur les jurés.
M Pinard, ancien ministre de l'intérieur, déclare avec un
accent d'une sincérité incontestable, que M. Janvier n'a jamais
cessé à ses yeux, d'être un parfait honnête homme. Il ne le
cite pas comme le modèle des préfets, ni comme le plus méti-
culeux des administrateurs, non ! Mais il est persuadé que son
désordre n'a jamais nui à personne, et s'il l'a destitué quand il
était ministre de l'intérieur, comme homme privé il l'estime
et l'aime. Quant aux virements et aux mandats fictifs, M. Pi-
nard explique que ce ne sont la que des moyens, — fâcheux
sans nul doute, — de venir en aide à des administrés pauvres,
mais honnêtes. „
Ces fières paroles, sont d'un grand eflet. Un long frémisse-
ment de sympathie parcourt l'auditoire. M. le président est
obligé de rappeler que les marques à'approbation sont défen-
dues comme celles A'improbation.
Témoins à charge (Voir le Radical).
M. LE maire DE..., d'une voix forte, foudroyant l'accusé d'un
regard terrible, raconte que le sieur Janvier lui Ht offrir une
somme de trois mille francs à la condition de receveur en
échange un reçu de six mille. Je refusai !
Cette déposition courte, précise, fièrement prononcée, mar-
quée à l'accent de la sincérité, est d'un effet énorme, On long
frémissement d'indignation parcourt l'auditoire. M. le prési-
dent est obligé de rappeler que les marques a'improbation sont
défendues comme celles d'approbation.
M. Pinard, l'ex-ministre de l'intérieur de l'empire, le héros
du cimetière Montmartre, essaye en vain de justifier son an-
cien complice; sa déposition théâtrale, dans laquelle la con-
viction est absente, ne semble produire aucun effet sur les
jurés. t
* *
Admettons un instant que M. Janvier de la Motte eut été re-
connu coupable et condamné ; les lecteurs des journaux favo-
rables n'eusssent-ils pas été en droit de crier à l'injustice ?
__Comment, auraient-ils dit, un si honnête homme, un si bon
préfet, un si brave cœur! Les témoins à charge eux-mêmes
n'osaient l'accuserl On le condamne! C est inouï, incroyable,
indécent!
De leur côté, les lecteurs des journaux radicaux n'ont pas
tort, aujourd'hui, de dire absolument le contraire.
__ Acquitté, mais c'est un scandale! Acquitté, ce préfet
éhonté, cet administrateur frauduleux! Acquitté, après lesté-
moigna'ges écrasants des témoins à charge et à décharge! C'est
inouï, incroyable, indécent!
Tous ont raison, les journaux seuls ont torL
*
* *
Et remarquez que les jurés, pour mettre un peu d'ordre
dans leurs idées, ont l'habitude de relire dans le journal du
matin les débats de la veille, et que le compte rendu, s'il est.
systématiquement favorable ou défavorable, doit nécessaire-
ment avoir une certaine influence sur leurs décisions.
Cela étant, je voudrais que — pour les procès criminels —
un seul compte rendu officiel, sténographié ou analytique, fut
imposé à nos grands confrères.
Je voudrais qu'il en fût de même pour les débats de la
Chambre.
Il est, en effet, impossible de se faire une idée vraie de ces
débats si on les lit en dehors du Journal officiel.
S'agit-il, par exemple, des débats sur l'Internationale : les
journaux «'de l'ordre » affublent MM. Tolain et Louis Blanc de
discours ridicules, incohérents, interrompus par des apostro-
phes piteusement relevées. Les journaux radicaux se vengent
en tronquant et dénaturant les paroles de M. Depeyre et en
faisant de cet orateur de mérite une nullité rabâchante, parfai-
tement intolérable.
Souvent, pour le même passage du même discours, les
journaux monarchistes annoncent des murmures à droite elles
journaux républicains des murmures à gauche.
Bien pis :
L'autre jour, messieurs de la droite formulent *— c'est' une
manie — contre le gouvernement de M. Gambetta, ne accusa-
tion de malhonnêteté que l'ancien dictateur relève avec l'au-
torité qu'il a conservée à la tribune,
— Vous avez, dit-il, institué une commission qui scrute
depuis-un an tous les actes de mon gouvernement; s'il y ji eu
des fraudes commises, citez-lés.
Cela paraît logique, le but de cette commission d'enquête
n'étant pas évidemment de prouver que le vingt du mois de
décembre M. Gambetta mangeait des huîtres avec MM. Spullcr
et Ranc. , .
Les. journaux radicaux citent les paroles de M. Gambetta,
mais les autres — rien. — Selon ceux-là, M. Gambetta n'a rien
trouvé à répondre ou du moins n'a répondu que par des bê-
tises violentes. — C'est donc une accusation formelle acceptée
par l'illustre orateur et fortifiée par son silence. Vraiment,
ceci ne dépasse-t-il pas les bornes de la liberté permise?
Le mot de la fin. __ .
La scène se passe en police correclionnelle.
le président. — Accusé, vous avez enlevé un porte-monnaie
dans la poche de votre voisin; on vous a pris sur le fait, et
néanmoins, devant le commissaire de police, vous avez déclaré
que le porte-monnaie était à vous. C'est un vol qualifié, cela?
l'accusé. — Non, monsieur le président, c'est un virement !
Je songeai au désespoir de vous tous, si vous ne voyiez plus
reparaître votre malheureux Flammèche.
Et j'eus grand'peine à retenir une larme.
Mais je la retins, et ce fut d'une voix assurée que je demanda'
à voir l'illustre peintre des Baigneuses.
LE BERGER COURBET
Il me prit, il y a quelques jours, une singulière fantaisie.
Je ne sais pas si c'élait le printemps qui en était cause;
mais entre autres démangeaisons, je me levai un matin avec
celle de rendre visite à l'illustre Courbet.
Oui, j'avais lu la veille une lettre adorable du célèbre débou-
lonneur, lettre dans laquelle il parlait en termes exquis de sa
petite chambre exposée au soleil et des glycines mêlées aux
lilas, dont les grappes odorantes encadraient sa fenêtre.
On m'a changé mon Courbet à Versailles, pensai-je.
Quoi! ce gros homme, dit le Tombeau des Docks, que j'avais
vu chez le père Laseur étonner l'assistance par sa soif, cet
amant brutal de toutes les crudités, ce peintre qui a fait pour
Khalil-Bey ce fameux tableau qui représente.....
(Points suspensifs.)
Le voilà qui troubadourise ! qui aime les glycines! le chant
des petits oiseaux 1 la lueur douce de la lune argentée dans les
verts bocages! les étoiles! le bleu! le murmure du vent.l la
chaste ivresse du sirop d'orgeat 1
Allons donc !
Ce n'est pas possible!
Je veux mon Courbet, le vrai, le grand, le gros!
Je ne peux pas me faire à l'idée de voir cet éléphant respirer
des roses.
[1 faut que je m'assure par moi-même de ce fait inoui et dont
les conséquences peuvent être incalculables.
Une fois ce désir bien ancré chez moi, je me hâtai de le
satisfaire.
Je me dirigeai donc, sans perdre un instant, vers la maison
de santé où gémit depuis six mois-.le célèbre peintre d'Ornans,
derrière des barreaux en sucre de pomme et sous des verrous
en chocolat.
Je ne dois pas vous dissimuler, û mes lecteurs, que je res-
sentis une vive émotion en franchissant le seuil de cet asile qui
a abrité tant de gâteux.
GR1NGOIRE.
On lit dans le Pays :
« N'y a-t-il pas un manque de sens moral à faire des différences, à
établir des nuances entre les diverses manières de renverser un gouver-
nement établi ?
« N'y a-t-il pas tout un encouragement imprudent, insensé, dans cette
façon déjuger les événements, par cela même qu'ils ont bien ou mal
tourné ?
« Car, enfin,Supposons que la paix eût été faite par le maréchal Ba-
zaine, après de grandes victoires à Metz, et que l'Empire fût revenu
soudain.
« Qu'est-ce qui se serait passé raisonnablement?
« MM. Jules Favre, Jules Simon, Picard et autres auraient remplacé
devant les conseils de guerre les Mégy, les Bochefort et les Assi ; et- le
général Trochu serait peut être à la place de Pascal Grousset dans les
casemates du fort Boyard.
« Rossel 'n'était pas un assassin, Rossel voulait établir un gouverne-
ment à lui, Rossel avait une idée, Rossel voulait faire son 4 septembre, et
remplacer ceuxqui se trouvaient en place, et Kossel a été fusillé !
« A-t-on bien fait ?, .
« Certainement.
« Mais alors que méritent donc les hommes qui renversèrent le 4 .sep-
tembre, un gouvernement établi par la nation et ratifié quelques mois
avant par ie plébiscite que l'on connaît? »
Simple question à laquelle M. Paul de Cassagnac ne répon-
dra probablement pas ?
Que méritent les hommes qui, dans la nuit du 2 décembre
1851, renversèrent un gouvernement établi par la nation,
■arrêtèrent et emprisonnèrent les représentants du peuple,
déportèrent, fusillèrent, au nom de leur insurrection triom-
phante ?
Le i septembre, c'est la République reprenant les droits
qu'on lui avait nuitamment volés, rétablissant ce que les hom-
mes de décembre avaient renversé.
Si le prince Louis Bonaparte, ex-président de la République
française, revenait aujourd'hui en France, M. de Cassagnac
réclamcrait-il pour lui les casemates dans une enceinte fortifiée
qu'il semble promettre au général Trochu ?
^^^^^^^^^^^^^^fàaigneuses. ^^^^^^^^^^^
Je dois dire que cette permission me fut accordée avec un
bonne grâce qui me charma. .....'
Le directeur voulut même me faire les honneurs de son nri
sonnier, et nous nous dirigeâmes vers le jardin. '"
Le coeur me battait à casser mes bretelles.
— Ainsi, monsieur, demandai-je au directeur, c'est bien l
vrai Courbet que je vais voir? '9
— Oui, monsieur.
— Le Courbet, bon teint et pur fil, que nous connaissons
— Absolument.
— Le Courbet, amant de la nature et qui a écrit une si ioli.
lettre sur les glycines de sa fenêtre? J !
— Lui-même.
— Vous ne sauriez croire l'effet que cela-me fait.
— Je le conçois.
— Et il est là ?... dans ce jardin?...
— Tenez...
— Hein?
— Regardez dans cette allée...
— Je regards.
— Le voilà !
— Le voilà?
— Oui.
— 0 mon Dieu, donnez-moi la force de contempler, sans m.
trouver mal, ce grand homme, ce vertueux citoyen!
Le ciel m'exauça, et c'est ainsi que je pus examiner le granl
déboulonneur dans le costume étrange et poétique qu'il-
adopté et qu'il a juré de ne plus quitter désormais.
Figurez-vous un berger de Watteau ! *
Habit violet, culotte de satin bleu, bas de soie chair, soulien
vernis à bouffettes roses, gilet d'une blancheur immaculée
A la main droite, une jolie petite houlette enrubannée déli
cieusement.
A la main gauche une laisse de satin.
Au bout de la laisse un petit mouton.
A la ceinture une flûte offrant la parfaite réduction de li
colonne Vendôme.
Seul souvenir que le grand homme ait voulu garder de soi
passage au pouvoir !
On m'aurait affirmé que, dans-un accès de somnambulisrai
j'avais trouvé du talent à Vacquerie, que je n'aurais pas élil
plus étonné. • ô
— Quoi! c'est là ce farouche Courbet? demandé-je à m
guide.
— C'est lui.
— Docteur! docteur! vous me la faites!.-..
— C'est lui", vous dis-je. Il a abjuré ses anciennes erreurs
fait cadeau de sa vieille défroque à son domestique.
— Ma parole d'honneur, c'est encore plus fort que je ne rai
l'étais imaginé!
— Tenez, le voilà qui s'approche... couchons-nous derrièrt
cet arbre et vous allez entend re sortir de sa bouche des paroles
plus douces que le miel de l'Hymette ou que la Revalescièn
Dubarry.
— Ecoutons!... mais, docteur, si vous me la faites!..
— Enfant!... vite couchez-vous.
Le berger Courbet approchait en effet, suivi de son petil
mouton, qui de temps en temps tentait de briser sa douci
chaîne pour brouter quelques brins d'herbe.
— Ici, Rigault! ici!... s'écria tout à coup d'une voix su'a|
le berger. B™«
— 11 a appelé son mouton Rigault, me fit à l'oreille le doc-
teur. C'est encore un souvenir de sa vie passée.
— Toquade innocente, certainement!
Le berger passait en ce moment devant nous, et je pus en-
tendre son monologue que je vous transmets, ô mes lecteurs,
avec la plus scrupuleuse fidélité.
Courbet, s'asseyant au pied d'un hêtre.
0 les prés! 6 les bois! ô les divines senteurs de la brise!I
que c'est bon le calme des champs ! C'est maintenant que j(
comprends toute la valeur de la nature ! A moi les bouquets
de fleurs 1 les paysages aux grands bœufs roux noyés dans 11
vapeur du matin! On m'avait jusque-là appelé à la brasser»
du père Laseur le grand Courbet, je veux que désormais on M
m'appelle plus que le doux! Je serai le cygne d'Ornans! je m
veux plus boire que du laitage, je laisse la bière à Vermescl
et l'absinthe à Razoua !... Je ne mangerai même plus de côte-
lettes. Tuer des moulons!... de jolis petits moutons bêlant].,,
fil l'horreur!... Ici, Rigault!... non, certes!... je ne vivrai plu>
que de massepains et de biscuits!... Ah! c'est qu'on m'a bien
méconnu, et la calomnie ne m'a pas épargné !
Oh ! la calomnie !
Je vous demande un peu si j'ai jamais dans ma vie écrase
une puce !
J'ai fait jeter par terre, il est vrai, cette grande bête de co-
lonne.
Mais pourquoi? , . . ,
Pourquoi?... Je vais le dire à l'écho de ce bois qui le rap-
portera à l'humanité entière. ,
J'ai renversé cet historique sucre d'orge, uniquement pa
amour de la belle nature et pour que du boulevard on p«l|
mieux distinguer le jardin des Tuileries,
Voilà! '. : , . .
0 les prés! ô les bois! ô les divines senteurs de la brise i..,
ici, Rigault!... ô le calme des champs !
Chantons maintenant les vers des poètes aimés.
(il prend sa flûte colonne Vendôme et module une ritournelle.)
Chantant.
Petite fleur des bois
Toujours, toujours cachée,
Longtemps je t'ai cherchée
Dans les, prés, dans les bois !
moi, bas au docteur.
Mais il est absolument ramolli!
le docteur, finement.
Croyez-vous ?
MOI.
Dame !
NOS DESSINS REFUSÉS
Nos excellents amis les censeurs, désireux sans doute de réparer les
torts qu'ils ont eus en interdisant trois dessins destinés à notre numéro pour-
ra souscription des Femmes de France, ont eu l'extrême obligeance de
refuser cette semaine encore les deux dessins que nous avions successi-
vement soumis à leur haute approbation.
I. Le Refuge du Pécheur représentait M. Janvier de la Motte dans les
bras de M Pouyer-Quertier.
II. La Poule au Pot : le comte de Cliambord, en cuisinier, poursui-
vant la poule-peuple pour l'accommoder à sa façon. Ce dessin nous pa-
raissait'd'autant plus innocent que nous avions représenté il y a quinze
jours — avec l'approbtaion des mêmes censeurs — le même comte de
Cliambord s'apprêtant à découper, en compagnie de Napoléon 1 IL et,du
eomie de Paris, une dinde qui personnifiait la France.
MM. les censeurs, ennuyés par nos justes critiques, seraient-ils dé-
cidés à nous refuser, de parti pris et sans aucun motif plausible, les des-
sins que nous sommes obligés de leur soumettre? Nous en appellerions
en ce cas à leurs supérieurs et nous sommes sûrs d'être entendus.
LA SEMAINE PARISIENNE
M'accusera-l-on d'en vouloir à ce qui nous reste de liberté
si ie demande l'égalité des comptes rendus pour les journaux
quotidiens? J'entends les comptes rendus des séances législa-
tives et même ceux des tribunaux.
L'impartialité devrait être le premier souci de ces quasi-sté-
no°raphes chargés de transmettre au public le résumé des dis-
cours rie députés ou le sens des dépositions de témoins ; après
quoi les journaux pourraient apprécier et commenter ces ré-
sumés selon leurs passions et leurs aspirations politiques.
Mais ce n'est plus le cas, et depuis quelque temps le public
est dupe d'un système de comptes rendus politiques que je
voudrais voir disparaître au nom du bon sens, au nom de
l'honnêteté. . . .
Prenons pour exemple un procès déjà vieux de quinze jours,
mais dont on parle encore : le procès Janvier de la Motte.
Les comptes rendus des journaux bonapartistes ou simple-
ment favorables à l'accusé se ressemblaient tous.
Témoins à charge ( Voir le journal f Ordre).
M. le maire de... balbutie quelques mots sans importance
qui semblent ne produire aucun effet sur les jurés.
M Pinard, ancien ministre de l'intérieur, déclare avec un
accent d'une sincérité incontestable, que M. Janvier n'a jamais
cessé à ses yeux, d'être un parfait honnête homme. Il ne le
cite pas comme le modèle des préfets, ni comme le plus méti-
culeux des administrateurs, non ! Mais il est persuadé que son
désordre n'a jamais nui à personne, et s'il l'a destitué quand il
était ministre de l'intérieur, comme homme privé il l'estime
et l'aime. Quant aux virements et aux mandats fictifs, M. Pi-
nard explique que ce ne sont la que des moyens, — fâcheux
sans nul doute, — de venir en aide à des administrés pauvres,
mais honnêtes. „
Ces fières paroles, sont d'un grand eflet. Un long frémisse-
ment de sympathie parcourt l'auditoire. M. le président est
obligé de rappeler que les marques à'approbation sont défen-
dues comme celles A'improbation.
Témoins à charge (Voir le Radical).
M. LE maire DE..., d'une voix forte, foudroyant l'accusé d'un
regard terrible, raconte que le sieur Janvier lui Ht offrir une
somme de trois mille francs à la condition de receveur en
échange un reçu de six mille. Je refusai !
Cette déposition courte, précise, fièrement prononcée, mar-
quée à l'accent de la sincérité, est d'un effet énorme, On long
frémissement d'indignation parcourt l'auditoire. M. le prési-
dent est obligé de rappeler que les marques a'improbation sont
défendues comme celles d'approbation.
M. Pinard, l'ex-ministre de l'intérieur de l'empire, le héros
du cimetière Montmartre, essaye en vain de justifier son an-
cien complice; sa déposition théâtrale, dans laquelle la con-
viction est absente, ne semble produire aucun effet sur les
jurés. t
* *
Admettons un instant que M. Janvier de la Motte eut été re-
connu coupable et condamné ; les lecteurs des journaux favo-
rables n'eusssent-ils pas été en droit de crier à l'injustice ?
__Comment, auraient-ils dit, un si honnête homme, un si bon
préfet, un si brave cœur! Les témoins à charge eux-mêmes
n'osaient l'accuserl On le condamne! C est inouï, incroyable,
indécent!
De leur côté, les lecteurs des journaux radicaux n'ont pas
tort, aujourd'hui, de dire absolument le contraire.
__ Acquitté, mais c'est un scandale! Acquitté, ce préfet
éhonté, cet administrateur frauduleux! Acquitté, après lesté-
moigna'ges écrasants des témoins à charge et à décharge! C'est
inouï, incroyable, indécent!
Tous ont raison, les journaux seuls ont torL
*
* *
Et remarquez que les jurés, pour mettre un peu d'ordre
dans leurs idées, ont l'habitude de relire dans le journal du
matin les débats de la veille, et que le compte rendu, s'il est.
systématiquement favorable ou défavorable, doit nécessaire-
ment avoir une certaine influence sur leurs décisions.
