entendit frapper violemment à sa porte. Se doutant que ce bruit intempestif
était causé par quelqu'un, il alla ouvrir. Il se trouva en présence d'un vieillard de
distinction qui lui demanda où demeurait Létat. Le jeune homme, fort de sa vie
de labeur- et de probité, put lui répondre avec une légitime fierté :
— L'Etat, c'est moi!
Le vieillard, déposant un énorme sac qu'il portait sur son épaule et dont le
contenu rendait un son métallique des plus prononcés, lui dit :
— Mon jeune ami, je suis envoyé par la Providence pour récompenser votre
mérite. Prenez ce sac, il contient'votre fortune; et tâchez de réussir dans vos
affaires, paire que je ne pourrais plus revenir. La Providence a beaucoup d'infor-
tunes à soulager et je suis seul à faire les courses.
Quand l'étranger fut parti, Létat ouvrit le sac et constata avec une joie sans
mélange qu'il était rempli de vieux clous, de vis rouillées et d'écrous hors d'usage.
Moi, à sa place, j'eusse préféré y trouver quelques bons écus sonnants et trébuchants,
mains n'insistons pas sur ce pénible sujet, mes chers enfants. Létat, plus sage, vit
tout de suite le parti qu'il pouvait tirer de cette aubaine inespérée.
A l'aide de ces vieux clous et de ces vieilles vis, il commença à monter les diverses
pièces de locomotive qu'il s'était procurées. En même temps il redoubla d'économie,
si bien qu'en moins de six cent cinquante semaines il posséda une locomotive tout
entière, au poids de vingt-huit mille kilos. Avec quelques
brindilles de bois dérobées à des bûcherons et transformées
'__Unc bouchée \ en charbon par un procédé analogue à celui qu'emploie
c e> n j f m f> w r . tôt \ la nature — la nécessité rend si ingénieux ! — mais beau-
coup plus rapide, il fabriqua le combustible indispensable
pour alimenter le foyer. Après quoi il lança sa machine
LA MORALE EN ACTION? x**"" X \ \ I M1). de vieux rails de tramways abandonnés par une com-
(AU PORTEUR) / çs ^\ / L A J I paimie en faillite-, et commença à effectuer dé nombreux
,_ V\ * 1*7 \ç " JJ voyages, transportant d'un point à un autre des gens et
v -à \ S*--g des marchandises.
L'OUVRIER LETAT ^"xk. * J fi r^X^^ \ S;1 Petite entreprise prospéra rapidement. En quelques
f\H^~""vs, rpS » ^x^y^x,) mois SaSna assez pour acheter un wagon, puis deux, puis
'- / \ / \\ jf^p VVL\ trois, jusqu'à former un train complet. En même tempsjl
T „ . , . . ; / V V-^l^ / V J. \ prolongeait 1rs rails, plantait des disques, fixait à terre
L'histoire que je; l/ZT \ J S^rt^r^ \ des aiguilles.
cTeSrJ°enfanl e^tT ' L V> X \ Bientôt, ne pouvant suffire seul à l'ouvrage, il prit des
celles oui attendri tlT \ \ ^ h 1 employés auxquels il donna une casquette galonnée et de
raient iusqu'au^lar- i Il I I 1 // i petits'drapeaux rouges.
mes de moins sen il l 11 il I 11 'r't;L de "ouvoll''s vnies Sl,r lesquelles coururent de
sibles que vous. Que fil 1 // A î nouveaux trains. H construisit des. gares, des ponts, des
ne sais-je manier le il J J II J j stations, et organisa même des
pinceau avec l'habi- ^vJL ^ ~J VVt^^^-/ catastrophes qui firent beaucoup
leté d'un Raphaël, Tv^f^N S )7\ ' ' -^ de , jruitf fV-d°nt Journaux
pour l'illustrer de ces C-J MM ^ parlèrent à 1 époque.
multicolores petites . # • ' • • ._ I Annobh sur ses vieux jours
vignettesdontles bons V n s Par NaPoléon HI> 1 ancien ou-
imagiers d'Epinal ga- "■*~=™""~"^^ /*~^\ „ M /M-, \ | vrior vécut très vieux et eut
vent volontiers vos jeunes imaginations! / Z^S. V fi il t'" t j i h douce consolation de voir
Quoi qu'il en soit, ce récit vous démontrera Q V 5 J i VA,/ i prospérersaeur^e ind^ustri|
par A +4B et môme plus C et, l'alphabel tout Y /®\ \ \\ j <^ ^{ I XsTrislanlÏÏ du pays
entier qu'avec de l'ordre, de l'économie, et au y\\ '/s\\ S) v~ Ji I plus florissantes du pays,
besoin quelques heureux hasards, on arrive à x )V^-^f ^VyC/ Vt\ ï A sa mort,sôn œuvre ne cessa
Dessin de Lebègue
la fortune. I / jj J l. vJ^C /f 1 f\ \ de s'agrandir et c'est elle qui
Jules Letat, fils d orphelins, était lui -même, f fl \ J\ *~J J \ \ fonctionne encore aujourd'hui
par un étrange effet de l'atavisme, orphelin de W | / T-w** j r^C-T A I S0Us le nom de Chemins de fer
naissance. Elevé à la rude école du malheur, il CA& / / \ I JCL^L^'^ 1 I de l'Etat.
yremportales premiers prix. Dès son plus jeune
âge il se fit remarquer par son amour du Ira- r , , . . ,
vail. Devenu plus grand et n'ayant que ses liras | / | i / / Il Lord Cheminot.
pour se nourrir, il refusa de' les manger en
folles orgies, comme font tant d'autres malheu-
reux! Il préféra les employer au service de
l'industrie qui, comme l'agriculture, est souvent
à court de cette sorte de membres. •
A l'âge de vingt ans, il était plus pauvre que
Job, n'ayant même pas de quoi acheter le fumier
sur lequel aimait à s'asseoir le vieux patriarche ; mais il possédait
cette ardeur et cette belle confiance avec lesquelles on gagne des VANTARDISE
batailles, quand ce n'est pas à cause d'elles qu'on les perd."
Jules Létat apprit le métier de mécanicien. En .moins de temps
qu'il ne faut pour le dire,il devint d'une habileté consommée. Encore
en apprentissage, il construisit les premiers rouages administratifs
qui aient mu la lourde machine gouvernementale. Dans ses heures
de loisirs, au lieu de fréquenter les cabarets, il s'occupait d'inven-
tions ; une des plus admirables qu'il ait réalisées, c'est sans con-
tredit le puissant mécanisme qui sert à faire monter et descendre
sans fatigue les cours de la Bourse. C'est lui aussi qui lança la pre-
mière voiture sans cheval, devenue propriété nationale et appelée
pour cette raison char de l'Etat.
Cette dernière invention l'amena à concevoir l'œuvre immense
qui restera son plus beau titre de gloire et qui montre ce que peut
faire le génie lorsqu'il se met en ménage avec '
la pauvreté.
^Jules Létat, sur son maigre salaire, trouvait moyen de réaliser
d'importantes économies. Ayant appris que les locomotives, dont on
commençait à peine àse serv'ir,revenaient à un prix calculé à raison
d'un franc le kilogramme, il résolut d'employer toutes ses res-
sources à en acheter des monceaux, au poids. LJn jour il se rendait
acquéreur de trois kilogrammes de piston, un autre jour il achetait
six francs de chaudière, parfois même une demi-livre de bielle! /////^ ^^i^^
Au bout de quelque temps il posséda un lot assez important de ,, Q^6^
cette intéressante ferraille. — Certainement, c'est un bon garçon ! Mais pourquoi se vante-t-il partout
Une nuit, alors qu'il travaillait à la lueur d'une chandelle, il d'être de la police secrète ? Dessin de dépaqcit.
