LE PETIT LA. BRUYÈRE CONTEMPORAIN. — N° 1.
LE GAFFEUR
Cyrille est gaffeur. Il est né tel et il mourra tel. Il gaffe comme on
respire, naturellement et sans s'en douter. D'aucuns le prétendent
sot et c'est à tort. Il a de l'esprit et du meilleur ; mais il a le mot
fâcheux de même que d'autres ont la main malheureuse. Sa nais-
sance fut une gaffe. Il vint au monde fort mal à propos. Son père
était en voyage depuis plus d'un an. Peut-être après tout fut-il fait I
par correspondance. Quoi qu'il en soit, son enfance s'écoula triste.
Ses premiers essais lui valurent d'innombrables taloches : « Que
feras-tu quand tu seras grand? lui disaient parfois des amis de sa
famille. — Banqueroute, comme papa, répondait-il invariablement. »
Il avait une vieille tante à héritage que ses parents choyaient fort
Un jour il lui demande poliment : « Où mettez-vous votre bou-
teille?...— Quelle bouteille? fait cette personne respectable. — Celle
qui vou» «sert à repousser du goulot. » On dut l'interner dans un
collège.''
Aujourd'hui Cyrille est un homme, et cependant il est demeuré
enfant terrible. On le prie à diner chez les Cinéas, barons d'occa-
sion, enrichis dans le commerce des denrées alimentaires. Il arrive,
comme las de l'attendre, on vient de se mettre à table. Il s'excuse :
« J'étais, dit-il, dans une compagnie de gens d'esprit. Il m'en coû-
tait de les quitter. » Il se précipite vers la maîtresse de maison et,
lui désignant son mari, de quelques années plus jeune qu'elle :
« Monsieur votre fils, s'écrie-t-il, est l'indulgence même; il'vous
implore pour que vous pardonniez au retardataire. » Il s'assied. Sa
chaise craque et fait entendre un bruit équivoque dont quelques
personnes rougissent.
Il se tourne aussitôt vers sa voisine, brunette fort avenante : « Tout
est permis aux jolies femmes », dit-il, en souriant. Le maître d'hôtel
lui verse-t-il du madère. Il le goûte, il le déclare excellent, hors un
petit goût de bouchon et une certaine âcreté. « D'ailleurs, conclut-il,
j'en bois de très bon chez moi; cela me rend difficile. » Au reste il
trouve le repas bien servi, la chère bien ordonnée. « On voit, dit-il
au baron, que vous avez été « de la partie ». La baronne insiste pour
qu'il boive d'un Saint-Emilion que son père mit en bouteilles au
jour de sa naissance. « Je ne sais, dit-il, en le dégustant, mais vous
avez là un fameux cru. Je m'y connais. A un an près je puis dire
l'âge des vins. Celui-ci a la cinquantaine. Plutôt plus que moins. »
Sur ce, le dessert paraît. Cyrille s'empare de la conversation. Il
a dirige. Il pérore sur les beaux-arts. Il vante Parabolus. « Bravo !
fait la baronne, et vous parlez d'or, Parabolus est un maître. Il fait
de moi un portrait ravissant. » « Cela ne m'étonne pas, réplique
notre homme, j'ai vu de lui, hier, des chameaux à l'abreuvoir qui
sont une manière de chef-d'œuvre. » La politique vient-elle sur le
tapis. Il s'étonne que son hôte ait échoué aux dernières élections
législatives. « Votre place, affirme-t-il, était au Palais-Bourbon » ;
et comme le baron Cinéas acquiesce flatté, il ajoute : « Quand tant
d'imbéciles y parviennent, comment fites-vous pour n'y point ar-
river... » Et ainsi de suite, jusqu'à ce que, las de ses impertinences,
on envoie vers d'autres victimes Cyrille et ses gaffes.
D. BoNNAUD.
' i,'aveugle. — Je suis aveugle de naissance.
île monsieur. — Quel âge aviez-vous quand ça vous est arrivé T ^
'l'aveugle. Mais puisque je vous dis que c'est de naissance.
t»«„ n» « j. à * • t,*- »j j» le MONSiBUR:'«e/dc/iani. — Oui, mais, triple idiot, quel âge aviez-vous quand
— Ben, quoi!„C'est-y d'ma faute, moi... J'ai pas l'droit d'g,orhr mon eus- voua |tes néî
tache à la main quand il fait un brouillard à couper au couteau I Dessin de î. dépaquit.
LE GAFFEUR
Cyrille est gaffeur. Il est né tel et il mourra tel. Il gaffe comme on
respire, naturellement et sans s'en douter. D'aucuns le prétendent
sot et c'est à tort. Il a de l'esprit et du meilleur ; mais il a le mot
fâcheux de même que d'autres ont la main malheureuse. Sa nais-
sance fut une gaffe. Il vint au monde fort mal à propos. Son père
était en voyage depuis plus d'un an. Peut-être après tout fut-il fait I
par correspondance. Quoi qu'il en soit, son enfance s'écoula triste.
Ses premiers essais lui valurent d'innombrables taloches : « Que
feras-tu quand tu seras grand? lui disaient parfois des amis de sa
famille. — Banqueroute, comme papa, répondait-il invariablement. »
Il avait une vieille tante à héritage que ses parents choyaient fort
Un jour il lui demande poliment : « Où mettez-vous votre bou-
teille?...— Quelle bouteille? fait cette personne respectable. — Celle
qui vou» «sert à repousser du goulot. » On dut l'interner dans un
collège.''
Aujourd'hui Cyrille est un homme, et cependant il est demeuré
enfant terrible. On le prie à diner chez les Cinéas, barons d'occa-
sion, enrichis dans le commerce des denrées alimentaires. Il arrive,
comme las de l'attendre, on vient de se mettre à table. Il s'excuse :
« J'étais, dit-il, dans une compagnie de gens d'esprit. Il m'en coû-
tait de les quitter. » Il se précipite vers la maîtresse de maison et,
lui désignant son mari, de quelques années plus jeune qu'elle :
« Monsieur votre fils, s'écrie-t-il, est l'indulgence même; il'vous
implore pour que vous pardonniez au retardataire. » Il s'assied. Sa
chaise craque et fait entendre un bruit équivoque dont quelques
personnes rougissent.
Il se tourne aussitôt vers sa voisine, brunette fort avenante : « Tout
est permis aux jolies femmes », dit-il, en souriant. Le maître d'hôtel
lui verse-t-il du madère. Il le goûte, il le déclare excellent, hors un
petit goût de bouchon et une certaine âcreté. « D'ailleurs, conclut-il,
j'en bois de très bon chez moi; cela me rend difficile. » Au reste il
trouve le repas bien servi, la chère bien ordonnée. « On voit, dit-il
au baron, que vous avez été « de la partie ». La baronne insiste pour
qu'il boive d'un Saint-Emilion que son père mit en bouteilles au
jour de sa naissance. « Je ne sais, dit-il, en le dégustant, mais vous
avez là un fameux cru. Je m'y connais. A un an près je puis dire
l'âge des vins. Celui-ci a la cinquantaine. Plutôt plus que moins. »
Sur ce, le dessert paraît. Cyrille s'empare de la conversation. Il
a dirige. Il pérore sur les beaux-arts. Il vante Parabolus. « Bravo !
fait la baronne, et vous parlez d'or, Parabolus est un maître. Il fait
de moi un portrait ravissant. » « Cela ne m'étonne pas, réplique
notre homme, j'ai vu de lui, hier, des chameaux à l'abreuvoir qui
sont une manière de chef-d'œuvre. » La politique vient-elle sur le
tapis. Il s'étonne que son hôte ait échoué aux dernières élections
législatives. « Votre place, affirme-t-il, était au Palais-Bourbon » ;
et comme le baron Cinéas acquiesce flatté, il ajoute : « Quand tant
d'imbéciles y parviennent, comment fites-vous pour n'y point ar-
river... » Et ainsi de suite, jusqu'à ce que, las de ses impertinences,
on envoie vers d'autres victimes Cyrille et ses gaffes.
D. BoNNAUD.
' i,'aveugle. — Je suis aveugle de naissance.
île monsieur. — Quel âge aviez-vous quand ça vous est arrivé T ^
'l'aveugle. Mais puisque je vous dis que c'est de naissance.
t»«„ n» « j. à * • t,*- »j j» le MONSiBUR:'«e/dc/iani. — Oui, mais, triple idiot, quel âge aviez-vous quand
— Ben, quoi!„C'est-y d'ma faute, moi... J'ai pas l'droit d'g,orhr mon eus- voua |tes néî
tache à la main quand il fait un brouillard à couper au couteau I Dessin de î. dépaquit.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1897
Entstehungsdatum (normiert)
1892 - 1902
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 4.1897-1898, No. 163 (18 Décembre 1897), S. 2
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg