— Le dimanche, quand on ne sort pas, on prend l'air à la fenêtre.
Dessin de C. Hcard.
xxisr TRUC
Non, Subre n'était pas avare; il aurait donné dix francs pour un sou-
per, il aurait allongé un louis afin de dormir avec une dame bien faité
de sa personne ; mais, comme tous les employés de magasin, il n'ai-
mait pas payer pour aller au théâtre.
Il y a ainsi nombre de personnes relativement intelligentes, qui con-
sidèrent comme honteuse l'action d'échanger cinq francs contre un
fauteuil d'orchestre.
Seulement, Subre ne connaissait aucun journaliste, aucun secrétaire
de théâtre ; il ne s'était lié avec aucun cabotin ; les auteurs dramati-
ques, il les ignorait; alors, comment avait-il ses entrées à l'œil, par-
tout? Comment le voyait-on à toutes les premières?
Voilà où mon histoire — stupide jusqu'ici — devient instructive.
Suhre avait inventé une manière de taper très spéciale. Il ouvrait,
chaque matin, son journal et parcourait le Courrier des Théâtres ; il
sautait par-dessus les matinées, les concerts de bienfaisance ; mais il
se fixait au programme des premières; il étudiait avec attention la liste
des personnages. Supposons, par exemple, que l'on donnât aux Nou-
veautés Champignol malgré lui. Subre sautait sur son papier à lettre
d'Annonay et de sa bonne plume de Tolède trempée dans sa bonne
encre de...c. il écrivait à M. Georges Feydeau :,
« Monsieur,
« Je vois annoncée pour demain la première de votre pièce Champi-
gnol malgré lui; je suis sûr qu'un-nouveau succès se prépare pour
vous. Cependant, permettez-moi de vous faire une légère réclamation:
votre principal personnage se nomme Champignol; or, il se trouve
que, moi aussi, je me nomme Champignol. Sans doute il n'est pas très
agréable de"voir son nom figurer dans une pièce de théâtre; toutefois,
puisque les programmes sont imprimés, puisque les affiches sont pla-
cardées, je ne prétends pas vous obliger à changer le nom de votre
héros; mais je vous prierais de m'accorder comme compensation deux
places que vous laisserez à mon nom, au contrôle ; je les prendrai.
« Veuillez agréez, etc., etc. « Signé: Champignol. »
M. Feydeau pensait, en recevant cette lettre : « Tiens I c'est drôle ! »
Et il n'osait refuser les deux places demandées; le lendemain, Subre
recommençait avec Gandillot, avec Bisson, avec Valabrègue ; et il si-
gnait Lecardonnel, Blésinard, Pontbiquet, ou Lahirel, ou Bougarel;
il écrivit à Courteline sous le nom de Boubouroche, et à Capus sous le
nom de Brignol. Comme les auteurs dramatiques sont des âmes can-
dides qui croient que * tout arrive », le truc prenait chaque fois. Le
soir, Subre se présentait bravement et demandait au contrôle : « Vous
avez deux places pour moi, je suis M. Champignol, » ou « je suis
M. Pontbiquet » ou « je suis Ferdinand le Noceur », et pas une fois il
ne s'en retourna bredouille.
Un jour pourtant, il eut une alerte; il lui était tombé du ciel un pa-
rent de province, ancien principal de collège, qui voulait aller au
Théâtre-Français. Subre lui dit : « Attends un peu, je te montrerai une
première ; ils vont changer le spectacle ». Et le lendemain, il conta son
trucau principal. « Ilsjouent ce soir Sganarelle ouïe Cocu imaginaire ;
alors j'ai écrit à l'auteur pour lui dire que je m'appelais Sganarelle,
que je pourrais me formaliser de voir mon nom sur une affiche; mais
que, etc., etc.. enfin, je lui demande deux places; je me suis rensei-
gné, c'est un sieur Molière, mais il s'appelle de son vrai nom Poquelin;
avec un nom comme ça, il ne peut rien me refuser. »
— Malheureux, tu as écrit à Molière !
w J'ai écrit à de plus malins que lui qui m'ont répondu.
— Mais il est mort depuis plus de deux cents ans ! Il ne peut pas
t'envoyer de billets. '
— Allons donc ! Il serait le premier qui m'aurait refusé des places,
dit Subre.
Et il avait raison, car, le soir, il y avait au contrôle deux places au
nom de M. Sganarelle.
Bill Sharp.
LA FOLIE DES GRANDEURS Dessin de ttODBttLE.
Dessin de C. Hcard.
xxisr TRUC
Non, Subre n'était pas avare; il aurait donné dix francs pour un sou-
per, il aurait allongé un louis afin de dormir avec une dame bien faité
de sa personne ; mais, comme tous les employés de magasin, il n'ai-
mait pas payer pour aller au théâtre.
Il y a ainsi nombre de personnes relativement intelligentes, qui con-
sidèrent comme honteuse l'action d'échanger cinq francs contre un
fauteuil d'orchestre.
Seulement, Subre ne connaissait aucun journaliste, aucun secrétaire
de théâtre ; il ne s'était lié avec aucun cabotin ; les auteurs dramati-
ques, il les ignorait; alors, comment avait-il ses entrées à l'œil, par-
tout? Comment le voyait-on à toutes les premières?
Voilà où mon histoire — stupide jusqu'ici — devient instructive.
Suhre avait inventé une manière de taper très spéciale. Il ouvrait,
chaque matin, son journal et parcourait le Courrier des Théâtres ; il
sautait par-dessus les matinées, les concerts de bienfaisance ; mais il
se fixait au programme des premières; il étudiait avec attention la liste
des personnages. Supposons, par exemple, que l'on donnât aux Nou-
veautés Champignol malgré lui. Subre sautait sur son papier à lettre
d'Annonay et de sa bonne plume de Tolède trempée dans sa bonne
encre de...c. il écrivait à M. Georges Feydeau :,
« Monsieur,
« Je vois annoncée pour demain la première de votre pièce Champi-
gnol malgré lui; je suis sûr qu'un-nouveau succès se prépare pour
vous. Cependant, permettez-moi de vous faire une légère réclamation:
votre principal personnage se nomme Champignol; or, il se trouve
que, moi aussi, je me nomme Champignol. Sans doute il n'est pas très
agréable de"voir son nom figurer dans une pièce de théâtre; toutefois,
puisque les programmes sont imprimés, puisque les affiches sont pla-
cardées, je ne prétends pas vous obliger à changer le nom de votre
héros; mais je vous prierais de m'accorder comme compensation deux
places que vous laisserez à mon nom, au contrôle ; je les prendrai.
« Veuillez agréez, etc., etc. « Signé: Champignol. »
M. Feydeau pensait, en recevant cette lettre : « Tiens I c'est drôle ! »
Et il n'osait refuser les deux places demandées; le lendemain, Subre
recommençait avec Gandillot, avec Bisson, avec Valabrègue ; et il si-
gnait Lecardonnel, Blésinard, Pontbiquet, ou Lahirel, ou Bougarel;
il écrivit à Courteline sous le nom de Boubouroche, et à Capus sous le
nom de Brignol. Comme les auteurs dramatiques sont des âmes can-
dides qui croient que * tout arrive », le truc prenait chaque fois. Le
soir, Subre se présentait bravement et demandait au contrôle : « Vous
avez deux places pour moi, je suis M. Champignol, » ou « je suis
M. Pontbiquet » ou « je suis Ferdinand le Noceur », et pas une fois il
ne s'en retourna bredouille.
Un jour pourtant, il eut une alerte; il lui était tombé du ciel un pa-
rent de province, ancien principal de collège, qui voulait aller au
Théâtre-Français. Subre lui dit : « Attends un peu, je te montrerai une
première ; ils vont changer le spectacle ». Et le lendemain, il conta son
trucau principal. « Ilsjouent ce soir Sganarelle ouïe Cocu imaginaire ;
alors j'ai écrit à l'auteur pour lui dire que je m'appelais Sganarelle,
que je pourrais me formaliser de voir mon nom sur une affiche; mais
que, etc., etc.. enfin, je lui demande deux places; je me suis rensei-
gné, c'est un sieur Molière, mais il s'appelle de son vrai nom Poquelin;
avec un nom comme ça, il ne peut rien me refuser. »
— Malheureux, tu as écrit à Molière !
w J'ai écrit à de plus malins que lui qui m'ont répondu.
— Mais il est mort depuis plus de deux cents ans ! Il ne peut pas
t'envoyer de billets. '
— Allons donc ! Il serait le premier qui m'aurait refusé des places,
dit Subre.
Et il avait raison, car, le soir, il y avait au contrôle deux places au
nom de M. Sganarelle.
Bill Sharp.
LA FOLIE DES GRANDEURS Dessin de ttODBttLE.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1897
Entstehungsdatum (normiert)
1892 - 1902
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 3.1896-1897, No. 132 (15 Mai 1897), S. 2
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg