4
LE RIRE
N° 56
MAURICE.
Sans doute que pour y aider vous me donnerez de l'argent!
BLANCHE.
Oh 1 les bêtises recommencent 1 De grâce, ménagez vos sar-
casmes. A quoi vous sert d'être intelligent, si vous ne comprenez
pas la vie. Je ne vous donnerai rien et vous ne me donnerez rien.
Parfois, vous me ferez cadeau du chiffon qui me plaira. Ce sera
bien plus gentil. Je me charge du reste.
MAURICE.
Enfin, si je ne paie ce reste, qui le paiera?
BLANCHE.
De quoi vous mêlez-vous ? Qui m'empêche d'avoir de la famillè,
une tante et même des rentes ?
MAURICE.
Ou un autre amant.
BLANCHE.
Ou un autre amant, comme vous dites. Croyez-le, ne le croyez
pas, et décidez. Allez-vous-en ou restez. J'abandonne maintenant
le droit de vous retenir, pour garder celui de dédaigner ensuite
tout reproche. Je me suis mise à l'abri du besoin. Comment ? Je
ne dois de compte à personne. Vous criez haut votre indépendance
et un faible courant d'air vous enroue. Moins vous avez d'argent,
les hommes, plus l'argent vous domine. Les femmes en veulent,
en trouvent et s'en moquent.
MAURICE.
Quant à ma dignité, à mon honneur...
BLANCHE.
L'honneur de qui, le vôtre ou le mien ? Lequel des deux, je vous
prie, court, en ce moment, le plus grand risque ? Les deux se valent.
J'immole ma part sans tant de regrets. Imitez-moi. Vous voulez
être aimé, méritez qu'on vous aime.
MAURICE.
Tenez, Blanche, vous feriez mieux d'ouvrir votre corsage. J'y
coucherais ma tète. Le parfum de votre peau me griserait, et je
perdrais insensiblement la notion des nuances.
BLANCHE.
Voilà, mon ami, respirez.
VII
LA QUESTION DES ENFANTS.
MAURICE.
Je relève une tête ivre et lourde, Blanche. Vous pouvez me de-
mander d'autres sacrifices. .
BLANCHE.
Je cesse de vous affliger, Maurice. Il ne reste qu'un détail sans
importance à régler. 11 est bien entendu que nous n'aurons pas
d'enfants.
MAURICE.
Comme il vous plaira, Blanche. Moi, je n'y tiens guère. D'ailleurs,
si vous changez d'avis plus tard, il sera toujours temps. Jeunes et
sains, nous aurons des enfants quand nous voudrons.
BLANCHE.
Sûrement, mais je n'en voudrai point. On lit l'honnêteté sur
votre visage. Vous ne manqueriez pas à votre devoir, et si j'étais
rusée, je vous attacherais à moi pour la vie, avec un enfant. Ce
moyen me répugne, et puis ça abîme trop.
MAURICE.
Bon, je n'insiste plus. Je vous le répète, ça m'est égal.
BLANCHE.
Nous n'aurons donc jamais d'enfants. Mais les plus malins se
trompent. Comment vous y prendrez-vous ?
MAURICE.
Ne vous inquiétez point. Le progrès n'est pas un vain mot. La
science a marché.
BLANCHE.
Vous en savez plus long que moi, pauvre ignorante. Je me livre
à vos soins dévoués. Mais je vous préviens que si vous vous
trompez, au premier symptôme, je risque un accident.
MAURICE.
Nous n'en viendrons pas là, ou je serais fort étonné.
BLANCHE.
Ne négligez aucune précaution.
MAURICE.
Je réponds de tout.
BLANCHE.
Ouf! j'ai fini. Quelle heure est-il?
MAURICE.
Attendez que j'allume une allumette. Onze heures.
BLANCHE.
Comme je bavarde. Nous marchons depuis longtemps. Nous
avons dû faire beaucoup de chemin.
MAURICE.
Oui, en rond. Nous tournons autour d'un bouquet d'arbres.
BLANCHE.
Puisqu'on ne voit rien, inutile d'avancer, et il vaut mieux ne pas
s'égarer, bien que je n'aie plus peur. Moi qui déteste la marche, à
votre bras, cher Maurice, je ne sens aucune fatigue. Ma confession
me soulage et diminue le poids de mon corps. C'est curieux comme
le moral influe sur le physique.
MAURICE.
Et réciproquement.
BLANCHE.
Désormais, Maurice, nous n'aurons qu'à nous aimer sans arrière-
pensée. Ne vous faites-vous pas trop d'illusions? Je n'ai plus vingt
ans. Oh! que ne me connaissiez-vous à cet âge? J'étais une belle
fille, élastique et neuve, et prête à concourir avec des chances de
remporter le prix. Hélas! je crains d'avoir un peu perdu.
MAURICE.
Vous vous calomniez, Blanche. Nous verrons bien.
BLANCHE.
Quand vous m'examinez d'un œil scrutateur, je me sens mal à
l'aise. Je me figure qu'au travers de mes vêtements, vous m'étudiez
portion par portion.
MAURICE.
Si vous le désirez, je me précipiterai les yeux bouchés.
BLANCHE.
Un homme est assez beau, pourvu qu'il ait tous ses membres, et
son regard change en ornière une ride de femme. J'en avoue plus
d'une. Ne me supposez point trop parfaite.
MAURICE.
Vous vous noircissez en vain. Je vous devine irréprochable, et je
n'arrivé pas à croire que vous faites déjà des plis.
BLANCHE.
Moi, non, mais (et je ne dis pas cela pour dire des énormités)
une de mes amies a comme un tablier de cuir au bas du ventre.
Enfin, si vous êtes un peu déçu, dissimulez-le généreusement.
MAURICE.
Voulez-vous vous taire, coquette, ou parlez-vous de la sorte, afin
qu'à mon tour je réclame votre indulgence, car la surexcitation où
vous m'avez amené m'épuise. Naturellement je passe presque toutes
mes nuits blanches. Quel amoureux y résisterait? Je n'ai rien d'un
bœuf en fonte. Le moment venu, me conduirai-je comme un
homme? Serai-je à la hauteur?
BLANCHE.
Ah! ah! laissez-moi rire de bon cœur, Maurice. Ces petites
transes nous honorent l'un et l'autre. Elles prouvent notre loyauté.
De cette façon aucun des deux ne sera volé. Quelle chance de
pouvoir s'entendre! Les autres ne s'entendent pas comme nous.
MAURICE.
Aussi que de mauvais ménages!
BLANCHE.
Maurice, je te récompenserai.
MAURICE.
Elle est gentille, gentille, gentille.
IX
L'ALERTE
Maurice ne dit pas ces mots pour la flatter, car, depuis un
instant, il ne Vécoute plus. Il écoute des feuilles qui semblent
régler leur froissement sur sa marche. Elles se taisent quand il
s'arrête, et quand il repart, aussitôt dles craquent.
Cest sûr que quelqu'un de mal intentionné suit le couple, à
LE RIRE
N° 56
MAURICE.
Sans doute que pour y aider vous me donnerez de l'argent!
BLANCHE.
Oh 1 les bêtises recommencent 1 De grâce, ménagez vos sar-
casmes. A quoi vous sert d'être intelligent, si vous ne comprenez
pas la vie. Je ne vous donnerai rien et vous ne me donnerez rien.
Parfois, vous me ferez cadeau du chiffon qui me plaira. Ce sera
bien plus gentil. Je me charge du reste.
MAURICE.
Enfin, si je ne paie ce reste, qui le paiera?
BLANCHE.
De quoi vous mêlez-vous ? Qui m'empêche d'avoir de la famillè,
une tante et même des rentes ?
MAURICE.
Ou un autre amant.
BLANCHE.
Ou un autre amant, comme vous dites. Croyez-le, ne le croyez
pas, et décidez. Allez-vous-en ou restez. J'abandonne maintenant
le droit de vous retenir, pour garder celui de dédaigner ensuite
tout reproche. Je me suis mise à l'abri du besoin. Comment ? Je
ne dois de compte à personne. Vous criez haut votre indépendance
et un faible courant d'air vous enroue. Moins vous avez d'argent,
les hommes, plus l'argent vous domine. Les femmes en veulent,
en trouvent et s'en moquent.
MAURICE.
Quant à ma dignité, à mon honneur...
BLANCHE.
L'honneur de qui, le vôtre ou le mien ? Lequel des deux, je vous
prie, court, en ce moment, le plus grand risque ? Les deux se valent.
J'immole ma part sans tant de regrets. Imitez-moi. Vous voulez
être aimé, méritez qu'on vous aime.
MAURICE.
Tenez, Blanche, vous feriez mieux d'ouvrir votre corsage. J'y
coucherais ma tète. Le parfum de votre peau me griserait, et je
perdrais insensiblement la notion des nuances.
BLANCHE.
Voilà, mon ami, respirez.
VII
LA QUESTION DES ENFANTS.
MAURICE.
Je relève une tête ivre et lourde, Blanche. Vous pouvez me de-
mander d'autres sacrifices. .
BLANCHE.
Je cesse de vous affliger, Maurice. Il ne reste qu'un détail sans
importance à régler. 11 est bien entendu que nous n'aurons pas
d'enfants.
MAURICE.
Comme il vous plaira, Blanche. Moi, je n'y tiens guère. D'ailleurs,
si vous changez d'avis plus tard, il sera toujours temps. Jeunes et
sains, nous aurons des enfants quand nous voudrons.
BLANCHE.
Sûrement, mais je n'en voudrai point. On lit l'honnêteté sur
votre visage. Vous ne manqueriez pas à votre devoir, et si j'étais
rusée, je vous attacherais à moi pour la vie, avec un enfant. Ce
moyen me répugne, et puis ça abîme trop.
MAURICE.
Bon, je n'insiste plus. Je vous le répète, ça m'est égal.
BLANCHE.
Nous n'aurons donc jamais d'enfants. Mais les plus malins se
trompent. Comment vous y prendrez-vous ?
MAURICE.
Ne vous inquiétez point. Le progrès n'est pas un vain mot. La
science a marché.
BLANCHE.
Vous en savez plus long que moi, pauvre ignorante. Je me livre
à vos soins dévoués. Mais je vous préviens que si vous vous
trompez, au premier symptôme, je risque un accident.
MAURICE.
Nous n'en viendrons pas là, ou je serais fort étonné.
BLANCHE.
Ne négligez aucune précaution.
MAURICE.
Je réponds de tout.
BLANCHE.
Ouf! j'ai fini. Quelle heure est-il?
MAURICE.
Attendez que j'allume une allumette. Onze heures.
BLANCHE.
Comme je bavarde. Nous marchons depuis longtemps. Nous
avons dû faire beaucoup de chemin.
MAURICE.
Oui, en rond. Nous tournons autour d'un bouquet d'arbres.
BLANCHE.
Puisqu'on ne voit rien, inutile d'avancer, et il vaut mieux ne pas
s'égarer, bien que je n'aie plus peur. Moi qui déteste la marche, à
votre bras, cher Maurice, je ne sens aucune fatigue. Ma confession
me soulage et diminue le poids de mon corps. C'est curieux comme
le moral influe sur le physique.
MAURICE.
Et réciproquement.
BLANCHE.
Désormais, Maurice, nous n'aurons qu'à nous aimer sans arrière-
pensée. Ne vous faites-vous pas trop d'illusions? Je n'ai plus vingt
ans. Oh! que ne me connaissiez-vous à cet âge? J'étais une belle
fille, élastique et neuve, et prête à concourir avec des chances de
remporter le prix. Hélas! je crains d'avoir un peu perdu.
MAURICE.
Vous vous calomniez, Blanche. Nous verrons bien.
BLANCHE.
Quand vous m'examinez d'un œil scrutateur, je me sens mal à
l'aise. Je me figure qu'au travers de mes vêtements, vous m'étudiez
portion par portion.
MAURICE.
Si vous le désirez, je me précipiterai les yeux bouchés.
BLANCHE.
Un homme est assez beau, pourvu qu'il ait tous ses membres, et
son regard change en ornière une ride de femme. J'en avoue plus
d'une. Ne me supposez point trop parfaite.
MAURICE.
Vous vous noircissez en vain. Je vous devine irréprochable, et je
n'arrivé pas à croire que vous faites déjà des plis.
BLANCHE.
Moi, non, mais (et je ne dis pas cela pour dire des énormités)
une de mes amies a comme un tablier de cuir au bas du ventre.
Enfin, si vous êtes un peu déçu, dissimulez-le généreusement.
MAURICE.
Voulez-vous vous taire, coquette, ou parlez-vous de la sorte, afin
qu'à mon tour je réclame votre indulgence, car la surexcitation où
vous m'avez amené m'épuise. Naturellement je passe presque toutes
mes nuits blanches. Quel amoureux y résisterait? Je n'ai rien d'un
bœuf en fonte. Le moment venu, me conduirai-je comme un
homme? Serai-je à la hauteur?
BLANCHE.
Ah! ah! laissez-moi rire de bon cœur, Maurice. Ces petites
transes nous honorent l'un et l'autre. Elles prouvent notre loyauté.
De cette façon aucun des deux ne sera volé. Quelle chance de
pouvoir s'entendre! Les autres ne s'entendent pas comme nous.
MAURICE.
Aussi que de mauvais ménages!
BLANCHE.
Maurice, je te récompenserai.
MAURICE.
Elle est gentille, gentille, gentille.
IX
L'ALERTE
Maurice ne dit pas ces mots pour la flatter, car, depuis un
instant, il ne Vécoute plus. Il écoute des feuilles qui semblent
régler leur froissement sur sa marche. Elles se taisent quand il
s'arrête, et quand il repart, aussitôt dles craquent.
Cest sûr que quelqu'un de mal intentionné suit le couple, à
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1895
Entstehungsdatum (normiert)
1890 - 1900
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 2.1895-1896, No. 56 (30 Novembre 1895), S. 4
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg