P'TITS JEUNES GENS
ÉCONOMIE
Le passant établit son pied sur le tréteau du cireur de bottines,
et s'exprima en ces termes :
— Combien pour me faire reluire?
— Ce que Monsieur voudra.
— Non, j'aime à être fixé. Écoutez, ou vous donne généralement
cinq sous : je vous en promets dix pour que ça reluise bien.
— Entendu.
Et je te frotte, et je te frotte. L'honnête ouvrier usa assez d'huile de coude pour graisser
tous les rouages parlementaires.
Pourtant, quand la noble sueur du travail soula de son Iront en cascades sur sa table de
repassage, il s'arrêta et dit :
— Ah non, j'y renonce; ce cuir-la, je ne sais pas ce qu'il a, mais il ne veut pas reluire,
pas plus à un pied qu'a l'autre.
Le passant ramena à l'alignement du pied gauche le droit qui trônait sur le modeste
comptoir, donna cinquante centimes au manœuvre, et proféra ces quelques mots d'une voix
assurée : *
— Mon ami, prenez d'abord la juste rémunération de votre labeur et ne vous acharnez
pas à la réalisation d'un rêve impossible. Je ne reluirai pas aujourd'hui, j'ajouterai même
que je ne tiens pas a reluire. Voici pourquoi : des douleurs aussi imprévues que rhumatis-
males m'ont amené dans le cabinet d'un médecin qui me prescrivit des frictions robustes
faites sur les pieds avec une brosse dure. Guidé par un sentiment inné de la logique, je
courus m'adresser à un masseur qui me demanda vingt francs, oui, monsieur, vingt francs
par séance. Cette somme dépassait également le niveau de mes prévisions et l'étiage de ma
bourse. C'est alors que le Dieu tout-puissant qui scrute les reins et les cœurs, mais qui ne
les masse pas à vingt francs l'heure, m'amena devant votre modeste eutrepôt. Vous m'avez
massé, vous avez gagné un salaire inespéré, vous êtes content, moi aussi. Au revoir, mon
ami, je reviendrai demain.
Le cireur Leva lentement les yeux vers la prolongation naturelle des souliers qu'il venait
de fourbir.
Le client s'éloignait à pas tranquille 3 mais majestueux, et du reste absolument
— Non, mais ce qu'ils s'offriraient ma déchausse,
tête à « l'Américain » si les autres me C'était un nègre, très noir!
voyaient comme çà!.., Sbcot.
Dessin de Bailly.
— A Paris les directeurs de journaux illustres ne savent pas apprécier — Je partis furieux avec mon chef-d'œuvre incompris, et arrive chez
le beau. Un jour, j'apportais ce dessin chez l'un d'eux : je m'attendais à des moi je le fignolai un peu. Je lui reportai, et, cette fois-ci il le prit, mais
compliments, lorsqu'il me le rendit froidement en me diVant : « Que signifie ce n'était plus ça!
ce mèli-mclo, et pourquoi cette timbale milanaise à côté d'un plumeau, et Dessin de Le Bocain.
ce siphon d'eau de Seltz, et ce porte-allumettes, et ce bateau en l'air avec
une dentelle. Je ne saisis pas ce que vous avez voulu faire! »
ÉCONOMIE
Le passant établit son pied sur le tréteau du cireur de bottines,
et s'exprima en ces termes :
— Combien pour me faire reluire?
— Ce que Monsieur voudra.
— Non, j'aime à être fixé. Écoutez, ou vous donne généralement
cinq sous : je vous en promets dix pour que ça reluise bien.
— Entendu.
Et je te frotte, et je te frotte. L'honnête ouvrier usa assez d'huile de coude pour graisser
tous les rouages parlementaires.
Pourtant, quand la noble sueur du travail soula de son Iront en cascades sur sa table de
repassage, il s'arrêta et dit :
— Ah non, j'y renonce; ce cuir-la, je ne sais pas ce qu'il a, mais il ne veut pas reluire,
pas plus à un pied qu'a l'autre.
Le passant ramena à l'alignement du pied gauche le droit qui trônait sur le modeste
comptoir, donna cinquante centimes au manœuvre, et proféra ces quelques mots d'une voix
assurée : *
— Mon ami, prenez d'abord la juste rémunération de votre labeur et ne vous acharnez
pas à la réalisation d'un rêve impossible. Je ne reluirai pas aujourd'hui, j'ajouterai même
que je ne tiens pas a reluire. Voici pourquoi : des douleurs aussi imprévues que rhumatis-
males m'ont amené dans le cabinet d'un médecin qui me prescrivit des frictions robustes
faites sur les pieds avec une brosse dure. Guidé par un sentiment inné de la logique, je
courus m'adresser à un masseur qui me demanda vingt francs, oui, monsieur, vingt francs
par séance. Cette somme dépassait également le niveau de mes prévisions et l'étiage de ma
bourse. C'est alors que le Dieu tout-puissant qui scrute les reins et les cœurs, mais qui ne
les masse pas à vingt francs l'heure, m'amena devant votre modeste eutrepôt. Vous m'avez
massé, vous avez gagné un salaire inespéré, vous êtes content, moi aussi. Au revoir, mon
ami, je reviendrai demain.
Le cireur Leva lentement les yeux vers la prolongation naturelle des souliers qu'il venait
de fourbir.
Le client s'éloignait à pas tranquille 3 mais majestueux, et du reste absolument
— Non, mais ce qu'ils s'offriraient ma déchausse,
tête à « l'Américain » si les autres me C'était un nègre, très noir!
voyaient comme çà!.., Sbcot.
Dessin de Bailly.
— A Paris les directeurs de journaux illustres ne savent pas apprécier — Je partis furieux avec mon chef-d'œuvre incompris, et arrive chez
le beau. Un jour, j'apportais ce dessin chez l'un d'eux : je m'attendais à des moi je le fignolai un peu. Je lui reportai, et, cette fois-ci il le prit, mais
compliments, lorsqu'il me le rendit froidement en me diVant : « Que signifie ce n'était plus ça!
ce mèli-mclo, et pourquoi cette timbale milanaise à côté d'un plumeau, et Dessin de Le Bocain.
ce siphon d'eau de Seltz, et ce porte-allumettes, et ce bateau en l'air avec
une dentelle. Je ne saisis pas ce que vous avez voulu faire! »
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1897
Entstehungsdatum (normiert)
1892 - 1902
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 4.1897-1898, No. 162 (11 Décembre 1897), S. 8
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg