CONTE POUR EFFRAYER LES FIANTES
— Alors, Monsieur, tu veux bien joui r — Mets-toi à quatre pattes, comme cela, tu es — A présent je vais te scalper,
avec moi, puisque tu vas épouser ma sœur? très bien", tu rampes dans la prairie et moi je vais mais il ne faut pas avoir peur, c'est
— Mais... certainement mon ami, à quoi ' te surprendre par derrière. seulement pour rire, tu sais bien, c'est
veux-tu jouer? avec un coupe-papier.
— Aux sauvages!
— Tiens, je t'ai scalpé sans le faire (Trioinp/taLement) — J'vais porter ton scalp — Tout est rompu, mon gendre; mon fils m'a
exprès; maintenant, tu es vaincu. à ma sœur, j'vais porter ton scalp à ma sœur. tôul dit : je ne veux pas de Peau-Rouge dans nia
famille. Dessin de G. Delaw.
GROQUXS DE CHÂSSE
I. — Conseils d'une mère à son fils.
Aujourd'hui, Mirza, ma mère, m'a pris entre ses pattes et, me
serrant sur son cœur, m'a adressé les paroles suivantes :
« Mon cher Black, si j'ai attendu jusqu'à ce jour pour t'annoncer
la fâcheuse nouvelle, c'est que je ne voulais pas te tracasser tro"
longtemps à l'avance et troubler tes nuits de cauchemars affreux,
mais je ne peux plus différer le moment des suprêmes instructions
sous peine de te livrer sans défense aux mains de tes plus cruels
ennemis.
« Sache que nous sommes pendant la saison de la chasse et que
tu dois prendre part à ce barbare divertissement. A la veille de ce
jour solennel et périlleux, prête donc une oreille attentive aux
propos désintéressés d'une mère aimante à qui tu dois le jour qu'on
veut te ravir. La chose que je te recommande, mon cher fils, au cas
où tu n'aurais pas réussi à dépister ton maître —■ ce qui est encore
le plus prudent — c'est de suivre attentivement ses moindres gestes
et de te coucher à terre au moment où il mettra le gibier en joue.
Combien de tes frères ont perdu la vie pour avoir négligé de faire
ce mouvement naturel à la plus élémentaire prudence. Attends bien
posément que les deux coups aient été tirés avant de te relever de
terre et profite adroitement de tous les accidents de terrain pour te
dérober au plomb de l'ennemi.
« Si tu aperçois un lièvre — tout arrive ! — ne cours pas à lui
comme un imbécile, ce que j'ai vu faire à tant de malheureux néo-
phytes qui ont payé de leur vie cette action pleine d'inconséquence.
Pénètre-toi bien à cet instant de cette idée que, même au cas où tu
aurais réussi à rabattre le gibier sous le canon du fusil de ton maître,
ta tâche ne serait pas encore terminée et, qu'encore une fois, le
mieux qui puisse t'advenir est de recevoir en pleine poitrine la
charge destinée au rapide quadrupède.
« Le mieux, vois-tu bien, mon cher fils, est encore de lâcher ton
maître dès le matin et de ne rallier que le soir, quand tout est
fini. Celui-ci ne t'en voudra pas, car ta défection lui sera une légi-
time excuse de revenir bredouille, légitime excuse dont il pourra
écraser ses pâles compagnons d'infortune.
« Ne t'inquiète pas de ce que tu vois voler en l'air, car tu n'as pas
d'ailes et ton maître est assez grand pour le faire tomber à tes
pieds, si Dieu le veut. Contente-toi de ramasser ce qu'il a tué et tu
n'attraperas pas de courbatures, c'est moi qui te le dis.
« Je te vois venir d'ici et me demander d'où vient le gibier qu'on
vend à la ville et dont les chasseurs gonflent leurs gibecières avant
de rentrer à la maison. Je te parlerai des braconniers, plus tard.
Sur ce, bonne nuit. Dors bien et ne fais pas de mauvais rêves. »
II. — Myope.
Mon maître est myope comme un chapelet de taupes. Quand je
l'emincne à la chasse — car c'est moi qui le guide dans les chemins
en tirant sur la laisse dans iaquelle il a enroulé son poing, de peur
de me perdre, — nous formons un groupe si débonnaire que les
lapins eux-mêmes se dressent au bord du champ ou du taillis pour
nous voir passer à l'instar d'Œdipe et d'Antigone.
