LES CONTES DE FÉES MODERNISÉS
I. — BARBE-BLEUE Dessin de Pcppkt.
si tu veux, je te donnerai dix. francs de plus possède un partenaire infatigable... etqui,en
OU MENENT LES P ASSIONS Par mois, et nous jouerons de l'argent. Ça outre, le sert pour rien.
intéressera la partie. » Bill Sharp.
-' Benoit accepte, il a réfléchi ; d'après son
calcul, il est au moins aussi fort que son
L'oncle Goupille n'est pas un beau vieil- maître. Non seulement il est sûr de défendre
lard, quoiqu'il possède une barbe en argent son argent, mais encore il compte grappiller
massif et un air majestueux. Il vit tout seul quelques francs de supplément,
et tient sa famille à l'écart de son futur ca- Maintenant, il suit le jeu avec attention ; il
davre; ou plutôt sa vraie famille, c'est le jeu combine des coups habiles; chaque partie lui
de cartes; les rois sont ses frères, les reines apporte une nouvelle émotion. La nuit, il rêve
sont ses sœurs, les valets ses neveux, et il de quatre-vingt-dix et de vole. Les bonnes du
est ravi quand il peut leur jouer le mauvais sixième pleurent, car Benoit les néglige; il
tour de les couper avec un tout petit atout, ne va plus au bal du Cadran. Le matin, il dé-
Au café, on ne veut plus cartonner avec pêche son ouvrage, et c'est lui, qui le pre-
l'oncle Goupille; il a mauvais caractère et il mier, provoque son maître au piquet.
ne sait plus retenir sa salive, surtout lorsqu'il • • •...............
fume; elle filtre le long de sa belle barbe et Le premier mois, l'oncle Goupille perdit,
s'éparpille en gouttelettes sur les cartes ou outre les dix francs de supplément, une somme
sur le tapis. S'il demande à prendre place, imprévue de six francs. Benoit triomphait,
on lui répond qu'il arrive trop tard, les camps Le second mois, les pertes et les gains se
sont organisés. balançaient; Benoit se consola, car il gardait
Le vieux a fini par comprendre ; il reste intacte son indemnité,
chez lui. Il a embauché un valet de chambre, Mais le troisième mois, le vieux Goupille
Benoît, qui, pour trente francs par mois, tient se révéla soudain comme un joueur hors
la maison en ordre, et par-dessus le marché ligne. Avec une science certaine, il prévoyait
fait le piquet et l'écarté à rien du tout la les quintes, complétait les quatorze... Grâce
fiche. Lorsque son . travail est terminé, il à d'habiles stratégies, il rompait les meil-
s'assied devant l'oncle Goupille, et, des heures leures combinaisons de son adversaire; il
entières, il jette des cartes sur les cartes du parvint à regagner l'indemnité,
xieux. Mais sa pensée est autre part; elle va Les mois suivants, il se maintint en gain;
aux bonnes du sixième, au bal du Cadran, à il entamait les gages de Benoît, et Benoît
la possibilité d'acheter une bicyclette, et d - s'acharnait quand même...
verses futilités de cet ordre. Il s'acharne toujours, au lieu de renoncer
Mais cela ne peut durer; le vieux s'impa- à la partie et de reprendre les anciennes
tiente; il ne sent pas de résistance à ses at- conventions. Car il est devenu joueur, il
taques, on ne lui dispute pas la victoire; il poursuit l'espoir de veines insensées, il s'en- _ MalheureuX) ne tirez pas, c'est un ballon!
n'a pas le plaisir de faire du tort à quelqu'un, ferre de plus en plus, il joue sur parole. Ses _ je m'en fiche, je ne veux pas rentrer bro-
de lui prendre son argent et de l'écraser gages y passent, tout entiers. douille, il faut que je tue quelque chose. *
sous la veine. Aussi, il se décide : « Benoît, Et, aujourd'hui, l'oncle Goupille, radieux, Dessin de DÉpioon.
I. — BARBE-BLEUE Dessin de Pcppkt.
si tu veux, je te donnerai dix. francs de plus possède un partenaire infatigable... etqui,en
OU MENENT LES P ASSIONS Par mois, et nous jouerons de l'argent. Ça outre, le sert pour rien.
intéressera la partie. » Bill Sharp.
-' Benoit accepte, il a réfléchi ; d'après son
calcul, il est au moins aussi fort que son
L'oncle Goupille n'est pas un beau vieil- maître. Non seulement il est sûr de défendre
lard, quoiqu'il possède une barbe en argent son argent, mais encore il compte grappiller
massif et un air majestueux. Il vit tout seul quelques francs de supplément,
et tient sa famille à l'écart de son futur ca- Maintenant, il suit le jeu avec attention ; il
davre; ou plutôt sa vraie famille, c'est le jeu combine des coups habiles; chaque partie lui
de cartes; les rois sont ses frères, les reines apporte une nouvelle émotion. La nuit, il rêve
sont ses sœurs, les valets ses neveux, et il de quatre-vingt-dix et de vole. Les bonnes du
est ravi quand il peut leur jouer le mauvais sixième pleurent, car Benoit les néglige; il
tour de les couper avec un tout petit atout, ne va plus au bal du Cadran. Le matin, il dé-
Au café, on ne veut plus cartonner avec pêche son ouvrage, et c'est lui, qui le pre-
l'oncle Goupille; il a mauvais caractère et il mier, provoque son maître au piquet.
ne sait plus retenir sa salive, surtout lorsqu'il • • •...............
fume; elle filtre le long de sa belle barbe et Le premier mois, l'oncle Goupille perdit,
s'éparpille en gouttelettes sur les cartes ou outre les dix francs de supplément, une somme
sur le tapis. S'il demande à prendre place, imprévue de six francs. Benoit triomphait,
on lui répond qu'il arrive trop tard, les camps Le second mois, les pertes et les gains se
sont organisés. balançaient; Benoit se consola, car il gardait
Le vieux a fini par comprendre ; il reste intacte son indemnité,
chez lui. Il a embauché un valet de chambre, Mais le troisième mois, le vieux Goupille
Benoît, qui, pour trente francs par mois, tient se révéla soudain comme un joueur hors
la maison en ordre, et par-dessus le marché ligne. Avec une science certaine, il prévoyait
fait le piquet et l'écarté à rien du tout la les quintes, complétait les quatorze... Grâce
fiche. Lorsque son . travail est terminé, il à d'habiles stratégies, il rompait les meil-
s'assied devant l'oncle Goupille, et, des heures leures combinaisons de son adversaire; il
entières, il jette des cartes sur les cartes du parvint à regagner l'indemnité,
xieux. Mais sa pensée est autre part; elle va Les mois suivants, il se maintint en gain;
aux bonnes du sixième, au bal du Cadran, à il entamait les gages de Benoît, et Benoît
la possibilité d'acheter une bicyclette, et d - s'acharnait quand même...
verses futilités de cet ordre. Il s'acharne toujours, au lieu de renoncer
Mais cela ne peut durer; le vieux s'impa- à la partie et de reprendre les anciennes
tiente; il ne sent pas de résistance à ses at- conventions. Car il est devenu joueur, il
taques, on ne lui dispute pas la victoire; il poursuit l'espoir de veines insensées, il s'en- _ MalheureuX) ne tirez pas, c'est un ballon!
n'a pas le plaisir de faire du tort à quelqu'un, ferre de plus en plus, il joue sur parole. Ses _ je m'en fiche, je ne veux pas rentrer bro-
de lui prendre son argent et de l'écraser gages y passent, tout entiers. douille, il faut que je tue quelque chose. *
sous la veine. Aussi, il se décide : « Benoît, Et, aujourd'hui, l'oncle Goupille, radieux, Dessin de DÉpioon.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Les contes de fées modernisés, - Malheureux, ne tirez pas, C'est un ballon!
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Objektbeschreibung
Bildunterschrift: 1.- Barbe-bleue Bildunterschrift: - Malheureux, ne tirez pas, C'est un ballon! - Je m'en fiche, je ne veux pas rentrer bredouille, il faut que je tue quelque chose.
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1897
Entstehungsdatum (normiert)
1892 - 1902
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 3.1896-1897, No. 152 (2 octobre 1897), S. 2
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg