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N° 13.

17 Juillet 1884.

Vingt-sixième Annee.

JOURNAL DES BEAUX-ARTS

ET DE LA LITTERATURE.

DIRECTEUR: M Ad. SIRET.

membre de l'académie roy. de belgique, etc.

paraissant deux fois par mois.

PRIX PAR AN : BELGIQUE : g FRANCS.

étranger : 12 fr.

ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE
a s ^-Nicolas (Belgique).

SOMMAIRE. Beaux-arts : Histoire de voleurs. —
Beaux-arts. — Peintures murales à l'église fie Ste-
Anne, à Gand. — Nouvelles du pays de l'art.
— Chronique générale. — Bibliographie. —
Cabinet de la curiosité. — Annonces.

Beaux-Arts.

HISTOIRES DE VOLEURS

ET AUTRES.

[Suite.)

LE COPISTE MYSTÉRIEUX.

C'est triste à avouer, mais c'est en Bel-
gique que l'on trouve le plus grand nombre
de meilleurs copistes. Il y a à cela une cause
assez simple qui ne justifie rien, mais qui ex-
plique tout : en général les peintres belges man-
quent d'instruction, même les plus forts. Il
faut, pour se convaincre de cette vérité., avoir
assisté aux examens littéraires, exigés par la
loi, des lauréats du prix de Rome. Il serait
superflu de citer des exemples, ils seraient,
j'ose le dire, humiliants. Donc manquant
d'instruction, ils manquent essentiellement
d'initiative et ne savent pas trouver de sujet
a exploiter avec le talent pictural dont toute
notre école semble douée dès le berceau, car,
°n le sait, le Flamand nait avec une pa-
lette dans le ventre. Dès lors ils se voient
re'duîts à ne peindre que des données insuf-
fisamment intéressantes ou à contrefaire ce
qu'ils voient, et, comme ils vendent peu et
qu'ils faut vivre, ils arrivent tout doucement
a se faire copistes et à considérer ce métier
comme une industrie légitime, parce que,
disent-ils, ils préviennent l'amateur. J'en ai
connu qui cachaient leurs agissements :
d'autres avouaient rondement leurs opéra-
tions. Les uns comme les autres finissaient
toujours par s'expatrier pour Londres et l'A-
mérique où le public, semble-t il, est plus
facile à duper qu'ailleurs.

C'est une des grandes villes du pays, qui
11 est pas Bruxelles, où l'on compte le plus de
copistes. Un des premiers fut un peintre de
Marines très connu. Ses tableaux étaient af-
freux, mais il peignait avec une fougue ex-
traordinaire et s'appropriait merveilleuse-
ment le style des autres. Il vécut à Londres
quelques années, résida en Amérique et
Vlent s'établir à Cologne où il mourut en
laissant une superbe fortune à ses filles. Un
autre, de la même ville et à la même époque,
'*840) s'était fait une spécialité des moutons

de Verboeckhoven avec lesquels il s'enrichit.
Celui-là, après avoir réalisé, alla se cacher à
New-Yorck où il est mort riche. Verboeck-
hoven connaissait le faussaire et prétendait sé-
rieusement que cet homme lui faisait beaucoup
de bien en popularisant son nom ; il se serait
bien gardé de le poursuivre,l'eût-il pu. Il pré-
tendait que le chiffre des commandes augmen-
tait chaque fois que le faussaire en question
glissait, dans les grandes vente du temps, des
moutons exposés sous son nom Un autre
encore de la même ville, établi en Hollande,
confectionnait, avec un énorme talent, des
faux Rembrandt, auxquels plus d'un s'est
laissé prendre. Celui-là, après avoir ramassé
une somme considérable, est venu se brûler à
Paris, où il mourut à l'hôpital après avoir
tout perdu dans des spéculations financières.

Il en est un dont la vie a été un chef d'oeu-
vre d'habileté. Je veux narrer ici ce que je
sais de son histoire sans le nommer. Il en
est bon nombre qui le reconnaîtront; quant
aux autres, à quoi leur servirait de clouer
ici son nom. D'ailleurs je l'ai dit en commen-
çant, ce n'est pas un pilori vengeur que je
dresse, j'écris pour l'enseignement des foules
dans l'espoir, bien insensé, je crois, de dimi-
nuer le nombre des jobards que séduit l'at-
trait d'un grand nom et qui se laissent en-
tortiller dans des filets toujours habilement
tendus.

Je l'ai connu en 1846. Je lui donnerai
le sobriquet de Tignasse en souvenir de ses
cheveuxraidesetépaisqui formaient la carac-
téristique de sa tête. A cette époque il était
châtain, son visage toujours frais et rose était
agrémenté d'une petite moustache blonde
sans crocs. Il avait l'œil petit, perçant et
bon; un sourire aimable folâtrait sur sa
bouche quand celle-ci n'était pas collée à sa
longue pipe de Hollande qu'il renouvelait
tous les jours. Il était genriste. Ses tableaux
n'avaient aucune importance comme su-
jets, mais ils étaient peints dans une gamme
blonde d'une extrême distinction. Son dessin
se montrait spirituel, délié et correct. Mal-
gré tout cela, il vendait peu, très peu et on
se demandait comment il faisait honneur à
ses affaires, car on ne lui connaissait aucun
revenu autre que celui de la vente de ses ta-
bleaux. Rarement le prix de ceux-ci dépas-
sait mille francs. Comme il était d'une len-
teur extrême au travail et qu'en outre les

acheteurs faisaient notoirement défaut, on ne
comprenait guères qu'il put payer le loyer
d'une belle maison au centre de la ville
où personne ne pénétrait et où il demeurait
avec une vieille bonne et qu'il pût suffire
aux besoins de son existence.

On avait remarqué que trois ou quatre
fois par an Tignasse quittait la ville. Il allait,
disait-il, faire un voyage d'agrément, tantôt
en Angleterre, tantôt en Hollande et ailleurs.
Ses voyages duraient une quizaine de jours.

Quand je le connus, il avait passé dix ans
en Prusse, il pouvait avoir trente-cinq ans.
Je le rencontrai le soir dans certain café où
je le trouvai réuni à une dixaine d'artistes
Sa conversation était sobre. En art il était
matérialiste absolu. Quand on parlait des
anciens il semblait s'y connaître. Il raffolait
des Hollandais, surtout de Jean Steen qu'il
connaissait sur le bout des doigts, ce qui ne
m'étonna plus dans la suite.

Je fus une quinzaine d'années sans revoir
Tignasse. Les hasards de la vie me firent
habiter la ville où il vivait ; je renouai con-
naissance et toujours, le soir, au même lieu
de réunion, on se revoyait Les amis m'ap-
prirent que sa position de fortune s'était
notablement améliorée, qu'il était toujours
le même, cachotier à propos de ses travaux
dont nul ne savait absolument rien. C'est à
cette époque que m'arriva mon aventure au
sujet de la collection Pétroléus racontée plus
haut et c'est, sans le vouloir, que ce fut
sous l'impression de cet événement, que je
me repris à recultiver la connaissance de
Tignasse.

Un jour, désirant consulter une spécialité
médicale, à Bonn, je partis. Quel ne fut pas
mon étonnement en entrant dans mon com-
partiment de trouver maître Tignasse qui se
rendait également à Bonn. Tandis que je me
montrais joyeux d'avoir un compagnon de
voyage, il eut des sourires ambigus que je
m' expliquai dans la suite. Lorsque je lui
eus dit le nom du médecin chez lequel je
me rendais, il m'apprit que ce praticien de-
meurait dans une villa voisine de celle où il
se rendait lui-même. Au lieu de s'applaudir
d'une coïncidence qui, après tout, devait
embellir notre excursion, il se montra assez
rogue. Mais abrégeons.

A Bonn, après la conférence chez mon
Esculape,le hasard nous fit parler de tableaux
 
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