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l’idée de chevalerie

française. La littérature bourguignonne, de caractère plus
archaïque, plus solennelle et plus emprisonnée dans les
formes féodales, n’aurait pu le produire. A côté du Jouvencel,
le héros bourguignon, Jacques de Lalaing, est une curiosité
antique faite, comme Gillon de Trazegnies, sur le vieux
cliché du chevalier errant. Le livre des exploits de ce héros
est plus rempli de tournois romanesques que de guerres
véritables (1).
Jamais le courage guerrier n’a été plus simplement ni plus
expressivement décrit que dans ce passage du Jouvencel (2).
« C’est joyeuse chose que la guerre... On s’entr’ayme tant à la
guerre. Quand on voit sa querelle bonne et son sang bien
combatre, la larme en vient à l’ueil. Il vient une doulceur
au cœur de loyaulté et de pitié de veoir son amy, qui si
vaillamment expose son corps pour faire acomplir le com-
mandement de nostre créateur. Et puis on se dispose d’aller
mourir ou vivre avec luy, et pour amour ne l’abandonner
point. En cela vient une délectation telle que, qui ne l’a
essaiié, il n’est homme^qui sceust dire quel bien c’est. Pensez-
vous que l’homme qui face cela craingne la mort ? Nennil ;
car il est tant réconforté, il est si ravi, qu’il ne scet où il est.
Vraiement il n’a paour de rien. »
Ces paroles pourraient aussi bien avoir été écrites par
un soldat moderne que par un chevalier du xve siècle. Elles
n’ont rien de spécifiquement médiéval. Elles nous révèlent
l’essence de la bravoure guerrière : l’oubli de soi-même
au milieu du danger, l’attendrissement sur le courage du
camarade, l’allégresse de la fidélité et du sacrifice. Cet ascé-
tisme primitif est la base sur laquelle l’idéal chevaleresque
s’élève jusqu’à la noble représentation de la perfection virile,
l’aspiration vers une vie de beauté, telle qu’elle s’exprime
dans le Kalokagathia des Grecs. Pendant des siècles, cet
idéal restera une source d’énergie... et aussi le masque der-
rière lequel se cache tout un monde d’égoïsme et de violence.
(1) Le livre des fais du bon chevalier Messire Jacques de Lalaing, éd. Kervyn
de Lettenhove, Ghastellain, Œuvres, VIII.
(2) II, p. 20.
 
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