DU MOT " SALE "
Chez les Pitancbard, le soir, à sept heures, on dîne.
Le père Pitanchard a noué d'un seul nœud sa serviette, les deux
coques dépassant les oreilles.
Tous les membres de la famille (vingt-quatre membres) ont noué
d'un seul nœud leurs serviettes, les deux coques dépassant les
oreilles.
Lors, les deux beaux-frères, Juste Louvet et Chaste Coquet re-
prennent leur fameuse discussion sur le mot « sale ».
— Mon cher beau-frère, opine Chaste Louvet qui est un comp-
table d'une correction idéale (il ne met jamais d'œuf dans sa barbe),
je crois que le mot « sale » ne doit pas être employé isolément, car
il est peu distingué. Exemple : le sale !
— Approuvé, mon gendre 1... prononce le père Pitanchard.
—■ Pourtant, cher beau-frère, opine à son tour Juste Coquet, qui
est également un comptable d'une correction non moins idéale (il
ne met jamais d'œuf dans sa barbe), je crois que si vous ajoutez un
autre mot, substantif ou adjectif, au mot <■ sale », il sera encore
moins distingué. Exemple : le sale monsieur !
■— Approuvé, mon gendre!... prononce le père Pitanchard.
A ce moment Théodule, effroi de son père, de sa grand'mère, de
ses beaux-frères, de ses sœurs et des enfants de ses sœurs, pour ses
idées avancées (ce jeune homme finira mal !), fait cette réflexion :
— Pourtant, si le petit Louis a des taches à son tablier, vous se-
rez bien forcés de dire : « Tiens, tu as un tablier sale! »
— Pardon, Théodule, prononce Juste Coquet,je dirai: «Tu as un
tablier malpropre ! »
— Tu ferais mieux de te taire, mon enfant, que de lancer des in-
terruptions pareilles, hoquète Mme Pitanchard mère, qui vient
d'avaler une asperge de travers.
— Vous ne sauriez croire, mon cher Chaste, fait encore Juste,
combien j'ai été peiné l'autre jour d'entendre une dame, d'un cer-
tain monde pourtant, appeler son fils le petit sale !
— En effet, mon cher Juste, continue Chaste, il est des mots dont,
lorsqu'on jouit d'une certaine éducation, Ton ne devrait point user.
« Sale » est du nombre! et il me peine infiniment d'entendre un
homme qui a des usages dire : le sale temps!
— Ne pourrait-il pas dire: le vilain temps, le temps pluvieux,
désagréable, ou par métaphore : Oh! comme le baromètre est à
la baisse !
— Ne pourrait-il prendre son parapluie afin de se garantir, sans
même formuler d'opinion !
Ici le père Pitanchard déclare :
— Et avez-vous remarqué combien, pris au féminin, ce mot de-
vient encore plus inconvenant : Oh! la sale!... Je ne comprends
pas comment l'on ose se servir d'un tel mot!
— Le fait est que cette expression : la sale demoiselle, par exemple,
approuve Juste, est d'une vulgarité qui frise l'impertinence.
— Et la demoiselle sale! ajoute Chaste, cela me donne du haut-
le-cœur affreux !
— C'est à tel point, réaffirme le père Pitanchard, que je ne vou-
drais même jamais entendre dire, à cause de leur première syllabe
néfaste, ces trois mots : salle de bains, salon, salle à manger!
— Oui, pourquoi pas endroit de bains, endroit de réceptions?
— Pièee à manger?
— Et pourquoi Tivoli Vaux-Hall? hurle Théodule, quand il se-
rait si facile de dire Tivoli Veau mal nettogé!
— Ciel!... s'écrient en chœur Chaste Louvet et Juste Coquet... je
crois qu'il se moque de nous !
— Il tourne ses parents en ridicule, hoquète Mme Pitanchard mère,
qui vient d'avaler une deuxième, puis une troisième asperge de
travers.
Mais le père Pitanchard s'est levé, très droit, très noble, et dési-
gnant d'un geste unique la porte à son fils indigne :
— Sortez, sale gosse ! dit-il.
Et Théodule sort. Maurice Beaubourg.
LES SUITES D'UNE
Chez les Pitancbard, le soir, à sept heures, on dîne.
Le père Pitanchard a noué d'un seul nœud sa serviette, les deux
coques dépassant les oreilles.
Tous les membres de la famille (vingt-quatre membres) ont noué
d'un seul nœud leurs serviettes, les deux coques dépassant les
oreilles.
Lors, les deux beaux-frères, Juste Louvet et Chaste Coquet re-
prennent leur fameuse discussion sur le mot « sale ».
— Mon cher beau-frère, opine Chaste Louvet qui est un comp-
table d'une correction idéale (il ne met jamais d'œuf dans sa barbe),
je crois que le mot « sale » ne doit pas être employé isolément, car
il est peu distingué. Exemple : le sale !
— Approuvé, mon gendre 1... prononce le père Pitanchard.
—■ Pourtant, cher beau-frère, opine à son tour Juste Coquet, qui
est également un comptable d'une correction non moins idéale (il
ne met jamais d'œuf dans sa barbe), je crois que si vous ajoutez un
autre mot, substantif ou adjectif, au mot <■ sale », il sera encore
moins distingué. Exemple : le sale monsieur !
■— Approuvé, mon gendre!... prononce le père Pitanchard.
A ce moment Théodule, effroi de son père, de sa grand'mère, de
ses beaux-frères, de ses sœurs et des enfants de ses sœurs, pour ses
idées avancées (ce jeune homme finira mal !), fait cette réflexion :
— Pourtant, si le petit Louis a des taches à son tablier, vous se-
rez bien forcés de dire : « Tiens, tu as un tablier sale! »
— Pardon, Théodule, prononce Juste Coquet,je dirai: «Tu as un
tablier malpropre ! »
— Tu ferais mieux de te taire, mon enfant, que de lancer des in-
terruptions pareilles, hoquète Mme Pitanchard mère, qui vient
d'avaler une asperge de travers.
— Vous ne sauriez croire, mon cher Chaste, fait encore Juste,
combien j'ai été peiné l'autre jour d'entendre une dame, d'un cer-
tain monde pourtant, appeler son fils le petit sale !
— En effet, mon cher Juste, continue Chaste, il est des mots dont,
lorsqu'on jouit d'une certaine éducation, Ton ne devrait point user.
« Sale » est du nombre! et il me peine infiniment d'entendre un
homme qui a des usages dire : le sale temps!
— Ne pourrait-il pas dire: le vilain temps, le temps pluvieux,
désagréable, ou par métaphore : Oh! comme le baromètre est à
la baisse !
— Ne pourrait-il prendre son parapluie afin de se garantir, sans
même formuler d'opinion !
Ici le père Pitanchard déclare :
— Et avez-vous remarqué combien, pris au féminin, ce mot de-
vient encore plus inconvenant : Oh! la sale!... Je ne comprends
pas comment l'on ose se servir d'un tel mot!
— Le fait est que cette expression : la sale demoiselle, par exemple,
approuve Juste, est d'une vulgarité qui frise l'impertinence.
— Et la demoiselle sale! ajoute Chaste, cela me donne du haut-
le-cœur affreux !
— C'est à tel point, réaffirme le père Pitanchard, que je ne vou-
drais même jamais entendre dire, à cause de leur première syllabe
néfaste, ces trois mots : salle de bains, salon, salle à manger!
— Oui, pourquoi pas endroit de bains, endroit de réceptions?
— Pièee à manger?
— Et pourquoi Tivoli Vaux-Hall? hurle Théodule, quand il se-
rait si facile de dire Tivoli Veau mal nettogé!
— Ciel!... s'écrient en chœur Chaste Louvet et Juste Coquet... je
crois qu'il se moque de nous !
— Il tourne ses parents en ridicule, hoquète Mme Pitanchard mère,
qui vient d'avaler une deuxième, puis une troisième asperge de
travers.
Mais le père Pitanchard s'est levé, très droit, très noble, et dési-
gnant d'un geste unique la porte à son fils indigne :
— Sortez, sale gosse ! dit-il.
Et Théodule sort. Maurice Beaubourg.
LES SUITES D'UNE
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1897
Entstehungsdatum (normiert)
1892 - 1902
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)