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LE RIRE
N° 5
INCIDENT DIPLOMATIQUE
ï ; »
y
Ceux des cercles .politiques que la Police des Jeux (1) n’a pas encore fermés, s’entretiennent d’un incident qui les a vivemen
émus; voici:
Il y a huit jours, le chargé d’affaires de Monaco, M. le Major de ’Latahle d’Hoste, prévint M. Casïmir-Périer que son souverain
avait l’intention de lui
rendre visite.
Le prince de Mo
naco était-il chargé par
M. Blanc de dégager
M. Portalis? ou bien,
comme tout porte à le
croire, venait-il soutenir •"
les intérêts des Fermiers Gé- j
nèraux de nos tripots? M. Périer ne
se posa pas ces questions.il considéra une
seule chose; un souverain, un vrai, le plus des-
potique de tous ces despotes manifestait des velléités
de relations avec le Président d’une République.
En général, les souverains se faufilent chez nous sous un nom
et sous prétexte d’emprunt. Celui-ci arrivait à Paris sous le nom de
ses pères et (passe). M. Périer ne se tint pas de joie, il dit à Madame :
« Le Faubourg ne prétendra plus que les monarques me tiennent à
distance. Arthur Meyer lui-même n’a pas encore reçu le prince de
Monaco qui vient me rendre visite tantôt. Je crois qu’on pourra le
garder à dîner. Qu’est-ce que nous avons à manger, ce soir? »
A ce moment un page entra, portant une carte cornée sur un
plateau: « Son Altesse le prince de Monaco;
— Qu’il entre! dit M. Périer en enfilant son grand cordon.
— Il est parti: il a craint de déranger M. le Président; d’ailleurs
il n’est que de passage à Paris; il reviendra. »
M. Périer feuilleta précipitamment) le Protocole du bon ton et
lut, chap. des Prinees-régnants:
« Les visites de Souverain à Souverain se rendent à 1/2 heure
d’intervalle. » Appel électrique; on attela le landau, comme une pompe
à vapeur, en 3 minutes; les lanciers de l’escorte
présidentielle sautèrent en selle, les clairons son-
nèrent aux champs et M. Périer, grimpant en
voiture, cria: « Au Grand-Hôtel! »
Au grand galop, en grande hâte et au grand
émoi des populations,
le grand landau gagna
Je Grand-Hôtel. Là,
M. Périor demanda
S. A. le prince de
Monaco.
— Il sera désolé,
dit le concierge; il sort
d’ici à l’instant et ne
rentrera pas pour dî-
ner, car il a fait porter
son bagage (une petite valise) à la gare de
Lvon. Mais je crois que monsieur le Prési-
dent a des chances de le trouver au Vélo-
drome.
S. A. le prince n’était déjà plus au Vélo-
drome, lorsque le Président s’y arrêta; il
n’avait fait que passer; mais sûrement on le
trouverait au Palais de l’Industrie.
Mais lorsque M. le Président arriva au
Palais de l’Industrie, Son Altesse en sortait
pour
aller
prendre
son ver-
mouth en
face, à la
terrasse du
Cercle des
Marmitons.
Toutefois M. Pé-
rier ne trouva pas
le prince aux Mar-
mitons, car le prince
s’y était arrêté juste
deux minutes, et quand
U était sorti, on l’avait
entendu qui disait au co-
cher : « Touchez barre à
l’Élysée. »
Cette fois, M. Périer tenait
son souverain ; il rentra en toute
hâte chez lui et trouva Mme Périer
consternée. Apprenant que le Pré-
sident était sorti, M. de Monaco
avait encore déposé une carte cornée
avec P. P. C., en exprimant ses regrets
de n’avoir pu saluer son bon cousin.
M. Lépine insinua qu’à cette heure le
prince devait dîner au Cercle des Pieds-
Nickelés. M. Périer ne prit même pas le
temps de manger un morceau; ilcriaàl’es-
1. Je saisis l’occasion de citer un mot charmant de Msr d'IIulst ; il nomme le service des mœurs et des jeux: la Police de l'Amour et du Hasard.
LE RIRE
N° 5
INCIDENT DIPLOMATIQUE
ï ; »
y
Ceux des cercles .politiques que la Police des Jeux (1) n’a pas encore fermés, s’entretiennent d’un incident qui les a vivemen
émus; voici:
Il y a huit jours, le chargé d’affaires de Monaco, M. le Major de ’Latahle d’Hoste, prévint M. Casïmir-Périer que son souverain
avait l’intention de lui
rendre visite.
Le prince de Mo
naco était-il chargé par
M. Blanc de dégager
M. Portalis? ou bien,
comme tout porte à le
croire, venait-il soutenir •"
les intérêts des Fermiers Gé- j
nèraux de nos tripots? M. Périer ne
se posa pas ces questions.il considéra une
seule chose; un souverain, un vrai, le plus des-
potique de tous ces despotes manifestait des velléités
de relations avec le Président d’une République.
En général, les souverains se faufilent chez nous sous un nom
et sous prétexte d’emprunt. Celui-ci arrivait à Paris sous le nom de
ses pères et (passe). M. Périer ne se tint pas de joie, il dit à Madame :
« Le Faubourg ne prétendra plus que les monarques me tiennent à
distance. Arthur Meyer lui-même n’a pas encore reçu le prince de
Monaco qui vient me rendre visite tantôt. Je crois qu’on pourra le
garder à dîner. Qu’est-ce que nous avons à manger, ce soir? »
A ce moment un page entra, portant une carte cornée sur un
plateau: « Son Altesse le prince de Monaco;
— Qu’il entre! dit M. Périer en enfilant son grand cordon.
— Il est parti: il a craint de déranger M. le Président; d’ailleurs
il n’est que de passage à Paris; il reviendra. »
M. Périer feuilleta précipitamment) le Protocole du bon ton et
lut, chap. des Prinees-régnants:
« Les visites de Souverain à Souverain se rendent à 1/2 heure
d’intervalle. » Appel électrique; on attela le landau, comme une pompe
à vapeur, en 3 minutes; les lanciers de l’escorte
présidentielle sautèrent en selle, les clairons son-
nèrent aux champs et M. Périer, grimpant en
voiture, cria: « Au Grand-Hôtel! »
Au grand galop, en grande hâte et au grand
émoi des populations,
le grand landau gagna
Je Grand-Hôtel. Là,
M. Périor demanda
S. A. le prince de
Monaco.
— Il sera désolé,
dit le concierge; il sort
d’ici à l’instant et ne
rentrera pas pour dî-
ner, car il a fait porter
son bagage (une petite valise) à la gare de
Lvon. Mais je crois que monsieur le Prési-
dent a des chances de le trouver au Vélo-
drome.
S. A. le prince n’était déjà plus au Vélo-
drome, lorsque le Président s’y arrêta; il
n’avait fait que passer; mais sûrement on le
trouverait au Palais de l’Industrie.
Mais lorsque M. le Président arriva au
Palais de l’Industrie, Son Altesse en sortait
pour
aller
prendre
son ver-
mouth en
face, à la
terrasse du
Cercle des
Marmitons.
Toutefois M. Pé-
rier ne trouva pas
le prince aux Mar-
mitons, car le prince
s’y était arrêté juste
deux minutes, et quand
U était sorti, on l’avait
entendu qui disait au co-
cher : « Touchez barre à
l’Élysée. »
Cette fois, M. Périer tenait
son souverain ; il rentra en toute
hâte chez lui et trouva Mme Périer
consternée. Apprenant que le Pré-
sident était sorti, M. de Monaco
avait encore déposé une carte cornée
avec P. P. C., en exprimant ses regrets
de n’avoir pu saluer son bon cousin.
M. Lépine insinua qu’à cette heure le
prince devait dîner au Cercle des Pieds-
Nickelés. M. Périer ne prit même pas le
temps de manger un morceau; ilcriaàl’es-
1. Je saisis l’occasion de citer un mot charmant de Msr d'IIulst ; il nomme le service des mœurs et des jeux: la Police de l'Amour et du Hasard.