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Le rire: journal humoristique — 1.1894-1895 (Nr. 1-52)

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https://doi.org/10.11588/diglit.25062#0008

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2

LE RIRE

N° 1

LA VIE RISIBLE

Personne n’ignore que toutes les profes-
sions sont représentées à la Chambre, ou à
peu près toutes.

11 y a des députés-manufacturiers, des

députés-coiffeurs, des députés-raseurs, des
députés-cultivateurs, des députés-financiers,
des députés-avocats, des députés-cabare-
tiers, des députés-maitres d’écoles, des dé-
putés-cuirassiers, comme M. de Mun, des
députés-fantassins, comme M. Mirman, des
députés héros de roman, comme M. Miel-
vacque, un certain nombre de députés-
fumistes, — mais une plus grande propor-
tion encore de députés-médecins.

On s’était toujours un peu demandé la
raison de ce phénomène. Pourquoi la pro-
fession médicale fournit-elle tant de figu-
rants pour la comédie parlementaire? Cer-
tains ont supposé que ces praticiens, las
d’envoyer leurs clients dans un monde

meilleur, voulaient tout simplement ap-
prendre la politique, science beaucoup plus
sûre que la thérapeutique.

M. Bachimont, député de Nogent-sur-
Marne, a trouvé quelque chose de très ingé-
nieux, mais qui complique encore la ques-
tion.

Il est entré dans la politique, lui, pour
pouvoir apprendre la médecine.

De cette façon l’indemnité parlementaire
lui permettra de payer ses inscriptions.

M. Bachimont était déjà célèbre pour
avoir battu le candidat patronné par M. Ca-
simir-Perier. D’ici une dizaine d’années,
s il peut demeurer à la Chambre pendant
deux législatures et passer son doctorat, il
acquerra peut-être encore une plus grande
réputation en découvrant un nouveau mi-
crobe. S’il pouvait trouver le remède au cé-
lèbre micrococcus parlementants verbosus!

ou encore détruire YAcarus interpellatorius
Cunei, dont jusqu’à présent les plus puis-
sants antiseptiques n’ont pas pu avoir raison.

Quoi qu’il en soit, les journaux nous ont
révélé le mystère de son élection : « M. Ba-
chimont, a dit le Figaro, estime que la pro-
fession de médecin lui permettra de consa-
crer plus de temps à son mandat législatif,
que celle de pharmacien, qu’il exerçait pré-
cédemment. »

Il y a ici une petite erreur : le député de
Nogent-sur-Marne n'est pas encore méde-
cin : il faut donc dire : « M. Bachimont
estime que la profession de député lui per-
mettra de consacrer plus de temps à ses
études médicales, qu’il avait été forcé d’in-
terrompre pendant qu’il faisait de la phar-
macie. »

De toute façon l’idée est excellente, et
elle ouvre toute une collection d’horizons

aux jeunes gens n’ayant pas atteint la cin-
quantaine et à qui le temps aurait manqué
pour apprendre complètement le métier
qu’ils avaient l’intention d’exercer au sortir
du collège.

Le matin ils iront prendre des inscrip-
tions, suivre des cours, travailler dans un
bureau ou dans une usine. L’après-midi, ils
s’exerceront à la Chambre.

Il y en a qui feront de la serrurerie, de
la menuiserie, d’autres se perfectionneront
dans la tenue des livres, ou dans la confec-
tion des engrais chimiques. Chaque pupitre
abritera un atelier en miniature, un labo-
ratoire en réduction.

Cela pourra jeter quelque intérêt sur les
séances, et donner le spectacle d’une ac-
tivité qui fait parfois défaut au Palais-
Bourbon.

M. Bachimont apportera consciencieuse-
ment son petit macchabée qu'il piochera de I

son mieux. Cela ne sera peut-être pas tou-
jours agréable pour ses voisins; mais ils en
seront quittes pour se munir d’un flacon de
phénol.

Se défier pourtant de M. Bachimont. Tout
étudiant en médecine étant ou devant être
facétieux par profession, le député s'amu-
sera sans aucun doute un de ces jours à
jouer à quelque adversaire politique la farce
classique et d’excellent goût qui consiste à
fourrer une oreille fraîchement coupée dans
la poche d’un pardessus, ou à donner une

poignée de main avec celle d’un sujet
amputé de la veille.

Dans la chaleur d’un discours, M. Bachi-
mont aura également à prendre garde de
ne pas sortir de sa serviette, au lieu des
documents préparés, une préparation qui
serait plus anatomique qu’oratoire. Le public
mondain des jours de grande séance s’éva-
nouirait d’horreur et il ne viendrait plus de
femmes au Palais-Bourbon.

Malgré ces petits inconvénients, insépa-
rables des meilleures études médicales,
l’idée du nouveau député peut avoir des
avantages.

Dans le cas où il arriverait quelque acci-
dent comme il s’en est vu quelquefois, éva-
nouissement d’un ministre à la tribune à la
suite d’un trop copieux discours, alerte pour
une cause ou pour une autre, coups de poing
dans un œil pendant une séance à incidents,
naissance d’un petit citoyen dans une des
loges réservées au public, comme cela s’est
vu également, M. Bachimont serait là pour
passer l’arnica à ses collègues docteurs et
pour préparer les compresses.

Le jour où, par extraordinaire, il n’y
aurait pas un seul médecin dans l’édifice,
les malades ou- les éclopés en seraient
quittes pour attendre quelques instants :
juste le temps que M. Bachimont ait ter-
miné ses études et préparé sa thèse de
doctorat. •

John FALSTAFF.

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