était causé par quelqu'un, il alla ouvrir. Il se trouva en présence d'un vieillard de
distinction qui lui demanda où demeurait Létat. Le jeune homme, fort de sa vie
de labeur- et de probité, put lui répondre avec une légitime fierté :
— L'Etat, c'est moi!
Le vieillard, déposant un énorme sac qu'il portait sur son épaule et dont le
contenu rendait un son métallique des plus prononcés, lui dit :
— Mon jeune ami, je suis envoyé par la Providence pour récompenser votre
mérite. Prenez ce sac, il contient'votre fortune; et tâchez de réussir dans vos
affaires, paire que je ne pourrais plus revenir. La Providence a beaucoup d'infor-
tunes à soulager et je suis seul à faire les courses.
Quand l'étranger fut parti, Létat ouvrit le sac et constata avec une joie sans
mélange qu'il était rempli de vieux clous, de vis rouillées et d'écrous hors d'usage.
Moi, à sa place, j'eusse préféré y trouver quelques bons écus sonnants et trébuchants,
mains n'insistons pas sur ce pénible sujet, mes chers enfants. Létat, plus sage, vit
tout de suite le parti qu'il pouvait tirer de cette aubaine inespérée.
A l'aide de ces vieux clous et de ces vieilles vis, il commença à monter les diverses
pièces de locomotive qu'il s'était procurées. En même temps il redoubla d'économie,
si bien qu'en moins de six cent cinquante semaines il posséda une locomotive tout
entière, au poids de vingt-huit mille kilos. Avec quelques
brindilles de bois dérobées à des bûcherons et transformées
'__Unc bouchée \ en charbon par un procédé analogue à celui qu'emploie
c e> n j f m f> w r . tôt \ la nature — la nécessité rend si ingénieux ! — mais beau-
coup plus rapide, il fabriqua le combustible indispensable
pour alimenter le foyer. Après quoi il lança sa machine
LA MORALE EN ACTION? x**"" X \ \ I M1). de vieux rails de tramways abandonnés par une com-
(AU PORTEUR) / çs ^\ / L A J I paimie en faillite-, et commença à effectuer dé nombreux
,_ V\ * 1*7 \ç " JJ voyages, transportant d'un point à un autre des gens et
v -à \ S*--g des marchandises.
L'OUVRIER LETAT ^"xk. * J fi r^X^^ \ S;1 Petite entreprise prospéra rapidement. En quelques
f\H^~""vs, rpS » ^x^y^x,) mois SaSna assez pour acheter un wagon, puis deux, puis
'- / \ / \\ jf^p VVL\ trois, jusqu'à former un train complet. En même tempsjl
T „ . , . . ; / V V-^l^ / V J. \ prolongeait 1rs rails, plantait des disques, fixait à terre
L'histoire que je; l/ZT \ J S^rt^r^ \ des aiguilles.
cTeSrJ°enfanl e^tT ' L V> X \ Bientôt, ne pouvant suffire seul à l'ouvrage, il prit des
celles oui attendri tlT \ \ ^ h 1 employés auxquels il donna une casquette galonnée et de
raient iusqu'au^lar- i Il I I 1 // i petits'drapeaux rouges.
mes de moins sen il l 11 il I 11 'r't;L de "ouvoll''s vnies Sl,r lesquelles coururent de
sibles que vous. Que fil 1 // A î nouveaux trains. H construisit des. gares, des ponts, des
ne sais-je manier le il J J II J j stations, et organisa même des
pinceau avec l'habi- ^vJL ^ ~J VVt^^^-/ catastrophes qui firent beaucoup
leté d'un Raphaël, Tv^f^N S )7\ ' ' -^ de , jruitf fV-d°nt Journaux
pour l'illustrer de ces C-J MM ^ parlèrent à 1 époque.
