512 l’art roman
Nous ne pouvons mesurer toute l’importance des rapports entre la
Provence et l’Italie : ils sont frappants dans l’iconographie, ils appa-
raissent dans le style même. L’Italie est d’ailleurs aussi diverse en
sculpture qu’en architecture au cours de la période romane. Elle est
byzantine, elle est antiquisante dans le Sud, où nous verrons l’art de la
Capoue impériale inspirer les commencements de Nicolas Pisano. En
Toscane, la polychromie combat la plastique, qui se concentre sur les
linteaux à Pistoie (1166-1167) et à Lucques, et qui donne un ensemble
plus riche et plus noble au portail du baptistère de Pise, face à la cathé-
drale. C’est en Lombardie que nous avons une sculpture proprement
romane, parfois d’une remarquable énergie stylistique. Le premier
aspect (et sans doute le plus curieux) en est donné par les églises de
Pavie, Saint-Pierre-au-ciel-d’or (1132) et Saint-Michel, avec une luxu-
riance, une vitalité, une richesse qui sentent, non la « grossièreté »
des origines, mais la fièvre d’une manière. Le monstre et l’ornement s’y
étreignent dans les mêmes replis. Les grands portails de Maître Guglielmo
et de Maître Niccolo sont d’une inspiration différente. Abrités sous des
porches légers dont les fines colonnettes reposent sur le dos de deux
lions accroupis, ils admettent, de part et d’autre de la baie, sur la
façade, des reliefs encastrés à même le mur, rappelant encore (comme le
portail catalan de Ripoll) le placage et l’ex-voto. Ce goût d’imager les
surfaces en largeur restera longtemps acquis à l’art italien. On en a
un bel exemple à San Zeno de Vérone, où la vieille porte de bronze, qui
perpétue l’art de ces fondeurs allemands dont la réputation et les
travaux s’étendaient jusqu’à Novgorod, est flanquée d’un décor d’ar-
cades et de bandes plates entre lesquelles s’étagent les reliefs de maître
Guglielmo et de maître Niccolo. Le premier de ces deux artistes est
également l’auteur du grand portail de Modène, et c’est surtout à la
cathédrale de Vérone, à Plaisance et à Ferrare (1135 ?) qu’il faut étu-
dier le second : le type de ses portails évoque à de certains égards notre
art de la transition, avec ses statues de prophètes qu’accompagnent
celles des vieux paladins Olivier et Roland. C’est à Modène (non
au porche de Guglielmo, mais au portail qui s’ouvre près du cam-
panile) que figurent les chevaleries d’Arthur, accompagnant les
épisodes de Renart. Si les reliefs de façade, dans des formes rudes
et courtes, avec un sentiment large, évoquent l’art des frises du
XIe siècle et quelques souvenirs des sarcophages antiques (génie funé-
raire de Modène), les chapiteaux lombards montrent dans toute
leur pureté les combinaisons de la stylistique romane (cloître de Sant’
Orso, à Aoste, 1133). Mais les nus de Modène, d’une jeunesse déli-
Nous ne pouvons mesurer toute l’importance des rapports entre la
Provence et l’Italie : ils sont frappants dans l’iconographie, ils appa-
raissent dans le style même. L’Italie est d’ailleurs aussi diverse en
sculpture qu’en architecture au cours de la période romane. Elle est
byzantine, elle est antiquisante dans le Sud, où nous verrons l’art de la
Capoue impériale inspirer les commencements de Nicolas Pisano. En
Toscane, la polychromie combat la plastique, qui se concentre sur les
linteaux à Pistoie (1166-1167) et à Lucques, et qui donne un ensemble
plus riche et plus noble au portail du baptistère de Pise, face à la cathé-
drale. C’est en Lombardie que nous avons une sculpture proprement
romane, parfois d’une remarquable énergie stylistique. Le premier
aspect (et sans doute le plus curieux) en est donné par les églises de
Pavie, Saint-Pierre-au-ciel-d’or (1132) et Saint-Michel, avec une luxu-
riance, une vitalité, une richesse qui sentent, non la « grossièreté »
des origines, mais la fièvre d’une manière. Le monstre et l’ornement s’y
étreignent dans les mêmes replis. Les grands portails de Maître Guglielmo
et de Maître Niccolo sont d’une inspiration différente. Abrités sous des
porches légers dont les fines colonnettes reposent sur le dos de deux
lions accroupis, ils admettent, de part et d’autre de la baie, sur la
façade, des reliefs encastrés à même le mur, rappelant encore (comme le
portail catalan de Ripoll) le placage et l’ex-voto. Ce goût d’imager les
surfaces en largeur restera longtemps acquis à l’art italien. On en a
un bel exemple à San Zeno de Vérone, où la vieille porte de bronze, qui
perpétue l’art de ces fondeurs allemands dont la réputation et les
travaux s’étendaient jusqu’à Novgorod, est flanquée d’un décor d’ar-
cades et de bandes plates entre lesquelles s’étagent les reliefs de maître
Guglielmo et de maître Niccolo. Le premier de ces deux artistes est
également l’auteur du grand portail de Modène, et c’est surtout à la
cathédrale de Vérone, à Plaisance et à Ferrare (1135 ?) qu’il faut étu-
dier le second : le type de ses portails évoque à de certains égards notre
art de la transition, avec ses statues de prophètes qu’accompagnent
celles des vieux paladins Olivier et Roland. C’est à Modène (non
au porche de Guglielmo, mais au portail qui s’ouvre près du cam-
panile) que figurent les chevaleries d’Arthur, accompagnant les
épisodes de Renart. Si les reliefs de façade, dans des formes rudes
et courtes, avec un sentiment large, évoquent l’art des frises du
XIe siècle et quelques souvenirs des sarcophages antiques (génie funé-
raire de Modène), les chapiteaux lombards montrent dans toute
leur pureté les combinaisons de la stylistique romane (cloître de Sant’
Orso, à Aoste, 1133). Mais les nus de Modène, d’une jeunesse déli-