Cela étant, je voudrais que — pour les procès criminels —
un seul compte rendu officiel, sténographié ou analytique, fut
imposé à nos grands confrères.
Je voudrais qu'il en fût de même pour les débats de la
Chambre.
Il est, en effet, impossible de se faire une idée vraie de ces
débats si on les lit en dehors du Journal officiel.
S'agit-il, par exemple, des débats sur l'Internationale : les
journaux «'de l'ordre » affublent MM. Tolain et Louis Blanc de
discours ridicules, incohérents, interrompus par des apostro-
phes piteusement relevées. Les journaux radicaux se vengent
en tronquant et dénaturant les paroles de M. Depeyre et en
faisant de cet orateur de mérite une nullité rabâchante, parfai-
tement intolérable.
Souvent, pour le même passage du même discours, les
journaux monarchistes annoncent des murmures à droite elles
journaux républicains des murmures à gauche.
Bien pis :
L'autre jour, messieurs de la droite formulent *— c'est' une
manie — contre le gouvernement de M. Gambetta, ne accusa-
tion de malhonnêteté que l'ancien dictateur relève avec l'au-
torité qu'il a conservée à la tribune,
— Vous avez, dit-il, institué une commission qui scrute
depuis-un an tous les actes de mon gouvernement; s'il y ji eu
des fraudes commises, citez-lés.
Cela paraît logique, le but de cette commission d'enquête
n'étant pas évidemment de prouver que le vingt du mois de
décembre M. Gambetta mangeait des huîtres avec MM. Spullcr
et Ranc. , .
Les. journaux radicaux citent les paroles de M. Gambetta,
mais les autres — rien. — Selon ceux-là, M. Gambetta n'a rien
trouvé à répondre ou du moins n'a répondu que par des bê-
tises violentes. — C'est donc une accusation formelle acceptée
par l'illustre orateur et fortifiée par son silence. Vraiment,
ceci ne dépasse-t-il pas les bornes de la liberté permise?
Le mot de la fin. __ .
La scène se passe en police correclionnelle.
le président. — Accusé, vous avez enlevé un porte-monnaie
dans la poche de votre voisin; on vous a pris sur le fait, et
néanmoins, devant le commissaire de police, vous avez déclaré
que le porte-monnaie était à vous. C'est un vol qualifié, cela?
l'accusé. — Non, monsieur le président, c'est un virement !
Je songeai au désespoir de vous tous, si vous ne voyiez plus
reparaître votre malheureux Flammèche.
Et j'eus grand'peine à retenir une larme.
Mais je la retins, et ce fut d'une voix assurée que je demanda'
à voir l'illustre peintre des Baigneuses.
LE BERGER COURBET
Il me prit, il y a quelques jours, une singulière fantaisie.
Je ne sais pas si c'élait le printemps qui en était cause;
mais entre autres démangeaisons, je me levai un matin avec
celle de rendre visite à l'illustre Courbet.
Oui, j'avais lu la veille une lettre adorable du célèbre débou-
lonneur, lettre dans laquelle il parlait en termes exquis de sa
petite chambre exposée au soleil et des glycines mêlées aux
lilas, dont les grappes odorantes encadraient sa fenêtre.
On m'a changé mon Courbet à Versailles, pensai-je.
Quoi! ce gros homme, dit le Tombeau des Docks, que j'avais
vu chez le père Laseur étonner l'assistance par sa soif, cet
amant brutal de toutes les crudités, ce peintre qui a fait pour
Khalil-Bey ce fameux tableau qui représente.....
(Points suspensifs.)
Le voilà qui troubadourise ! qui aime les glycines! le chant
des petits oiseaux 1 la lueur douce de la lune argentée dans les
verts bocages! les étoiles! le bleu! le murmure du vent.l la
chaste ivresse du sirop d'orgeat 1
Allons donc !
Ce n'est pas possible!
Je veux mon Courbet, le vrai, le grand, le gros!
Je ne peux pas me faire à l'idée de voir cet éléphant respirer
des roses.
[1 faut que je m'assure par moi-même de ce fait inoui et dont
les conséquences peuvent être incalculables.
Une fois ce désir bien ancré chez moi, je me hâtai de le
satisfaire.
Je me dirigeai donc, sans perdre un instant, vers la maison
de santé où gémit depuis six mois-.le célèbre peintre d'Ornans,
derrière des barreaux en sucre de pomme et sous des verrous
en chocolat.
Je ne dois pas vous dissimuler, û mes lecteurs, que je res-
sentis une vive émotion en franchissant le seuil de cet asile qui
a abrité tant de gâteux.
GR1NGOIRE.
On lit dans le Pays :
« N'y a-t-il pas un manque de sens moral à faire des différences, à
établir des nuances entre les diverses manières de renverser un gouver-
nement établi ?
« N'y a-t-il pas tout un encouragement imprudent, insensé, dans cette
façon déjuger les événements, par cela même qu'ils ont bien ou mal
tourné ?
« Car, enfin,Supposons que la paix eût été faite par le maréchal Ba-
zaine, après de grandes victoires à Metz, et que l'Empire fût revenu
soudain.
« Qu'est-ce qui se serait passé raisonnablement?
« MM. Jules Favre, Jules Simon, Picard et autres auraient remplacé
devant les conseils de guerre les Mégy, les Bochefort et les Assi ; et- le
général Trochu serait peut être à la place de Pascal Grousset dans les
casemates du fort Boyard.
« Rossel 'n'était pas un assassin, Rossel voulait établir un gouverne-
ment à lui, Rossel avait une idée, Rossel voulait faire son 4 septembre, et
remplacer ceuxqui se trouvaient en place, et Kossel a été fusillé !
« A-t-on bien fait ?, .
« Certainement.
« Mais alors que méritent donc les hommes qui renversèrent le 4 .sep-
tembre, un gouvernement établi par la nation et ratifié quelques mois
avant par ie plébiscite que l'on connaît? »
Simple question à laquelle M. Paul de Cassagnac ne répon-
dra probablement pas ?
Que méritent les hommes qui, dans la nuit du 2 décembre
1851, renversèrent un gouvernement établi par la nation,
■arrêtèrent et emprisonnèrent les représentants du peuple,
déportèrent, fusillèrent, au nom de leur insurrection triom-
phante ?
Le i septembre, c'est la République reprenant les droits
qu'on lui avait nuitamment volés, rétablissant ce que les hom-
mes de décembre avaient renversé.
Si le prince Louis Bonaparte, ex-président de la République
française, revenait aujourd'hui en France, M. de Cassagnac
réclamcrait-il pour lui les casemates dans une enceinte fortifiée
qu'il semble promettre au général Trochu ?
^^^^^^^^^^^^^^fàaigneuses. ^^^^^^^^^^^
Je dois dire que cette permission me fut accordée avec un
bonne grâce qui me charma. .....'
Le directeur voulut même me faire les honneurs de son nri
sonnier, et nous nous dirigeâmes vers le jardin. '"
Le coeur me battait à casser mes bretelles.
— Ainsi, monsieur, demandai-je au directeur, c'est bien l
vrai Courbet que je vais voir? '9
— Oui, monsieur.
— Le Courbet, bon teint et pur fil, que nous connaissons
— Absolument.
— Le Courbet, amant de la nature et qui a écrit une si ioli.
lettre sur les glycines de sa fenêtre? J !
— Lui-même.
— Vous ne sauriez croire l'effet que cela-me fait.
— Je le conçois.
— Et il est là ?... dans ce jardin?...
— Tenez...
— Hein?
— Regardez dans cette allée...
— Je regards.
— Le voilà !
— Le voilà?
— Oui.
— 0 mon Dieu, donnez-moi la force de contempler, sans m.
trouver mal, ce grand homme, ce vertueux citoyen!
Le ciel m'exauça, et c'est ainsi que je pus examiner le granl
déboulonneur dans le costume étrange et poétique qu'il-
adopté et qu'il a juré de ne plus quitter désormais.
Figurez-vous un berger de Watteau ! *
Habit violet, culotte de satin bleu, bas de soie chair, soulien
vernis à bouffettes roses, gilet d'une blancheur immaculée
A la main droite, une jolie petite houlette enrubannée déli
cieusement.
A la main gauche une laisse de satin.
Au bout de la laisse un petit mouton.
A la ceinture une flûte offrant la parfaite réduction de li
colonne Vendôme.
Seul souvenir que le grand homme ait voulu garder de soi
passage au pouvoir !
On m'aurait affirmé que, dans-un accès de somnambulisrai
j'avais trouvé du talent à Vacquerie, que je n'aurais pas élil
plus étonné. • ô
— Quoi! c'est là ce farouche Courbet? demandé-je à m
guide.
— C'est lui.
— Docteur! docteur! vous me la faites!.-..
— C'est lui", vous dis-je. Il a abjuré ses anciennes erreurs
fait cadeau de sa vieille défroque à son domestique.
— Ma parole d'honneur, c'est encore plus fort que je ne rai
l'étais imaginé!
— Tenez, le voilà qui s'approche... couchons-nous derrièrt
cet arbre et vous allez entend re sortir de sa bouche des paroles
plus douces que le miel de l'Hymette ou que la Revalescièn
Dubarry.
— Ecoutons!... mais, docteur, si vous me la faites!..
— Enfant!... vite couchez-vous.
Le berger Courbet approchait en effet, suivi de son petil
mouton, qui de temps en temps tentait de briser sa douci
chaîne pour brouter quelques brins d'herbe.
— Ici, Rigault! ici!... s'écria tout à coup d'une voix su'a|
le berger. B™«
— 11 a appelé son mouton Rigault, me fit à l'oreille le doc-
teur. C'est encore un souvenir de sa vie passée.
— Toquade innocente, certainement!
Le berger passait en ce moment devant nous, et je pus en-
tendre son monologue que je vous transmets, ô mes lecteurs,
avec la plus scrupuleuse fidélité.
Courbet, s'asseyant au pied d'un hêtre.
0 les prés! 6 les bois! ô les divines senteurs de la brise!I
que c'est bon le calme des champs ! C'est maintenant que j(
comprends toute la valeur de la nature ! A moi les bouquets
de fleurs 1 les paysages aux grands bœufs roux noyés dans 11
vapeur du matin! On m'avait jusque-là appelé à la brasser»
du père Laseur le grand Courbet, je veux que désormais on M
m'appelle plus que le doux! Je serai le cygne d'Ornans! je m
veux plus boire que du laitage, je laisse la bière à Vermescl
et l'absinthe à Razoua !... Je ne mangerai même plus de côte-
lettes. Tuer des moulons!... de jolis petits moutons bêlant].,,
fil l'horreur!... Ici, Rigault!... non, certes!... je ne vivrai plu>
que de massepains et de biscuits!... Ah! c'est qu'on m'a bien
méconnu, et la calomnie ne m'a pas épargné !
Oh ! la calomnie !
Je vous demande un peu si j'ai jamais dans ma vie écrase
une puce !
J'ai fait jeter par terre, il est vrai, cette grande bête de co-
lonne.
Mais pourquoi? , . . ,
Pourquoi?... Je vais le dire à l'écho de ce bois qui le rap-
portera à l'humanité entière. ,
J'ai renversé cet historique sucre d'orge, uniquement pa
amour de la belle nature et pour que du boulevard on p«l|
mieux distinguer le jardin des Tuileries,
Voilà! '. : , . .
0 les prés! ô les bois! ô les divines senteurs de la brise i..,
ici, Rigault!... ô le calme des champs !
Chantons maintenant les vers des poètes aimés.
(il prend sa flûte colonne Vendôme et module une ritournelle.)
Chantant.
Petite fleur des bois
Toujours, toujours cachée,
Longtemps je t'ai cherchée
Dans les, prés, dans les bois !
moi, bas au docteur.
Mais il est absolument ramolli!
le docteur, finement.
Croyez-vous ?
MOI.
Dame !