LE RIRE
LE'MALICIEUX GAMIN ET L'INVALIDE ENDORMI
— Livrons-nous à une petite expérience!
Ciboulard et (Pétronot
« Moi, c'est moi, et toi, tais-toi », telle était la devise de Marcel
Pétronot. Il avait fait de l'orgueil un piédestal sur lequel il trônait
agréablement. Un ministère renversé le faisait se tordre : « Tu
vois, moi, je suis encore debout ». Et sa plus grande joie était de
connaître l'existence d'une magistrature assise.
Hier, rencontrant son ami Ciboulard, il lui confia, très satisfait :
ii Je viens d'acheter un petit bateau à vapeur, avec hélice en nickel,
mon cher ».
Et, se grattant les quelques cheveux qui formaient oasis sur le
désert de son crâne, il ajoutait : « Je ne payerai jamais mon petit
bateau à vapeur; n'ai-je pas le droit d'avoir, comme l'État, ma
dette flottante ? »
Ses domestiques sont d'anciens marquis en retraite. Dans son
lac, les grenouilles n'ont pas de queue, simplement parce que « ça
les gênerait pour s'asseoir ». Son perroquet, vert de canard, parle
cinq langues, toutes en français, pour sa commodité personnelle.
Son chat, oh! son chat!... « 11 est extraordinaire, disait-il à
Ciboulard, c'est un chat à poils durs, un chat-griffon... Un chat,
n'est-ce pas, c'est ordinairement un cylindre garni de poils,
eh bien, le mien, c'est presque un porc-épic... Extraordinaire!
mon bon, extraordinaire!... Ce n'est pas à celui-là que tu ferais
manger du mou, du foie, du veau et autres saletés... L'entrecôte,
— Oh la! là! Je m'en doutais, c'est pas d'I'argent, c'est du fer-blanc!
Dessin de B. Ràbier.
Bercy, semble-t-il me dire en un miaulement caractéristique, ça
sent le marchand de vin, c'est bon pour les gens de maison. Il lui
faut des châteaubriants, et saignants, sans quoi... »
Ciboulard, énervé, l'interrompit :
— Sans quoi, zut ! zut ! et zut ! C'est stupide de nourrir un chat
avec de la viande lorsqu'il est prouvé que cet animal lui préfère
le poivre.
— Il est fou, ce pauvre Ciboulard !... Fais-lui en donc manger,
toi, du poivre, à mon chat-griffon.
— Oui, moi. Je te parie cinq louis que ton chat lâche tous les
châteaubriants du monde pour une pincée de poivre.
— Mon bon, je te connaissais pour être passablement libidineux,
mais pas à ce point gaga.
— Acceptes-tu ?
— J'accepte... Pauvre Ciboulard!
Un chàteaubriant, superbement juteux, fut déposé sous le nez
du fameux chat; mais à peine avait-il attaqué la viande exquise,
i
que Ciboulard lui relevait le prolongement de l'épine dorsale et
lui soufflait son poivre dans la rose des vents.
Lâcher le morceau de bœuf pour, à coups de langue, secourir sa
partie en détresse, fut pour l'extraordinaire félin l'affaire d'une
seconde.
Et Ciboulard, vainqueur, de s'écrier :
(i Hé ! quand je te disais qu'il préférait le poivre. »
Georges Brandimbourg.
LE'MALICIEUX GAMIN ET L'INVALIDE ENDORMI
— Livrons-nous à une petite expérience!
Ciboulard et (Pétronot
« Moi, c'est moi, et toi, tais-toi », telle était la devise de Marcel
Pétronot. Il avait fait de l'orgueil un piédestal sur lequel il trônait
agréablement. Un ministère renversé le faisait se tordre : « Tu
vois, moi, je suis encore debout ». Et sa plus grande joie était de
connaître l'existence d'une magistrature assise.
Hier, rencontrant son ami Ciboulard, il lui confia, très satisfait :
ii Je viens d'acheter un petit bateau à vapeur, avec hélice en nickel,
mon cher ».
Et, se grattant les quelques cheveux qui formaient oasis sur le
désert de son crâne, il ajoutait : « Je ne payerai jamais mon petit
bateau à vapeur; n'ai-je pas le droit d'avoir, comme l'État, ma
dette flottante ? »
Ses domestiques sont d'anciens marquis en retraite. Dans son
lac, les grenouilles n'ont pas de queue, simplement parce que « ça
les gênerait pour s'asseoir ». Son perroquet, vert de canard, parle
cinq langues, toutes en français, pour sa commodité personnelle.
Son chat, oh! son chat!... « 11 est extraordinaire, disait-il à
Ciboulard, c'est un chat à poils durs, un chat-griffon... Un chat,
n'est-ce pas, c'est ordinairement un cylindre garni de poils,
eh bien, le mien, c'est presque un porc-épic... Extraordinaire!
mon bon, extraordinaire!... Ce n'est pas à celui-là que tu ferais
manger du mou, du foie, du veau et autres saletés... L'entrecôte,
— Oh la! là! Je m'en doutais, c'est pas d'I'argent, c'est du fer-blanc!
Dessin de B. Ràbier.
Bercy, semble-t-il me dire en un miaulement caractéristique, ça
sent le marchand de vin, c'est bon pour les gens de maison. Il lui
faut des châteaubriants, et saignants, sans quoi... »
Ciboulard, énervé, l'interrompit :
— Sans quoi, zut ! zut ! et zut ! C'est stupide de nourrir un chat
avec de la viande lorsqu'il est prouvé que cet animal lui préfère
le poivre.
— Il est fou, ce pauvre Ciboulard !... Fais-lui en donc manger,
toi, du poivre, à mon chat-griffon.
— Oui, moi. Je te parie cinq louis que ton chat lâche tous les
châteaubriants du monde pour une pincée de poivre.
— Mon bon, je te connaissais pour être passablement libidineux,
mais pas à ce point gaga.
— Acceptes-tu ?
— J'accepte... Pauvre Ciboulard!
Un chàteaubriant, superbement juteux, fut déposé sous le nez
du fameux chat; mais à peine avait-il attaqué la viande exquise,
i
que Ciboulard lui relevait le prolongement de l'épine dorsale et
lui soufflait son poivre dans la rose des vents.
Lâcher le morceau de bœuf pour, à coups de langue, secourir sa
partie en détresse, fut pour l'extraordinaire félin l'affaire d'une
seconde.
Et Ciboulard, vainqueur, de s'écrier :
(i Hé ! quand je te disais qu'il préférait le poivre. »
Georges Brandimbourg.