LE RIRE
N° 54 _.
III
PHÉNOMÈNES CONNUS
LA VEILLE
i
maurice.
Dites-moi que vous m'aimez.
blanche. LE COCHER
Oui, là, êtes-vous content?
maurice.
petites confidences à vous faire.
MAURICE
Blanche et Maurice ont pris une voiture pour aller au bois.
Le cocher suit ses rues à lui. Fréquemment il descend de son
Absolument, oh absolument I ^ g enfre ehes un marenan(i ^e vin e( quelque chose sur
Maurice accablé, soudain pressé d'être seul avec sa joie, con- {e compt0;r^ sans se presser. Pleins d'indulgence, les amoureux
duit Blanche en hâte vers la porte et tire violemment la sonnette. l'attendent et Blanche lui trouve une bonne tête. Qu'il ait sa Joie !
Maurice Ils en ont tant!
. . ' Brusquement le cocher sangle de coups de fouet son cheval qui
Quand vous reverrai-je ? part, tête baissée, comme si la voiture courait à la bataille, cul-
blanche. buter des voitures ennemies.
Je suis une femme franche, incapable de vous tourmenter par maurice.
coquetterie. Ces promenades de nuit m'énervent et vous fatiguent. cochei% renverseZ) tuez des gens. Mon amie ne crie point.
Accordez m'en une dernière demain soir et nous les suppn- ^ ^ ^ ]a ^ g. noug appuyons du dog au fi^cre
merons. pour le retenir, c'est machinalement, sans épouvante, comme on
MAURICE. ,n i , • , , p • î > - i
TT . . , , .. o souille, par habitude, sur une glace trop froide, car a cette lieure
Vous tenez beaucoup a la dernière / , , • - , , f j j,
de notre vie, un accident ne peut pas, n a pas le droit d arriver.
„ T, . , . ±. * . , Le fiacre franchit des obstacles, disperse des piétons aux
Beaucoup. J ai plusieurs questions à vous poser et quelques / , 11 ,11-1
épaules rondes, et les lumières, lancées comme des boules de
feu, éclatent sur ses vitres et s'éteignent.
maurice.
Si elles doivent m attrister, 1 aimerais autant ne rien savoir. ~ ,
., . , . , • • T • Qu est-ce que cela nous fait? nous en verrions d autres.
Vous seriez vilaine de me chagriner pour votre plaisir. Les ennuis ., . , / , r , . ... ...
^ . . . ,° . 1 . .,, Mais tout s arrête. Le cocher ouvre la portière et dit :
m assomment. Evitez-moi le plus de peine possible. _ Descendez
blanche. maurice.
Rassurez-vous. Je ne désire qu'une causerie amicale où s'allé- Vous voulez que nous descendions ?
geront votre cœur et le mien. le cocher.
Maurice. Oui, j'en ai assez, moi, je ne bouge plus.
Ainsi on se promènera encore demain soir. Et après? Maurice.
blanche. A la bonne heure ! vous parlez clair. Mais où sommes-nous ?
Apres! vous êtes homme, mon ami; remplissez le rôle d'un le cocher.
homme. Je m'en rapporte à votre galanterie. Achevez discrètement Dans du bois.
les préparatifs suprêmes. Maurice.
Dans du bois de Boulogne, sans doute?
A ces mots la porte s'ouvre, puis se ferme et Maurice reste le cocher.
dans la rue. Quand son amie est là, il l'aime sans pouvoir pré- ça se peut. Je m'en fiche. Videz les'lieux.
ciser de quelle sorte d'amour. Il la voit de trop près, et se cogne, blanche
aveuglé, contre elle. Ne le contrariez pas.
Mais quand elle n'est pas là, il sait comment il l'aime, et il ne Maurice.
se trompe point : il l'aime d'amour sentimental. Je m'en garderais. Il me plaît, ce cocher carré. Homme d'action,
Il meut, à sa volonté, l'image nette et pleine de Blanche qui, veuillez accepter le prix mérité de votre course, avec ce modesie
docile, recule, avance, et tourne, et luit d'un tel éclat que murs pourboire. Je vous gâte selon mes moyens. Éloignez-vous en paix
et trottoirs s'en illuminent. et au plaisir de recourir ensemble.
Tandis qu'il s'éloigne, Blanche qui glisse à son côté, embellit, blanche.
devient meilleure et plus tendre. Ses yeux ne regardent que lui. Avez-vous retenu son numéro ?
Elle lui parle sans cesse, avec des mots également sonores, dont Maurice.
aucun ne choque, et ses lèvres ne font que sourire. A quoi me servirait-il ? Me croyez-vous offensé ? Près de vous,
^ Pourtant, malgré le plaisir de goûter seul son sentiment, d'en je supporterais toute injure et demain j'aurai oublié. On respire.
jouir avec égoîsme, Maurice préférerait que son amie fût fou- blanche.
jours là, à cause des légers profits. Oui, il fait léger. Mais où sommes-nous donc ? Je ne me recon-
nais pas. On n'aperçoit que de rares lanternes.
maurice.
Elle me semblent trop nombreuses. Je voudrais autour de vous
une nuit sans étoiles où je ne verrais pas plus loin que votre profil.
blanche.
Je frissonne !
maurice.
Ah! vous hésiteriez encore à me suivre au bout du monde. Mais
Paris est là, derrière, distant d'une enjambée. Notre cocher délicat
nous a posés dans un endroit choisi. Les cochers parisiens savent
777/'//////$/' ^uel docor plaît aux amants.
(A suivre). Jules Renard.
N° 54 _.
III
PHÉNOMÈNES CONNUS
LA VEILLE
i
maurice.
