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Le rire: journal humoristique — 1.1894-1895 (Nr. 1-52)

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https://doi.org/10.11588/diglit.25062#0095

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8

LE RIRE

Pauvre petite maison du garde-barrière,
quelle main malfaisante t’a plantée là-bas,
à l’extrémité du champ de manœuvre, entre
ces deux maigres sentinelles télégraphiques
pour servir éternellement de but aux
troupes de soldats !

Pauvre petit cottage aux ardoises vio-
lettes, au jardinet d’un sou, toi qui semblais
né pour la paix d’un ménage modeste,

par essaims tumultueux vers ton pignon
débonnaire — point noir unique dans ce
Sahara de province. On dirait qu’une ven-
detta sans pitié les anime, — qu’ils ont juré
de t’anéantir et de disperser tes décombres.

Leurs colonnes serrées s’avancent sur toi
et sans cesse, Danaides mâles de la distance,
ils font volte-face pour revenir toujours et
s’en retourner encore...

Qu’est-ce que tu as donc fait au Dieu des
armées?

N’était-ce pas assez d’être l’esclave des
Heures tyranniques et le jouet des Minutes
ponctuelles? d’être condamnée à sentir
trembler ta base au passage des trains im-
pétueux chargés do voyageurs quelconques
allant où peu t’importe?

Dans quelle boite de joujoux t’a-t-on prise?
De quelle bergerie de sapin t’a-t-on ravie
pour te venir jeter ici, en butte aux com-
mandements barbares des hommes d’armes
à pantalons rouges? Entends-tu sur tous les
tons vibrer leurs voix rauques et stridentes :
« Dirigez-vous sur la maison du garde-
barrière ! »

Leurs clameurs sanguinaires s’envolent

qui vont tour à tour, coiffés d’un chapeau
luisant, un petit drapeau rouge à la main,
rendre hommage aux convois qui passent;
— ces gens pareils à des bonshommes de
bois auxquels il ne manque qu’une rondelle
jaune sous les pieds, sont hantés la nuit par
d’inexorables cauchemars.

Le spectre sanglant de la guerre vient
dans les ténèbres tourmenter leurs cer-
velles-inoffensives. Des hordes formidables
les assaillent. Ils sont pillés, volés, égorgés,

Tu seras là comme ces minuscules clia'ets
venus de Suisse, auxquels on fait moudre au
moyen d’une clef de la poussière de vieilles
valses et des miettes de symphonies su-
rannées.

Et ce que tu chanteras, toi, de ta vieille
petite voix cassée, ce sera la chanson des
tambours et des clairons faisant l’école buis-
sonnière pour de bon dans les fossés des
fortifications.

George Auriol.

n etau-ce pas assez d’encendré hurler et de
voir caracoler devant ton seuil, les locomo-
tives chevelues avec leur cortège de wagons,
d’où sortent des têtes ébahies?

Petits et grands, — ceux dont le grade
est de laine et ceux dont le grade est d’ar-
gent et jusqu’à ceux dont la manche est
ornée d’un or quadruple — ceux qui vont à
pied et ceux qui chevauchent, tous, s’a-
charnent méchamment après toi : « Mar-
chez ! Courez ! Faites feu sur la maison du
garde-barrière ! »

Les gens sans ambition que tu abrites et

violés et brûlés. Le fer des baïonnettes
dévide leurs entrailles innocentes et des
bottes lourdes s’appesantissent sur leurs
chairs déchirées. Perpétuellement assiégés,
ils entendent au loin d’étranges vociféra-
tions : « Sus à la maison du garde-bar-
rière!! » — Leurs amours sont tristes et
leur court sommeil est à jamais troublé.

Petite maison vers laquelle j’ai tant de fois
marché contre mon gré, sous le soleil et
dans la neige, je veux t’enfermer au plus
profond de mon souvenir, sous un globe de
pendule imaginaire, ainsi qu’un rarissime
bibelot.
 
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