DE SICILE, DE MALTE, ET DE LIPARI. 15
en ivoire un S. Michel, qui est accompagné de deux petits anges, &. qui foule sous ses pieds deux diables
qui sont groupés eniemble. II a, par un travail prodigieux, imité la nature jusque dans les plus petits dé-
tails ; on compterait les cheveux : c est son chef-d’œuvre, mais ce n’est pas une belle chose : l’artiste a du
talent, mais d manque de goût, de modèles & d’exercice. Je vis encore chez un autre Sculpteur de
sublimes bagatelles, qui font regretter que tant de talens avortent sans se développer. Ce n’est pas la
nature qui manque a I homme, c’est l’instruélion, l’éducation, l’émulation ; mais cela ne se trouve que dans
les pays riches.& peuplés : la Sicile l’étoit autrefois.
II y a dans les Églises de Trapani quelques bons tableaux 9 entre autres un S. Grégoire peint par
Vito d’Anna. *
Jen ai vu pour toute antiquité que deux têtes de lions qui décorent une fontaine ; elles sont très-mutilées.
II falloir bien aller voir la Madonne des Carmes, par laquelle on jure avec autant de vénération & de
crainte, que ce meme peuple jurait autrefois par le Styx.
Ce ne fut pas sans peine que j’obtins de la voir : après bien des formalités, un Carme en rochet & en
etole arriva, suivi d un frere , tous deux d’un air composé : le frère alluma des cierges, fit maints gestes,
agita une petite bonnette qu’il avoit à la main, pour avertir le public qui n’y étoit pas, car j’étois seul,
que laMadonne, alloit être découverte : il tira ensuite un rideau de damas, puis un de gaze. Alors je vis une
statue de marbre, grande comme nature . tenant un enfant dans ses bras ; ouvrage d’une composition
froide & d’un travail très-fini : les draperies sont assez bien imitées. Elle a été faite par Guagini, sculpteur
qui a rempli Païenne & la Sicile de ses produirons. Cette Madonne & le petit enfant Jesus ont chacun
une grosse couronne d’argent, de beaux colliers à plusieurs rangs, & des rubans & des bracelets ; grâces
à ces ornemens, ils paroissent magnifiques à la stupide ignorance. Dès qu’ils furent découverts, les deux
moines chantèrent une antienne, &. ensuite ils me firent voir la Vierge dans tous les sens.
Je montai delà au sommet du mont S. Julien, où fut jadis l’ancienne Drepanum, aujourd’hui petite
& misérable ville. On croit y voir un soubassement du fameux temple de Vénus Ericine; ce n’est qu’une
portion d’un mur vraiment antique, qui soutient des terres vers un angle de rocher. On montre avec "foin
dans la cour du château une citerne sans eau, qu’on dit être le puits de Vénus.
Le Baron Hernandès , pour qui le Prince Couteau m’avoit donné des lettres , me fit conduire par-
tout , me montra des vases, des médailles, & d’autres bagatelles antiques. II me donna des olives de
plomb, qu’il avoit trouvées en terre autour de la ville avec des monnoies. Ces olives, qu’on croit avoir
été lancées avec des frondes, sont grosses comme des noyaux de pêche.
On voit encore dans cette ville des fragmens de colonnes, & d’antiques inscriptions que Gruter &
quelques autres savans ont Recueillies. La plupart sont très-effacées.
Le Baron de Pwidzel assure que les iemmes de cette ville sont plus belles que les autres Siciliennes. Je
le félicite d’avoir pu en juger ; mais je ne les ai trouvées nulle part aussi tares, aussi difficiles à entrevoir.
Quoique dans tous les pays méridionaux les femmes vivent retirées , il semble que dans cette ville de
S. Julien elles soient absolument séquestrées : elles appréhendent sur-tout la rencontre des étrangers ; on a
pris soin de leur en faire la plus grande peur, de sorte quelles paroissent plutôt les fuir que les éviter.
Un curieux me fit part, avec une tendre effufîon de cœur, de deux grands avantages dont jouissent les
habitans de cette ville de S. Julien, par la proteâion spéciale de la Madonne de Trapani : savoir, que le
tonnerre n’y tombe jamais, &. que les voleurs n’y viennent point. Je fus frappé soudain de l’authenticité
du miracle ; car cette ville étant bâtie sur la cime d’une montagne très-élevée , les lourds nuages où se
forme le tonnerre sont toujours au dessous d’elle ; &. plus l’orage est violent dans la plaine, plus le ciel est
serein sur la ville. Ses habitans sont si pauvres, qu’il n’y a que les moines seuls qui puissent parvenir à en
obtenir quelque chose , encore faut-il qu’ils les prêchent long-temps.