Dites-moi que vous m'aimez.
blanche. LE COCHER
Oui, là, êtes-vous content?
maurice.
petites confidences à vous faire.
MAURICE
Blanche et Maurice ont pris une voiture pour aller au bois.
Le cocher suit ses rues à lui. Fréquemment il descend de son
Absolument, oh absolument I ^ g enfre ehes un marenan(i ^e vin e( quelque chose sur
Maurice accablé, soudain pressé d'être seul avec sa joie, con- {e compt0;r^ sans se presser. Pleins d'indulgence, les amoureux
duit Blanche en hâte vers la porte et tire violemment la sonnette. l'attendent et Blanche lui trouve une bonne tête. Qu'il ait sa Joie !
Maurice Ils en ont tant!
. . ' Brusquement le cocher sangle de coups de fouet son cheval qui
Quand vous reverrai-je ? part, tête baissée, comme si la voiture courait à la bataille, cul-
blanche. buter des voitures ennemies.
Je suis une femme franche, incapable de vous tourmenter par maurice.
coquetterie. Ces promenades de nuit m'énervent et vous fatiguent. cochei% renverseZ) tuez des gens. Mon amie ne crie point.
Accordez m'en une dernière demain soir et nous les suppn- ^ ^ ^ ]a ^ g. noug appuyons du dog au fi^cre
merons. pour le retenir, c'est machinalement, sans épouvante, comme on
MAURICE. ,n i , • , , p • î > - i
TT . . , , .. o souille, par habitude, sur une glace trop froide, car a cette lieure
Vous tenez beaucoup a la dernière / , , • - , , f j j,
de notre vie, un accident ne peut pas, n a pas le droit d arriver.
„ T, . , . ±. * . , Le fiacre franchit des obstacles, disperse des piétons aux
Beaucoup. J ai plusieurs questions à vous poser et quelques / , 11 ,11-1
épaules rondes, et les lumières, lancées comme des boules de
feu, éclatent sur ses vitres et s'éteignent.
maurice.
Si elles doivent m attrister, 1 aimerais autant ne rien savoir. ~ ,
., . , . , • • T • Qu est-ce que cela nous fait? nous en verrions d autres.
Vous seriez vilaine de me chagriner pour votre plaisir. Les ennuis ., . , / , r , . ... ...
^ . . . ,° . 1 . .,, Mais tout s arrête. Le cocher ouvre la portière et dit :
m assomment. Evitez-moi le plus de peine possible. _ Descendez
blanche. maurice.
Rassurez-vous. Je ne désire qu'une causerie amicale où s'allé- Vous voulez que nous descendions ?
geront votre cœur et le mien. le cocher.
Maurice. Oui, j'en ai assez, moi, je ne bouge plus.
Ainsi on se promènera encore demain soir. Et après? Maurice.
blanche. A la bonne heure ! vous parlez clair. Mais où sommes-nous ?
Apres! vous êtes homme, mon ami; remplissez le rôle d'un le cocher.
homme. Je m'en rapporte à votre galanterie. Achevez discrètement Dans du bois.
les préparatifs suprêmes. Maurice.
Dans du bois de Boulogne, sans doute?
A ces mots la porte s'ouvre, puis se ferme et Maurice reste le cocher.
dans la rue. Quand son amie est là, il l'aime sans pouvoir pré- ça se peut. Je m'en fiche. Videz les'lieux.
ciser de quelle sorte d'amour. Il la voit de trop près, et se cogne, blanche
aveuglé, contre elle. Ne le contrariez pas.
Mais quand elle n'est pas là, il sait comment il l'aime, et il ne Maurice.
se trompe point : il l'aime d'amour sentimental. Je m'en garderais. Il me plaît, ce cocher carré. Homme d'action,
Il meut, à sa volonté, l'image nette et pleine de Blanche qui, veuillez accepter le prix mérité de votre course, avec ce modesie
docile, recule, avance, et tourne, et luit d'un tel éclat que murs pourboire. Je vous gâte selon mes moyens. Éloignez-vous en paix
et trottoirs s'en illuminent. et au plaisir de recourir ensemble.
Tandis qu'il s'éloigne, Blanche qui glisse à son côté, embellit, blanche.
devient meilleure et plus tendre. Ses yeux ne regardent que lui. Avez-vous retenu son numéro ?
Elle lui parle sans cesse, avec des mots également sonores, dont Maurice.
aucun ne choque, et ses lèvres ne font que sourire. A quoi me servirait-il ? Me croyez-vous offensé ? Près de vous,
^ Pourtant, malgré le plaisir de goûter seul son sentiment, d'en je supporterais toute injure et demain j'aurai oublié. On respire.
jouir avec égoîsme, Maurice préférerait que son amie fût fou- blanche.
jours là, à cause des légers profits. Oui, il fait léger. Mais où sommes-nous donc ? Je ne me recon-
nais pas. On n'aperçoit que de rares lanternes.
maurice.
Elle me semblent trop nombreuses. Je voudrais autour de vous
une nuit sans étoiles où je ne verrais pas plus loin que votre profil.
blanche.
Je frissonne !
maurice.
Ah! vous hésiteriez encore à me suivre au bout du monde. Mais
Paris est là, derrière, distant d'une enjambée. Notre cocher délicat
nous a posés dans un endroit choisi. Les cochers parisiens savent
777/'//////$/' ^uel docor plaît aux amants.
(A suivre). Jules Renard.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1895
Entstehungsdatum (normiert)
1890 - 1900
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 2.1895-1896, No. 54 (16 Novembre 1895), S. 3
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg