PLAGES DE FAMILLES
NOTE MONDAINE
Je ne faillis point à me rendre à l'obligeante invitation qui me
fut faite de vouloir bien honorer de ma prestance l'ouverture du
nouveau Bar-Restaurant populaire de la chaussée Clignancourf.•
Très cordial dans son gilet de laine, le patron nous fit les-hon-
neurs de son zinc flambant neuf avec une rondeur exquise et em-
preinte de la plus 'franche bonhomie.
Nous visitâmes ensemble le somptueux établissement ; autour du
hall central, ruisselant de lumière, de petites cabines pour une,
deux ou trois personnes, d'autres plus spacieuses, pour familles,
étaient aménagées avec tout le luxe pratique et le confortable mo-
derne : murs capitonnés, dallage antiseptique, banquettes de repos,
lavabos, accoudoirs, etc., etc. Tout le nécessaire du poebard con-
vaincu mais discret. La Direction, d'ailleurs, était résolue à ne souf-
frir aucun désordre dans la salle commune; pour éviter toute con-
testation ultérieure, les breuvages se réglaient d'avance et, à la
moindre altercation, deux anciens lutteurs des Folies-Bergère, spé-
cialement attacliés à la maison, précipitaient Pindocile sur une
trappe qui le déposait sans bruit dans une ruelle adjacente et dé-
serte.
Les plus grands sacrifices avaient été consentis et si. la Direction
ne répondait pas des cannes, fourrures, parapluies déposés au ves-
tiaire, le douzième verre était offert gracieusement.
Le restaurant était à prix fixe, mais lesclients.de médiocre appétit
pouvaient en éebange de l'abandon d'un potage obtenir un cahier
de papier à cigarettes, un cornet de tabac contre un plat, une paire
de sandales comme légume et troquer le dessert contre un mirliton.
A ce moment la circulation devenait malaisée, un public nombreux
et varié avait tenu à assister à cette brillante manifestation du pro-
grès, alléché d'ailleurs .par la promesse-'(Te primes véritablement
princières 'autant qu'originales : voulant laisser entre les mains de
chacun un souvenir durable de'cette petite fête de famille, les orga-
nisateurs remettaientàchaquè nouveau client un coup depoingamé-
ricain aux effigies de Nicolas II et de F-F; tout acheteur, pour une
somme supérieure à un franc cinquante centimes, avait droit' â une
ceinture de flanelle rouge ou bleueou à une minuscule pince-monsei-
gneur montée en épingle de cravate.
Cette compréhension des goûts indigènes eut sa récompense en
un succès sans précédent dans les annales de la limonade.
Après le speach jovial et sans prétention d'un conseiller muni-
cipal, le député de l'arrondissement résuma, en fort bon argot, les
sentiments de l'auditoir,e. Il prédit la réussite du nouveau Bar-Res-
taurant populaire et lé triomphe de la République sociale. Il fut
vigoureusement applaudi.
On .fit alors circuler les prunes à l'alcool méthylique et les tomates
au pétrole, délicieuses.spécialités de la maison dont le snobisme ne
manquera pas de-s'emparer et qui remplaceront probablement cet
été les Célèbres fraises à réther. -
Èn somme, soirée charmante, fraternelle et démocratique et ce
malgré (certains diraient : à cause) l'absence systématique de tout
représentant du clergé et du gouvernement de la République. — A
quoi songe-t-on à -l'Elysée?
Il se pourrait qu'on's'en souvienne ici... aux prochaines élections 1
Jean Prairial.
— Un chapeau!... En°m, je vais donc pouvoir mendier à domicile!
Dessin de B. Rabier.
NOTE MONDAINE
Je ne faillis point à me rendre à l'obligeante invitation qui me
fut faite de vouloir bien honorer de ma prestance l'ouverture du
nouveau Bar-Restaurant populaire de la chaussée Clignancourf.•
Très cordial dans son gilet de laine, le patron nous fit les-hon-
neurs de son zinc flambant neuf avec une rondeur exquise et em-
preinte de la plus 'franche bonhomie.
Nous visitâmes ensemble le somptueux établissement ; autour du
hall central, ruisselant de lumière, de petites cabines pour une,
deux ou trois personnes, d'autres plus spacieuses, pour familles,
étaient aménagées avec tout le luxe pratique et le confortable mo-
derne : murs capitonnés, dallage antiseptique, banquettes de repos,
lavabos, accoudoirs, etc., etc. Tout le nécessaire du poebard con-
vaincu mais discret. La Direction, d'ailleurs, était résolue à ne souf-
frir aucun désordre dans la salle commune; pour éviter toute con-
testation ultérieure, les breuvages se réglaient d'avance et, à la
moindre altercation, deux anciens lutteurs des Folies-Bergère, spé-
cialement attacliés à la maison, précipitaient Pindocile sur une
trappe qui le déposait sans bruit dans une ruelle adjacente et dé-
serte.
Les plus grands sacrifices avaient été consentis et si. la Direction
ne répondait pas des cannes, fourrures, parapluies déposés au ves-
tiaire, le douzième verre était offert gracieusement.
Le restaurant était à prix fixe, mais lesclients.de médiocre appétit
pouvaient en éebange de l'abandon d'un potage obtenir un cahier
de papier à cigarettes, un cornet de tabac contre un plat, une paire
de sandales comme légume et troquer le dessert contre un mirliton.
A ce moment la circulation devenait malaisée, un public nombreux
et varié avait tenu à assister à cette brillante manifestation du pro-
grès, alléché d'ailleurs .par la promesse-'(Te primes véritablement
princières 'autant qu'originales : voulant laisser entre les mains de
chacun un souvenir durable de'cette petite fête de famille, les orga-
nisateurs remettaientàchaquè nouveau client un coup depoingamé-
ricain aux effigies de Nicolas II et de F-F; tout acheteur, pour une
somme supérieure à un franc cinquante centimes, avait droit' â une
ceinture de flanelle rouge ou bleueou à une minuscule pince-monsei-
gneur montée en épingle de cravate.
Cette compréhension des goûts indigènes eut sa récompense en
un succès sans précédent dans les annales de la limonade.
Après le speach jovial et sans prétention d'un conseiller muni-
cipal, le député de l'arrondissement résuma, en fort bon argot, les
sentiments de l'auditoir,e. Il prédit la réussite du nouveau Bar-Res-
taurant populaire et lé triomphe de la République sociale. Il fut
vigoureusement applaudi.
On .fit alors circuler les prunes à l'alcool méthylique et les tomates
au pétrole, délicieuses.spécialités de la maison dont le snobisme ne
manquera pas de-s'emparer et qui remplaceront probablement cet
été les Célèbres fraises à réther. -
Èn somme, soirée charmante, fraternelle et démocratique et ce
malgré (certains diraient : à cause) l'absence systématique de tout
représentant du clergé et du gouvernement de la République. — A
quoi songe-t-on à -l'Elysée?
Il se pourrait qu'on's'en souvienne ici... aux prochaines élections 1
Jean Prairial.
— Un chapeau!... En°m, je vais donc pouvoir mendier à domicile!
Dessin de B. Rabier.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1897
Entstehungsdatum (normiert)
1892 - 1902
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)