Sur la cime de cette montagne, dans les trous des rochers les plus escarpés, des pigeons se sont logés,
& se sont excessivement multipliés. Comme ces oiseaux étoient consacrés à Vénus, dont le temple étoit
en ivoire un S. Michel, qui est accompagné de deux petits anges, &. qui foule sous ses pieds deux diables
qui sont groupés eniemble. II a, par un travail prodigieux, imité la nature jusque dans les plus petits dé-
tails ; on compterait les cheveux : c est son chef-d’œuvre, mais ce n’est pas une belle chose : l’artiste a du
talent, mais d manque de goût, de modèles & d’exercice. Je vis encore chez un autre Sculpteur de
sublimes bagatelles, qui font regretter que tant de talens avortent sans se développer. Ce n’est pas la
nature qui manque a I homme, c’est l’instruélion, l’éducation, l’émulation ; mais cela ne se trouve que dans
les pays riches.& peuplés : la Sicile l’étoit autrefois.
II y a dans les Églises de Trapani quelques bons tableaux 9 entre autres un S. Grégoire peint par
Vito d’Anna. *
Jen ai vu pour toute antiquité que deux têtes de lions qui décorent une fontaine ; elles sont très-mutilées.
II falloir bien aller voir la Madonne des Carmes, par laquelle on jure avec autant de vénération & de
crainte, que ce meme peuple jurait autrefois par le Styx.
Ce ne fut pas sans peine que j’obtins de la voir : après bien des formalités, un Carme en rochet & en
etole arriva, suivi d un frere , tous deux d’un air composé : le frère alluma des cierges, fit maints gestes,
agita une petite bonnette qu’il avoit à la main, pour avertir le public qui n’y étoit pas, car j’étois seul,
que laMadonne, alloit être découverte : il tira ensuite un rideau de damas, puis un de gaze. Alors je vis une
statue de marbre, grande comme nature . tenant un enfant dans ses bras ; ouvrage d’une composition
froide & d’un travail très-fini : les draperies sont assez bien imitées. Elle a été faite par Guagini, sculpteur
qui a rempli Païenne & la Sicile de ses produirons. Cette Madonne & le petit enfant Jesus ont chacun
une grosse couronne d’argent, de beaux colliers à plusieurs rangs, & des rubans & des bracelets ; grâces
à ces ornemens, ils paroissent magnifiques à la stupide ignorance. Dès qu’ils furent découverts, les deux
moines chantèrent une antienne, &. ensuite ils me firent voir la Vierge dans tous les sens.
Je montai delà au sommet du mont S. Julien, où fut jadis l’ancienne Drepanum, aujourd’hui petite
& misérable ville. On croit y voir un soubassement du fameux temple de Vénus Ericine; ce n’est qu’une
portion d’un mur vraiment antique, qui soutient des terres vers un angle de rocher. On montre avec "foin
dans la cour du château une citerne sans eau, qu’on dit être le puits de Vénus.
Le Baron Hernandès , pour qui le Prince Couteau m’avoit donné des lettres , me fit conduire par-
tout , me montra des vases, des médailles, & d’autres bagatelles antiques. II me donna des olives de
plomb, qu’il avoit trouvées en terre autour de la ville avec des monnoies. Ces olives, qu’on croit avoir
été lancées avec des frondes, sont grosses comme des noyaux de pêche.
On voit encore dans cette ville des fragmens de colonnes, & d’antiques inscriptions que Gruter &
quelques autres savans ont Recueillies. La plupart sont très-effacées.
Le Baron de Pwidzel assure que les iemmes de cette ville sont plus belles que les autres Siciliennes. Je
le félicite d’avoir pu en juger ; mais je ne les ai trouvées nulle part aussi tares, aussi difficiles à entrevoir.
Quoique dans tous les pays méridionaux les femmes vivent retirées , il semble que dans cette ville de
S. Julien elles soient absolument séquestrées : elles appréhendent sur-tout la rencontre des étrangers ; on a
pris soin de leur en faire la plus grande peur, de sorte quelles paroissent plutôt les fuir que les éviter.
Un curieux me fit part, avec une tendre effufîon de cœur, de deux grands avantages dont jouissent les
habitans de cette ville de S. Julien, par la proteâion spéciale de la Madonne de Trapani : savoir, que le
tonnerre n’y tombe jamais, &. que les voleurs n’y viennent point. Je fus frappé soudain de l’authenticité
du miracle ; car cette ville étant bâtie sur la cime d’une montagne très-élevée , les lourds nuages où se
forme le tonnerre sont toujours au dessous d’elle ; &. plus l’orage est violent dans la plaine, plus le ciel est
serein sur la ville. Ses habitans sont si pauvres, qu’il n’y a que les moines seuls qui puissent parvenir à en
obtenir quelque chose , encore faut-il qu’ils les prêchent long-temps.
Sur la cime de cette montagne, dans les trous des rochers les plus escarpés, des pigeons se sont logés,
& se sont excessivement multipliés. Comme ces oiseaux étoient consacrés à Vénus, dont le temple étoit