multicolores petites . # • ' • • ._ I Annobh sur ses vieux jours
vignettesdontles bons V n s Par NaPoléon HI> 1 ancien ou-
imagiers d'Epinal ga- "■*~=™""~"^^ /*~^\ „ M /M-, \ | vrior vécut très vieux et eut
vent volontiers vos jeunes imaginations! / Z^S. V fi il t'" t j i h douce consolation de voir
Quoi qu'il en soit, ce récit vous démontrera Q V 5 J i VA,/ i prospérersaeur^e ind^ustri|
par A +4B et môme plus C et, l'alphabel tout Y /®\ \ \\ j <^ ^{ I XsTrislanlÏÏ du pays
entier qu'avec de l'ordre, de l'économie, et au y\\ '/s\\ S) v~ Ji I plus florissantes du pays,
besoin quelques heureux hasards, on arrive à x )V^-^f ^VyC/ Vt\ ï A sa mort,sôn œuvre ne cessa
Dessin de Lebègue
la fortune. I / jj J l. vJ^C /f 1 f\ \ de s'agrandir et c'est elle qui
Jules Letat, fils d orphelins, était lui -même, f fl \ J\ *~J J \ \ fonctionne encore aujourd'hui
par un étrange effet de l'atavisme, orphelin de W | / T-w** j r^C-T A I S0Us le nom de Chemins de fer
naissance. Elevé à la rude école du malheur, il CA& / / \ I JCL^L^'^ 1 I de l'Etat.
yremportales premiers prix. Dès son plus jeune
âge il se fit remarquer par son amour du Ira- r , , . . ,
vail. Devenu plus grand et n'ayant que ses liras | / | i / / Il Lord Cheminot.
pour se nourrir, il refusa de' les manger en
folles orgies, comme font tant d'autres malheu-
reux! Il préféra les employer au service de
l'industrie qui, comme l'agriculture, est souvent
à court de cette sorte de membres. •
A l'âge de vingt ans, il était plus pauvre que
Job, n'ayant même pas de quoi acheter le fumier
sur lequel aimait à s'asseoir le vieux patriarche ; mais il possédait
cette ardeur et cette belle confiance avec lesquelles on gagne des VANTARDISE
batailles, quand ce n'est pas à cause d'elles qu'on les perd."
Jules Létat apprit le métier de mécanicien. En .moins de temps
qu'il ne faut pour le dire,il devint d'une habileté consommée. Encore
en apprentissage, il construisit les premiers rouages administratifs
qui aient mu la lourde machine gouvernementale. Dans ses heures
de loisirs, au lieu de fréquenter les cabarets, il s'occupait d'inven-
tions ; une des plus admirables qu'il ait réalisées, c'est sans con-
tredit le puissant mécanisme qui sert à faire monter et descendre
sans fatigue les cours de la Bourse. C'est lui aussi qui lança la pre-
mière voiture sans cheval, devenue propriété nationale et appelée
pour cette raison char de l'Etat.
Cette dernière invention l'amena à concevoir l'œuvre immense
qui restera son plus beau titre de gloire et qui montre ce que peut
faire le génie lorsqu'il se met en ménage avec '
la pauvreté.
^Jules Létat, sur son maigre salaire, trouvait moyen de réaliser
d'importantes économies. Ayant appris que les locomotives, dont on
commençait à peine àse serv'ir,revenaient à un prix calculé à raison
d'un franc le kilogramme, il résolut d'employer toutes ses res-
sources à en acheter des monceaux, au poids. LJn jour il se rendait
acquéreur de trois kilogrammes de piston, un autre jour il achetait
six francs de chaudière, parfois même une demi-livre de bielle! /////^ ^^i^^
Au bout de quelque temps il posséda un lot assez important de ,, Q^6^
cette intéressante ferraille. — Certainement, c'est un bon garçon ! Mais pourquoi se vante-t-il partout
Une nuit, alors qu'il travaillait à la lueur d'une chandelle, il d'être de la police secrète ? Dessin de dépaqcit.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1898
Entstehungsdatum (normiert)
1893 - 1903
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 4.1897-1898, No. 206 (15 Octobre 1898), S. 2
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg