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— 82 —

Comme il ne s'arrête jamais long-
temps à ses ennuis personnels, il con-
tinue :

» C'est malheureux pour les masca-
rades; on souffre terriblement du froid.

» Il faut vous dire que, depuis deux
dimanches déjà, nous avons le carnaval.

» Les gens suivent le tour en voiture,
et les masques courent.

» J'avoue, en toute humilité, n'avoir
jamais vu, en fait d'équipages, tant de
richesse et tant de bon goût.

» Cela m'a vraiment fait plaisir à voir.

» C'étaient des quantités de voitures de
maître, un très-grand nombre à quatre
chevaux, avec jockeys poudrés, à vestes
de velours brodées et galonnées d'or ou
d'argent; des coureurs devant ou derrière,
des chasseurs, le tout d'une tenue par-
faite.

» Puis, dans les voitures, la plupart
ouvertes et remplies de fleurs, des dames
en resplendissante toilette, recevant et ren-
dant les bouquets qu'on leur jetait des
autres véhicules.

y> Tout cela, traîné par des chevaux
magnifiques et caparaçonnés comme pour
traîner le char du soleil.

» A l'une des voitures, il y avait douze
chevaux !

» — C'était plus joli que le cours de nos
vigilantes traînées par les fuseaux usés de
chevaux d'abattoir.

» Quant au reste, c'est très-tranquille.
Rien de ces cris, de ces vociférations, de
ces sons d'instruments impossibles dont
le carnaval est orné chez nous. Plus de
sales nattes, ni de chemises crottées, ni
de hareng pendu au bout d'un bâton, ni
de petit pain à mordre, ni de dix hommes
la tête passée entre les barreaux d'une
échelle. — Les masques sont tous très-
proprement mis; ils se contentent de se
promener sans jouer aucun rôle. Ce n'est
pas aussi malpropre que chez nous, mais
ce n'est cependant pas très-amusant. »

L'observateur Lies ne se laisse pas dis-
traire de son travail, malgré les incon-
vénients d'une installation bien élémen-
taire, de laquelle il parlera seulement plus
tard, lorsque, attristé par des tentatives
qu'il juge trop sévèrement, il avouera qu'à
Florence une chaise lui tenait lieu de che-
valet.

Il est tout, pour le moment, à son
tableau qu'il peint avec délice. Au bord
de l'Arno, au pied d'une colline escarpée,
sous le ciel bleu de Florence, son œuvre
sera absolument italienne, dans sa com-
position, dans la vérité du paysage et sur-
tout dans son merveilleux coloris.

« Peu m'importe qu'il pleuve ou qu'il
neige ! mon tableau avance, il sera terminé
vers la fin du mois. «

En post-scriptum, il ajoute :

« Voici le sujet du tableau :

« Après le pillage d'un château, scène
qui se passait à chaque instant, au moyen-
âge, où ces demeures de petits tyrans
étaient, à leur tour, souvent envahies et
livrées à l'incendie et à la dévastation.

» On voit, dans le fond, un château qui
brûle.

« Quand on avait tout détruit, on tuait
ou bien on enlevait les seigneurs de ces
castels, dans l'espoir d'en tirer quelque
rançon.

« Ainsi, à l'avant-plan du tableau, on
voit un seigneur et une jeune femme qui
attendent, dans la douleur, la fin qui leur
est destinée ; de l'autre côté, est un groupe
de soldats fort indifférents à ces douleurs,
qui jouent aux dés leur part de butin du
pillage.

» Entre ces deux groupes, un soldat
plus jeune, qui est en quelque sorte la
transition entre cette douleur et cette in-
différence ; il se laisse un peu attendrir
par la vue de la jeune femme qui est à
ses pieds. »

Ce tableau figure, sous le n° 100, dans
le catalogue autographe de Lies avec ce
titre :

« Scène du moyen-âge (en Italie) vendu
à M. Couteaux de Bruxelles, 1600 fr. »

Lies avait écrit, de Florence, en l'en-
voyant à Anvers, qu'il espérait en tirer la
moitié de ses frais de voyage.

Le Musée d'Anvers acquit ce tableau,
en 1865, pour la somme de 8000 fr.

Lies n'a jamais bien vendu ses œuvres ;
cela tient à différentes causes que je ferai
connaître.

J'ignore pourquoi le Musée d'Anvers a
donné, à cette œuvre, le titre impossible
de Prisonniers de guerre.

Cet homme n'est pas un belligérant,
cette femme a été surprise dans son exis-
tence de tous les jours ; ces deux créatures
humiliées, maltraitées, ne sont pas des
Prisonniers de guerre. Au surplus, nous
avons la pensée de Lies. En rendant inté-
ressants ces personnages, c'èst moins l'hu-
miliation de ces petits tyrans qu'il a voulu
exposer, que la cause du peuple pressuré,
annihilé, qu'il a tenu à défendre. L'artiste
se fait justicier. En montrant les maux et
les horreurs de la guerre, il prouve, à
ceux qui abusent de leur naissance, de
leur fortune et de leurs privilèges contre
les humbles et les impuissants, que la for-
tune a des retours cruels.

Lies n'a jamais flatté personne, il a tou-
jours combattu pour l'intérêt général et
pour le progrès par la liberté.

Le titre du tableau en question doit
donc être changé ; le catalogue pourra
prendre l'explication même du peintre.
Aujourd'hui que les œuvres du maître se
recherchent de plus en plus, on doit tenir
compte de sa volonté exprimée.

Il reste, à notre voyageur, une longue
course à fournir.

On voit avec quelle conscience il ob-
serve tout, aussi me bornerai-je à des ci-
tations ; elles compléteront le jugement
que le lecteur a pu déjà se former sur
Joseph Lies.

A mi-chemin de Naples, il est pour
quelques heures dans le port de Civitta-
Vecchia, sans pouvoir quitter le vapeur,
faute d'un visa. Ce passeport lui cause
mille ennuis. «On l'a dans sa poche, il va
ailleurs; on court le reprendre, on le tient
à peine qu'il disparaît encore, et ainsi de
suite, je ne sais combien de fois. C'est un

véritable jeu de cache-cache, probable-
ment très-utile, mais qui cause une foule
d'ennuis.

Cet arrêt forcé ne diminue pas la bonne
humeur de l'artiste : « Je suis assis sur le
pont de mon vapeur, me laissant pénétrer
avec délices de la douce chaleur d'un rayon
de soleil.

« Ah ! que le soleil fait du bien, après
le froid de Livourne !

« Ah ! que la vue de cette mer à la cou-
leur d'azur remplacera agréablement, dans
mon esprit, le souvenir du triste et sale
aspect des rues de cette abominable ville.

» Ah! que j'aime mieux les mille bruits
lointains qui maintenant murmurent au-
tour de moi, que l'éloquence du capucin
au sermon duquel j'ai attrappé des puces,
(seul souvenir vivant qui me reste encore,
hélas! de mon séjour forcé à Livourne).

» Je vois, sur le quai, les gens qui se
promènent, les pantalons rouges des sol-
dats français, les navires qui chargent et
déchargent, toutes les constructions du
port éclairées par un beau soleil, puis
l'immense étendue de la mer...

« Et je tâche de me figurer ce que vous
faites en ce moment, aujourd'hui samedi,
à une heure, pendant que je hume mon
soleil, et que je regarde avec amour les
charmantes choses qui sont autour de
moi.

« Que je vous souhaiterais ici en ce
moment! Vous prendriez plaîsir à voir
ces belles choses. «

La lettre de Livourne, 9 mars, est la
seule que je citerai en entier ; elle dévoile
tout un côté du caractère de Lies.

« Vous le voyez, mes très-chers, ce n'est
pas encore de Naples la belle que je re-
prends la plume. Ainsi l'homme pro-
pose...

r> Si je vous écris quelques lignes, c'est
pour mettre quelques touches d'ombre
au tableau entièrement clair et brillant
décrit dans les pages précédentes. Là tout
était contentement et satisfaction, tandis
que, dans ce qui va suivre, vous ne trou-
verez que la peinture de l'ennui, de la
mauvaise humeur et de la contrariété.

» Je pourrais bien me dispenser de me
mettre à causer avec vous quand je suis
dans des dispositions d'esprit aussi maus-
sades; mais j'ai pensé que, comme je vous
communique mes joies et mes contente-
ments, je puis bien aussi vous faire part
de mes ennuis, d'autant plus que, je m'em-
presse de vous le dire d'avance, ils n'ont
rien de grave. Ils serviront seulement à
constater qu'en voyage les jours se suivent,
mais sans être également tissés de fils d'or
et de soie.

» Ainsi que je vous l'ai écrit, j'avais tout
arrangé pour partir le 6, lorsque j'ap-
prends que, par erreur, on m'a indiqué
ce départ deux jours trop tôt. Enfin, le 7,
au soir, j'arrive à Livourne pour partir
le lendemain.

« Un des habitués de ma table m'avait
recommandé un hôtel comme fort bon et
convenable sous tous les rapports. Je me
fais transporter à la Locanda Genovese.
J'arrive.
 
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