Je recherche avec soin les troncs d'arbres abattus où il ne manque
jamais de s'embarrasser les jambes et les ornières où il bute avec
une opiniâtreté digne d'une meilleure cause.
J'aime le voir patauger dans les mares peu profondes au milieu
dos grenouilles qui se figurent sans doute que Jupiter leur envoie
encore un roi, mais qui lui profèrent dorénavant une bonne petite
république, et s'empêtrer dans les fils do fer des pâturages, parmi
les bœufs tranquilles et les poulains agiles.
Les ronces n'ont aucun secret pour son pied familier et sa main
tâtonne dai s les orties du chemin avec un plaisir toujours neuf et
toujours le même.
Quand il monte les marches do l'église en se croyant au seuil de
l'auberge et qu'il s'asseoit au banc d'œuvre en criant : « Une bou-
teille, et plus vite que ça! » je vous jure que je ne changerais pas
ma place pour une de sous-préfet.
Il arrive aussi, des fois, que, mis en défiance par ces mésaven-
tures, il trempe, en entrant dans l'auberge, sa main dans le baquet
où l'on rince les chopes, fait le signe de la croix et va s'agenouiller
devant le billard en marmottant de ferventes prières.
Il n'hésite pas à tuer un coq sur un fumier, cela bien innocem-
ment, car il se croit en pleine bruyère, et il ne reconnaît son erreur
qu'au moment où le propriétaire du coq s'approche, la fourche
d'une main et tendant l'autre.
Plus d'une fois il s'est arrêté de tirer sur un chevreuil en l'enten-
dant braire et sur une biche en l'entendant mugir.
D'ailleurs, peu scrupuleux de sa nature, quand il le peut il s'éloi-
gne du lieu du sinistre sans être vu; mais c'est peine perdue, car je
l'y ramène obstinément au moyen de courbes savantes et n'ai de
repos que le flagrant délit n'ait étô établi. Bl.vck.
Pour copie conforme : Le Lacue Anonyme.
— Alors, Monsieur, tu veux bien joui r — Mets-toi à quatre pattes, comme cela, tu es — A présent je vais te scalper,
avec moi, puisque tu vas épouser ma sœur? très bien", tu rampes dans la prairie et moi je vais mais il ne faut pas avoir peur, c'est
— Mais... certainement mon ami, à quoi ' te surprendre par derrière. seulement pour rire, tu sais bien, c'est
veux-tu jouer? avec un coupe-papier.
— Aux sauvages!
— Tiens, je t'ai scalpé sans le faire (Trioinp/taLement) — J'vais porter ton scalp — Tout est rompu, mon gendre; mon fils m'a
exprès; maintenant, tu es vaincu. à ma sœur, j'vais porter ton scalp à ma sœur. tôul dit : je ne veux pas de Peau-Rouge dans nia
famille. Dessin de G. Delaw.
GROQUXS DE CHÂSSE
I. — Conseils d'une mère à son fils.
Aujourd'hui, Mirza, ma mère, m'a pris entre ses pattes et, me
serrant sur son cœur, m'a adressé les paroles suivantes :
« Mon cher Black, si j'ai attendu jusqu'à ce jour pour t'annoncer
la fâcheuse nouvelle, c'est que je ne voulais pas te tracasser tro"
longtemps à l'avance et troubler tes nuits de cauchemars affreux,
mais je ne peux plus différer le moment des suprêmes instructions
sous peine de te livrer sans défense aux mains de tes plus cruels
ennemis.
« Sache que nous sommes pendant la saison de la chasse et que
tu dois prendre part à ce barbare divertissement. A la veille de ce
jour solennel et périlleux, prête donc une oreille attentive aux
propos désintéressés d'une mère aimante à qui tu dois le jour qu'on
veut te ravir. La chose que je te recommande, mon cher fils, au cas
où tu n'aurais pas réussi à dépister ton maître —■ ce qui est encore
le plus prudent — c'est de suivre attentivement ses moindres gestes
et de te coucher à terre au moment où il mettra le gibier en joue.
Combien de tes frères ont perdu la vie pour avoir négligé de faire
ce mouvement naturel à la plus élémentaire prudence. Attends bien
posément que les deux coups aient été tirés avant de te relever de
terre et profite adroitement de tous les accidents de terrain pour te
dérober au plomb de l'ennemi.
