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N° 10.

31 Mai 1884.

Vingt-sixième Annee.

JOURNAL DES BEAUX-ARTS

ET DE LA LITTÉRATURE.

DIRECTEUR : M. AD. SIRET.

MEMBRE DE L'ACADÉMIE ROY. DE BELGIQUE, ETC.

PARAISSANT DEUX FOIS PAR MOIS.

PRIX PAR AN : BELGIQUE : g FRANCS.

ÉTRANGER : 12 FR.

ADMINISTRATION ET CORRESPONDANCE

A S'-NICOLAS (BELGIQUE).

SOMMAIRE. Beaux-Arts : Histoires de voleurs
(suite). — Les peintres Autrichiens à Paris. —
La collection Gedon. — Chronique générale. —
Ca'oinet de la curiosité. — Annonces.

Beaux-Arts.

HISTOIRES DE VOLEURS.

(Suite).

Superpositions de noms. — Portraits faux.
— Copies. — Les restaurateurs. — Une
histoire incroyable mais vraie.

Revenons aux tableaux.

Il m'est arrivé, dans une carrière assez
longue, de visiter des collections où je trou-
vais des tableaux déjà vus ailleurs sous des
noms différents. A Bruxelles j'ai rencontré,
dans une vente faite en 1860, un Coques (ce
qui était audacieux). J'ai retrouvé ce même
tableau en 1869, catalogué sous le nom de
Mytens (ce qui est sans doute la vérité); en
'878 il a paru à Vienne sous le nom de...
Van Dyck ! A chacune de ces ventes le mo-
nogramme a été changé, sauf en 1878, épo-
que à laquelle toute signature a disparu,
«lais à sa place figurait le blason d'une noble
famille de Liège à laquelle des spéculateurs
adroits avaient fait croire que le personnage
représenté figurait un a'ieul. On avait aussi
ajouté que cette œuvre était ou de Coques
ou de Van Dyck. Je vous laisse à juger ce
que l'on a payé ce chef-d'œuvre ! Lorsqu'il
Portait la signature de Coques, celle-ci était
accompagnée de la date de 1690, c'est à dire
six ans après la mort de cet artiste. Les âne-
ries de ce genre ne sont pas rares, les frau-
deurs étant souvent aussi ignorants que vo-
leurs... heureusement.

On n'imagine pas le nombre de faux por-
traits qui figurent dans les galeries des an-
cêtres de quelques-unes de nos grandes mai-
sons. Souvent les chefs de ces maisons sont
de bonne foi et s'en rapportent complaisam-
ment aux entremetteurs. Une des familles
comtales du Brabant possède dans sa collec-
tion d'aïeux une mauvaise copie d'un por-
trait de Spinola couverte de sa brillante ar
mure. Dans un des coins figure le blason du
comte brabançon dont je parle. On comprend
assez, sans que j'aie besoin d'insister, com-
ment le noble comte a été indignement dupé
et l'est encore, car il est persuadé de l'authen-

ticité de son ancêtre. Il ignore parfaitement
que le marquis de Spinola a existé et a été
portraituré par Rubens dont le tableau de sa
galerie n'est qu'une méchante copie

Les copies!... Ah! c'est la source la plus
féconde des tromperies ; c'est là la semence la
plus productive des voleurs. On ne comprend
guère que des gouvernements (pour procurer
sans doute à certains l'occasion de voyager
aux frais du trésor, c'est à dire des contribua-
bles) encourage cet art fatal. Autant vaudrait
subsidier des ateliers de faux-monnayeurs ou
des écoles de fausses écritures. On a vu, au
début de cette histoire,les copies de la collec-
tion Petroleus qui à l'heure qu'il est infestent
plus de vingt musées et sur lesquels nombre
d'écrivains s'escriment à plaisir comme si
c'étaient des originaux. Je connais des copies
partout, supérieurement traitées, à tel point
que les propriétaires se fâchent tout rouge
quand vous leur dites la vérité! On con-
naît le magnifique Samson et Dalila de Van
Dyck, son plus beau morceau d'histoire le-
quel est au musée de Vienne; eh bien, j'en
connais deux splendides copies en Belgique.
Les propriétaires, très braves gens du reste,
sourient malicieusement quand on parle du
musée de Vienne, laissant ainsi accroire que
le dit musée pourrait bien avoir été... Après
cela, tout est possible. Ce qu'il y a de drôle,
c'est que les deux propriétaires dont il s'agit
se savent détenteurs du Samson en question;
aucun des deux ne veut se rendre chez l'autre,
de peur probablement,ou d'être désillusionné,
ou bien de faire naître quelque grave dispute
sur l'authenticité de l'œuvre.

Il est assez présumable que des copies au-
ront été faites de tout temps de l'œuvre ma-
gnifique de Van Dyck et livrées au com-
merce. Elles auront ainsi donné lieu à des
conflits que le rapprochement de ces copies
avec l'original ferait sans doute cesser immé-
diatement. C'est ainsi qu'à l'église de l'ab-
baye de Floreffe j'ai vu La Vierge et saint
Norbert de Van Dyck dont l'original est
également au musée de Vienne : or, un reli-
gieux de l'abbaye m'a soutenu que le tableau
de l'église était le vrai, le seul...

Ce qu'il y a de copies de la fameuse Venus
du Titien en Europe, est inimaginable. Bon
nombre de fanatiques ne se gêneront pas
pour vous soutenir que s'ils ne possèdent
point l'original, ils ont du moins une copie

faite de la main de l'artiste.

Ici l'on pourrait m'objecter que bon nom-
bre d'artistes célèbres se sont copiés ; on
vous cite la Madone de Holbein, le Christ
descendu de la croix de Van der Weyden,
des Raphaël, des Rubens, etc., etc Rien de
plus exact, mais ces copies sont elles-mêmes
très restreintes, on sait où elles sont et il
suffirait de les avoisiner avec les contrefa-
çons pour rétablir la vérité. Ceux qui sont
dans le vrai sont les gens qui vous diront
que certains artistes ayant des affinités de
talent avec celui de certains maîtres en ont
profité pour leur propre compte. Ceci est de
la plus exacte vérité. De tous temps il y a eu
des Trouillebert. On ne saura jamais le
nombre prodigieux de faux Corot, de faux
Millet et de faux Courbet qui parsèment le
sol du monde commercial. Il faut dire aussi
que ce sont gens faciles à imiter et que les
Rousseau, les Dupré, les Meissonnier ne
sont pas exploitables au même titre. D 'où
pourrait bien venir cette différence digne
d'être méditée? Mais rentrons dans notre
cadre.

Il y a aussi les originaux retouchés, mais
tellement retouchés qu'il n'en reste plus rien.
Dieu me préserve de faire la guerre aux bons
restaurateurs, mais il doit m'être permis de
déverser mon ire sur les mauvais. Le bon
restaurateur (rara avis!) est une véritable
providence; le mauvais est pire qu'un vo-
leur, c'est un criminel. Je vais donner quel-
ques preuves regrettant de devoir, en cette
matière, observer une réserve qui 11e me per-
met pas de clouer des noms au pilori, mais
il le faut. Tout ce que je puis espérer, c'est
que quelques-uns de mes lecteurs sauront
combler mon silence.

D'abord les restaurateurs, il faut le dire à
leur décharge, se trouvent parfois en pré-
sence d'œuvres tellement détériorées que leur
réintégration semble devoir constituer un
véritable miracle. Le bon restaurateur,'j'allai
dire le bon Samaritain, doit se livrer à une
étude approfondie de son blessé et,souvent,il
arrive que presque rien n'est resté de son
ancienne constitution quand il est remis sur
pied. J'ai examiné à la loupe, longuement,
soigneusement, et parfois dans un état voisin
de la fièvre, le fameux Agnus Dei des frères
Van Eyck de l'église de Saint-Bavon et je
déclare, en âme et conscience, qu'il reste à
 
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