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LE RIRE
N° 4
LA CHANSON DES BLEUS
Paroles de Jules JOUY.
Au rhythme entraînant clu tambour,
Fils de l’usine ou du labour,
Les bleus s’en vont par le faubourg,
Prendre leur place à l’armée.
La mort dans l'âme et des pleurs dans les
Leurs parents sont avec eux. [yeux,
<. Mon petit », dit une maman,
« Quand tu seras au régiment,
« Éeris très régulièrement
« A ta mère bien-aimée.
« Car, sache-le, si tu ne m'écris pas,
« J’irai te trouver là-bas. »
Un père murmure à son fils :
« Mon vieux, je fus sergent jadis;
« Aux combats de soixante-dix
« J'ai fait parler de ton père.
« Petit, si tu ne te conduis pas bien,
« Tu f'ras pleurer ton ancien. »
Une fiancée aux doux yeux
Dit à son robuste amoureux :
« Dans trois ans nous serons heureux,
« Par devant Monsieur le maire.
« Jusqu’à la mort, je t'ai donné ma foi;
« Mon époux, ce sera toi. »
Le sifflet vient de retentir.
Tous les parents, le cœur martyr,
Regardent leurs enfants partir,
Appuyés sur la barrière.
Puis, lentement, vers le nid déserté,
Ils s'en vont l’œil attristé.
Couchés sur les bancs des wagons.
Lignards, artilleurs ou dragons,
Les bleus rêvent croix et galons,
Combats et gloire guerrière.
Dans trois ans, ils seront tous généraux,
Généraux... ou caporaux.
&& fREMUÉES S®
Le détachement est arrivé, en bon ordre,
salué à son entrée dans la cour du quartier
par la curiosité des aînés. Ils sont joyeux
du temps déjà fait et de l’espoir des liba-
tions que les poches garnies promettent...
Les bleus, ah ! c’est bien leur tour ! Un
ancien les contemple avec attendrissement:
« C’est-y jeune, c’est-y pierrot ! C’est ceusses-
là qui nous renvoient... Je suis d’là classe...
Je veux plus rien savoir!.. » Etil pousse ce cri
de sauvage délivrance, consolation des dé-
boires et des amertumes, tracé partout dans
la caserne : « La classe ! »
Le détachement est debout, aligné sur
deux rangs. Il attend ; c’est la position ordi-
naire du soldat. Il attend toujours : la
guerre, la soupe, la salle de police, sa bonne
amie ou la classe. Il pleut, on a beau être
sous les drapeaux ça mouille tout de même.
On conseille au plus dégourdi d’aller cher-
cher le parapluie de l’escouade. Le régime
des fines plaisanteries commence.
Un long mince —qu’on nomme le double,
— vient voir ces lascars-là, condamne les
malles qui disparaîtront ce soir—vous enten-
dez, fourrier? — Et les chaussettes, où les
mettra-t-on les chaussettes? « On ne porte
que des chaussettes russes, imbéciles, ça
tient moins de place et c’est plus digne de
l’alliance ».
Premier appel avec la surprise des noms
cocasses qui soulèvent des rires dignement
réprimés. Le spectre de la boîte se lève, de
la terrible boite qui a de commun avec celle
de Pandore que l’espérance reste au fond.
L’hospitalité poursuit son œuvre. On fait
connaissance avec la couchette réglemen-
taire, le râtelier, la planche à pain, que
l’homme de chambrée nettoie consciencieu-
sement avec le balai qui lui a servi dans
les cours et dans ces cuisines dont l’odeur
rend insupportable leurs dépendances aussi
logiques qu’immédiates et non moins fré-
quentées.
« Qu’on me fasse tomber ces tignasses »,.
a dit l’adjudant. Le perruquier s’y emploie
de son mieux grâce à la tondeuse n° 1. Les
crânes dessinent nettement leurs arêtes
phrénologiques. « C’est encore long, » trouve
l’adjudant. Le perruquier se demande, à
moins de couper la tête, ce qu’il pourra bien
rogner encore. Mais il y va de sa permis-
sion de dix heures, et il retond !
La transformation s’accomplit. Les « bou-
les » à l’ordonnance sont mandées chez le
capitaine d’habillement. C’est au petit bon-
heur. Il ne faudrait pas se tenir à un pli.
Pantalon trop court, képi trop large, man-
che trop longue. « Ça leur va comme un
gant », dit le capitaine.
Distribution des effets de petit équipe-
ment : chemise, caleçon, mouchoir à car-
reaux bleus, bonnet de nuit — il ne manque
plus que Babet et le lait de poule. Voici la
musette et le sac à malice. L’inventaire en
est- plaisant : peigne, martinet, patience —
oh! oui, il en faut — les brosses à souliers
et la cuiller à soupe, la boîte a graisse et
l’étui à fil en lequel les aiguilles sont en
nombre réglementaire — et rouillées.
Cette mercerie symbolique et imposante
appelle un initiateur. C’est le camarade de
I lit qui sait le secret des brillants à la
LE RIRE
N° 4
LA CHANSON DES BLEUS
Paroles de Jules JOUY.
Au rhythme entraînant clu tambour,
Fils de l’usine ou du labour,
Les bleus s’en vont par le faubourg,
Prendre leur place à l’armée.
La mort dans l'âme et des pleurs dans les
Leurs parents sont avec eux. [yeux,
<. Mon petit », dit une maman,
« Quand tu seras au régiment,
« Éeris très régulièrement
« A ta mère bien-aimée.
« Car, sache-le, si tu ne m'écris pas,
« J’irai te trouver là-bas. »
Un père murmure à son fils :
« Mon vieux, je fus sergent jadis;
« Aux combats de soixante-dix
« J'ai fait parler de ton père.
« Petit, si tu ne te conduis pas bien,
« Tu f'ras pleurer ton ancien. »
Une fiancée aux doux yeux
Dit à son robuste amoureux :
« Dans trois ans nous serons heureux,
« Par devant Monsieur le maire.
« Jusqu’à la mort, je t'ai donné ma foi;
« Mon époux, ce sera toi. »
Le sifflet vient de retentir.
Tous les parents, le cœur martyr,
Regardent leurs enfants partir,
Appuyés sur la barrière.
Puis, lentement, vers le nid déserté,
Ils s'en vont l’œil attristé.
Couchés sur les bancs des wagons.
Lignards, artilleurs ou dragons,
Les bleus rêvent croix et galons,
Combats et gloire guerrière.
Dans trois ans, ils seront tous généraux,
Généraux... ou caporaux.
&& fREMUÉES S®
Le détachement est arrivé, en bon ordre,
salué à son entrée dans la cour du quartier
par la curiosité des aînés. Ils sont joyeux
du temps déjà fait et de l’espoir des liba-
tions que les poches garnies promettent...
Les bleus, ah ! c’est bien leur tour ! Un
ancien les contemple avec attendrissement:
« C’est-y jeune, c’est-y pierrot ! C’est ceusses-
là qui nous renvoient... Je suis d’là classe...
Je veux plus rien savoir!.. » Etil pousse ce cri
de sauvage délivrance, consolation des dé-
boires et des amertumes, tracé partout dans
la caserne : « La classe ! »
Le détachement est debout, aligné sur
deux rangs. Il attend ; c’est la position ordi-
naire du soldat. Il attend toujours : la
guerre, la soupe, la salle de police, sa bonne
amie ou la classe. Il pleut, on a beau être
sous les drapeaux ça mouille tout de même.
On conseille au plus dégourdi d’aller cher-
cher le parapluie de l’escouade. Le régime
des fines plaisanteries commence.
Un long mince —qu’on nomme le double,
— vient voir ces lascars-là, condamne les
malles qui disparaîtront ce soir—vous enten-
dez, fourrier? — Et les chaussettes, où les
mettra-t-on les chaussettes? « On ne porte
que des chaussettes russes, imbéciles, ça
tient moins de place et c’est plus digne de
l’alliance ».
Premier appel avec la surprise des noms
cocasses qui soulèvent des rires dignement
réprimés. Le spectre de la boîte se lève, de
la terrible boite qui a de commun avec celle
de Pandore que l’espérance reste au fond.
L’hospitalité poursuit son œuvre. On fait
connaissance avec la couchette réglemen-
taire, le râtelier, la planche à pain, que
l’homme de chambrée nettoie consciencieu-
sement avec le balai qui lui a servi dans
les cours et dans ces cuisines dont l’odeur
rend insupportable leurs dépendances aussi
logiques qu’immédiates et non moins fré-
quentées.
« Qu’on me fasse tomber ces tignasses »,.
a dit l’adjudant. Le perruquier s’y emploie
de son mieux grâce à la tondeuse n° 1. Les
crânes dessinent nettement leurs arêtes
phrénologiques. « C’est encore long, » trouve
l’adjudant. Le perruquier se demande, à
moins de couper la tête, ce qu’il pourra bien
rogner encore. Mais il y va de sa permis-
sion de dix heures, et il retond !
La transformation s’accomplit. Les « bou-
les » à l’ordonnance sont mandées chez le
capitaine d’habillement. C’est au petit bon-
heur. Il ne faudrait pas se tenir à un pli.
Pantalon trop court, képi trop large, man-
che trop longue. « Ça leur va comme un
gant », dit le capitaine.
Distribution des effets de petit équipe-
ment : chemise, caleçon, mouchoir à car-
reaux bleus, bonnet de nuit — il ne manque
plus que Babet et le lait de poule. Voici la
musette et le sac à malice. L’inventaire en
est- plaisant : peigne, martinet, patience —
oh! oui, il en faut — les brosses à souliers
et la cuiller à soupe, la boîte a graisse et
l’étui à fil en lequel les aiguilles sont en
nombre réglementaire — et rouillées.
Cette mercerie symbolique et imposante
appelle un initiateur. C’est le camarade de
I lit qui sait le secret des brillants à la