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N° 15.

17 AOÛT 1884.

Vingt-sixième Annee.

JOURNAL DES BEAUX-ARTS

ET DE LA LITTÉRATURE.

DIRECTEUR: M Ad. SIRET.
membre de l'académie roy. de belgique, etc.

SOMMAIRE. Beaux-Arts : Histoire de voleurs et
autres. — Revue musicale. — l'atelier de M.
Guffens. — Rapport de la commission de Biogra-
phie nationale. —Société archéologique de Ber-
lin. — Chronique générale. — Cabinet de la
curiosité. — Annonces.

Beaux-Arts.

HISTOIRES DE VOLEURS
ET AUTRES.

(Suite.)

Les détrousseurs d'église. — Beautés de l'archéologie
dans les communes rurales.

Je ne crois pas le gouvernement assez armé
contre le dégarnissement lent et continu de
nos églises en ce qui concerne les objets d'art.
Nous avons bien une institution (devenue
•nutile) qui s'appelle la commission provin-
ciale des monuments, mais elle ne peut ab-
solument rien, comme je vais le prouver. Je
la considère même comme des plus nuisibles
dans l'espèce et l'on va voir comment et
Pourquoi lorsque j'aurai esquissé quelques
histoires de l'authenticité la plus indiscu-
table. Beaucoup de mes lecteurs pourront
lettre des noms à la place des X... que je
suis obligé d'adopter. D'ailleurs si on ne
me croit pas, tant pis pour les incrédules,
auxquels je dirai que bien loin d'inventer ces
histoires, il en est bon nombre que je suis
obligé de taire à cause des conséquences
Qu'elles pourraient entraîner pour ma tran-
quillité. J'ai bien consigné sur le papier tout
Ce que j'ai à dire dans la mission dont je me
suis censtitué l'apôtre, mais je fais un choix
dans ce tas volumineux. Si après moi on juge
a propos de lever les écluses et de lâcher le
torrent, c'est à voir. En attendant Ail right!

Celui auquel je vais faire allusion vit en-
core, je pense, à Paris ou à Bruxelles. Il est
richissime. Sa fortune le rendait éligible au
Sénat maïs comme il craignait une trop lu-
mineuse clarté, il a éparpillé ses biens entre
ses enfants et s'est réservé un portefeuille
d une épaisseur à le faire crever.

Dans l'espace de plus de quarante ans voici
comment il a procédé. Pendant huit mois de
1 année, tous les jours, sauf le dimanche, jour
consacré au Seigneur, X. attelait son cabrio-
ingénieusement construit de manière à ce
qu'il fut pourvu de coffres dans lesquels s'en-
tassait toute l'ornementation religieuse de la
Maison Poussielgue dont je ne dirai pas
de mal en prévision du droit de réponse.

paraissant deux fois par mois.

PRIX PAR AN : BELGIQUE : q FRANCS

étranger : 12 fr.

ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE
a s4-nicolas (Belgique).

Chandeliers, encensoirs, tabernacles, canons,
antependiums, pupitres, calices, ciboires,
boîtes à parfums et autres objets du mobi-
lier liturgique, tout cela était méthodique
ment rangé dans les coffres mobiles de X.
Son point de départ était le chef-lieu du
canton, de là il rayonnait sur les villages
où sa première visite était chez le sacristain
pour le prier de lui montrer l'église. Cette
demande était ordinairement accompagnée
d'une pièce de cinq francs qui une fois mise
dans la main du sacristain lui faisait pousser
des ailes et délier la langue. Visite à l'église,
inspection minutieuse, dans les coins, der-
rière les autels surtout où s'amassent tant de
vieilleries, dans la tour, dans les soupentes
et notamment dans ces faux plafonds qu'ont
créés, dans les vieilles églises, les voûtes en
pierre du XVIe siècle construites sous les
charpentes jusqu'alors à nu.

Après cette visite X. se rendait chez le curé
dont il connaissait déjà plus ou moins la
physiologie par des caquettages adroitement
provoqués chez le sacristain Entré au pres-
bytère devant lequel sa voiture stationnait,
X. offrait les magnifiques échantillons de sa
marchandise, ajoutant que si le curé n'avait
pas d'argent il se contenterait d'échanger,
pour la plus grande partie, les objets neufs
contre toutes les vieilleries qu'il avait remar-
quées et qui faisaient honte à la religion.
Donnant, donnant. Pour le reste, c'est à dire
pour le paiement du restant de l'achat, le
curé ferait un billet à trois ou à six mois.
Presque toujours ce billet,afin de ne pas éveil-
ler de soupçons en cas de non paiement ou
de poursuites, représentait une somme mi-
nime.

La même scène se reproduisait de village
en village et quand notre homme rentrait,
les coffres de sa voiture dégorgaient une
multitude de ravissants objets romans et
gothiques dont la plupart, pour ne pas dire
tous, étaient d'une importance réelle, soit à
un point de vue, soit à un autre.

On doit comprendre que ce métier exercé
avec une intelligence toute spéciale, une pru-
dence de magistrat et une rapacité de juif,
devait produire des résultats d'autant plus
considérables qu'à cette époque le drainage
des objets de l'espèce dans les petites localités
n'avait encore été opéré que d'une façon
sommaire et superficielle; X. après ses labo-

rieuses journées, enmagasinaitses... échanges
et, une fois par an, faisait faire, dans les
grandes capitales du monde, des ventes im-
portantes. Une de ces ventes eût lieu à Bru-
xelles. J'ai souvenance d'y avoir vu un reli-
quaire d'argent du XIIIe siècle figurant un
avant-bras. C'était une merveille de dessin et
d'exécution. L'objet fut vendu pour 2000 fr.
Il y a quelques mois il a figuré à une vente
de Munich où il a été adjugé à i3,ooo fr. J'y
ai vu aussi quatre chandeliers romans en
cuivre plein, figurant des corps de dragon
allongés dont la gueule ouverte recevait le
cierge et qui reposaient sur les deux pieds et
la queue. Ce modèle unique fut acquis pour
un musée de Londres. Enfin, entre autres
choses provenant de l'art flamand et volé
peut-on dire à nos églises, j'ai remarqué
un merveilleux encensoir gothique avec ses
chaînes, le pommeau et la boîte à encens.
Cet objet splendide aura sans doute été rem-
placé par un similaire en métal soufflé et
doré au vernis, mais brillant à vous aveugler,
tandis que l'encensoir en argent était patiné
de noir et ne tirait pas l'œil.

Ayant été, par suite de circonstances spé-
ciales, témoin de ces actes que X. trouvait
irréprochables, je crus utile d'en informer qui
de droit. Je me serais cru coupable d'assister
sans protester au dépouillement de nos églises.

Trois mois après parut une circulaire aux
fabriques d'église leur rappelant leurs devoirs
au sujet de la conservation du mobilier et
des objets d'art des églises.

Les fabriques ne lurent pas cette circulaire,
les curés non plus, X. non plus. Celui-ci
continua son commerce pendant dix ans en-
core sans être le moins du monde empêché
ou retenu.

Je l'avais vu dépouillant la province de
Brabant pendant dix ans. Je le trouvai dé-
pouillant la Flandre orientale. Je risquai une
nouvelle protestation. On avertit la commis-
sion royale des monuments. Celle-ci convo-
qua les commissions provinciales et on tint
une de ces grandes assises qui sont suppri-
mées aujourd'hui alors que l'arrêté royal qui
lés provoque reste debout. On délibéra beau-
coup et chaudement, on émit des vœux,
M Schuermans fit même une sorte de projet
de loi tout à fait en situation, un autre pro-
posa un inventaire général, mais rien de sé-
rieux ne se fit et cette année même fut la
 
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