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L APRE SAVEUR DE LA VIE
La cruelle exaltation et le grossier attendrissement causés
par la vue de l’échafaud formaient des éléments importants
dans la vie spirituelle du peuple. C’était un spectacle
moralisé. Pour les crimes horribles, la justice inventait
d’horribles punitions. A Bruxelles, un jeune incendiaire et
meurtrier est attaché par une chaîne qui tourne autour d’un
pivot, au milieu d’un cercle de fagots enflammés. Il se donne
en exemple au peuple en des discours émouvants « et telle-
ment fit attendrir les coeurs que tout le monde fondoit en
larmes de compassion ». « Et fut sa fin recommandée la plus
belle que l’on avait oncques vue » (1). Messire Mansart du
Bois, Armagnac, décapité à Paris en 1411 pendant la terreur
bourguignonne, non seulement donne l’absolution au bour-
reau qui, selon la coutume, la lui demande, mais encore
implore celui-ci de l’embrasser. « Foison de peuple y avait,
qui quasi tous ploraient à chaudes larmes (2). » Si les vic-
times étaient de grands seigneurs, comme c’était souvent
le cas, le peuple avait la double satisfaction de voir justice
sévèrement faite, et de considérer l’inconstance de la fortune
exemplifiée d’une manière plus frappante encore que dans
les danses macabres. Les magistrats prenaient soin que rien
ne manquât au spectacle : c’est avec les insignes de leur gran-
deur que les seigneurs étaient conduits au supplice. Jean de
Montaigu, grand maître de l’hôtel du roi, victime de la haine
de Jean sans Peur, va à l’échafaud, assis très haut sur une
charrette et précédé de deux clairons ; il porte son costume
d’apparat, chaperon, houppelande, des bas mi-partie rouges
et blancs, aux pieds, ses éperons d’or. C’est pourvu de ces
mêmes éperons d’or que le cadavre décapité est suspendu au
gibet.
Victime de la vengeance des Armagnacs en 1416, le riche
chanoine Nicolas d’Orgemont, revêtu d’un chaperon et d’un
grand manteau violet, traverse Paris sur une charrette à
ordures, pour assister à la décollation de deux compagnons î
plus tard, il est lui-même condamné à la prison perpétuelle,
(1) Chastellain, III, p. 461, cf. V, p. 403.
(2) Jean Juvénal des Ursins, 1412, éd. Michaud et Poujoulat, Nouvelle
collection des mémoires, II, p. 474.
L APRE SAVEUR DE LA VIE
La cruelle exaltation et le grossier attendrissement causés
par la vue de l’échafaud formaient des éléments importants
dans la vie spirituelle du peuple. C’était un spectacle
moralisé. Pour les crimes horribles, la justice inventait
d’horribles punitions. A Bruxelles, un jeune incendiaire et
meurtrier est attaché par une chaîne qui tourne autour d’un
pivot, au milieu d’un cercle de fagots enflammés. Il se donne
en exemple au peuple en des discours émouvants « et telle-
ment fit attendrir les coeurs que tout le monde fondoit en
larmes de compassion ». « Et fut sa fin recommandée la plus
belle que l’on avait oncques vue » (1). Messire Mansart du
Bois, Armagnac, décapité à Paris en 1411 pendant la terreur
bourguignonne, non seulement donne l’absolution au bour-
reau qui, selon la coutume, la lui demande, mais encore
implore celui-ci de l’embrasser. « Foison de peuple y avait,
qui quasi tous ploraient à chaudes larmes (2). » Si les vic-
times étaient de grands seigneurs, comme c’était souvent
le cas, le peuple avait la double satisfaction de voir justice
sévèrement faite, et de considérer l’inconstance de la fortune
exemplifiée d’une manière plus frappante encore que dans
les danses macabres. Les magistrats prenaient soin que rien
ne manquât au spectacle : c’est avec les insignes de leur gran-
deur que les seigneurs étaient conduits au supplice. Jean de
Montaigu, grand maître de l’hôtel du roi, victime de la haine
de Jean sans Peur, va à l’échafaud, assis très haut sur une
charrette et précédé de deux clairons ; il porte son costume
d’apparat, chaperon, houppelande, des bas mi-partie rouges
et blancs, aux pieds, ses éperons d’or. C’est pourvu de ces
mêmes éperons d’or que le cadavre décapité est suspendu au
gibet.
Victime de la vengeance des Armagnacs en 1416, le riche
chanoine Nicolas d’Orgemont, revêtu d’un chaperon et d’un
grand manteau violet, traverse Paris sur une charrette à
ordures, pour assister à la décollation de deux compagnons î
plus tard, il est lui-même condamné à la prison perpétuelle,
(1) Chastellain, III, p. 461, cf. V, p. 403.
(2) Jean Juvénal des Ursins, 1412, éd. Michaud et Poujoulat, Nouvelle
collection des mémoires, II, p. 474.