« Si tu aperçois un lièvre — tout arrive ! — ne cours pas à lui
comme un imbécile, ce que j'ai vu faire à tant de malheureux néo-
phytes qui ont payé de leur vie cette action pleine d'inconséquence.
Pénètre-toi bien à cet instant de cette idée que, même au cas où tu
aurais réussi à rabattre le gibier sous le canon du fusil de ton maître,
ta tâche ne serait pas encore terminée et, qu'encore une fois, le
mieux qui puisse t'advenir est de recevoir en pleine poitrine la
charge destinée au rapide quadrupède.
« Le mieux, vois-tu bien, mon cher fils, est encore de lâcher ton
maître dès le matin et de ne rallier que le soir, quand tout est
fini. Celui-ci ne t'en voudra pas, car ta défection lui sera une légi-
time excuse de revenir bredouille, légitime excuse dont il pourra
écraser ses pâles compagnons d'infortune.
« Ne t'inquiète pas de ce que tu vois voler en l'air, car tu n'as pas
d'ailes et ton maître est assez grand pour le faire tomber à tes
pieds, si Dieu le veut. Contente-toi de ramasser ce qu'il a tué et tu
n'attraperas pas de courbatures, c'est moi qui te le dis.
« Je te vois venir d'ici et me demander d'où vient le gibier qu'on
vend à la ville et dont les chasseurs gonflent leurs gibecières avant
de rentrer à la maison. Je te parlerai des braconniers, plus tard.
Sur ce, bonne nuit. Dors bien et ne fais pas de mauvais rêves. »
II. — Myope.
Mon maître est myope comme un chapelet de taupes. Quand je
l'emincne à la chasse — car c'est moi qui le guide dans les chemins
en tirant sur la laisse dans iaquelle il a enroulé son poing, de peur
de me perdre, — nous formons un groupe si débonnaire que les
lapins eux-mêmes se dressent au bord du champ ou du taillis pour
nous voir passer à l'instar d'Œdipe et d'Antigone.
Je recherche avec soin les troncs d'arbres abattus où il ne manque
jamais de s'embarrasser les jambes et les ornières où il bute avec
une opiniâtreté digne d'une meilleure cause.
J'aime le voir patauger dans les mares peu profondes au milieu
dos grenouilles qui se figurent sans doute que Jupiter leur envoie
encore un roi, mais qui lui profèrent dorénavant une bonne petite
république, et s'empêtrer dans les fils do fer des pâturages, parmi
les bœufs tranquilles et les poulains agiles.
Les ronces n'ont aucun secret pour son pied familier et sa main
tâtonne dai s les orties du chemin avec un plaisir toujours neuf et
toujours le même.
Quand il monte les marches do l'église en se croyant au seuil de
l'auberge et qu'il s'asseoit au banc d'œuvre en criant : « Une bou-
teille, et plus vite que ça! » je vous jure que je ne changerais pas
ma place pour une de sous-préfet.
Il arrive aussi, des fois, que, mis en défiance par ces mésaven-
tures, il trempe, en entrant dans l'auberge, sa main dans le baquet
où l'on rince les chopes, fait le signe de la croix et va s'agenouiller
devant le billard en marmottant de ferventes prières.
Il n'hésite pas à tuer un coq sur un fumier, cela bien innocem-
ment, car il se croit en pleine bruyère, et il ne reconnaît son erreur
qu'au moment où le propriétaire du coq s'approche, la fourche
d'une main et tendant l'autre.
Plus d'une fois il s'est arrêté de tirer sur un chevreuil en l'enten-
dant braire et sur une biche en l'entendant mugir.
D'ailleurs, peu scrupuleux de sa nature, quand il le peut il s'éloi-
gne du lieu du sinistre sans être vu; mais c'est peine perdue, car je
l'y ramène obstinément au moyen de courbes savantes et n'ai de
repos que le flagrant délit n'ait étô établi. Bl.vck.
Pour copie conforme : Le Lacue Anonyme.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Conte pour effrayer les fiancés
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1898
Entstehungsdatum (normiert)
1893 - 1903
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 4.1897-1898, No. 207 (22 Octobre 1898), S. 3
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg