MANŒUVRE DELOYALE
ÿp-VouT le monde avait prévenu ce pauvre Mo-
billon : « Un gentleman comme vous, lui
avait-on dit, ne peut se battre avec John
Barleycorn. C’est un homme disqualifié ; ne
lui cherchez pas querelle, cela ne peut avoir que
de lâcheuses conséquences pour vous. » Mais com-
ment raisonner avec un homme ivre'?
Au surplus, voici les faits dans toute leur simpli-
cité : Mobillon, déjà éméché, entre avec ses amis
dans le café; le gérant se précipite, gracieux, re-
muant sa serviette sur les tables, comme un chien
reconnaissant agite la queue en voyant entrer son
maître. John Barleycorn était déjà attablé près du comptoir. Il en
était à sa Sixième absinthe, un traitement dépuratif, parait-il, qui
lui est prescrit par son médecin : il doit se garder du vin et ne
boire que des amers.
Tout semblait respirer la paix. Par malheur, John Barleycorn se
met en tête d’allumer sa pipe : première allumette qui rate, seconde
de même, puis troisième et ainsi de suite, second porte-allumettes ;
l'âge de John. Au même instant un garçon a la fâcheuse idée d'ou-
vrir la porté delà cour et do remplir des carafes d’eau à la pompe.
Mobillon, à cette vue, do l’autre bout du café et malgré les exhorta-
tions de ses amis, se met, avec un entêtement d’ivrogne, à inter-
peller Barleycorn :
ci Allume donc ta pipé à la pompe... allume donc ta pipe à la
pompe... allume donc ta pipe à la pompe... »
C’était stupide, mais que faire ? La lin de tout cela était facile à
prévoir. Au moment précis où la troisième interpellation de Mobil-
lon correspondait â l’épuisement du dernier porte-allumettes, Bar-
leycorn se lève, traverse le café et gifle Mobillon. Entre nous, il ne
l’avait pas volé. On s’interpose; on sépare Barleycorn ; quant à Mo-
billon, il se sépare de lui-même.
Que faire? Üne gifle est une gifle. Il n’y a que les patrons qui
puissent retirer le pain de la bouche de leurs subordonnés. Dans
notre monde, c’est impossible, et le patron du café assiste terrifié à
cette scène, impuissant à la conjurer>
Au surplus, il se trouve toujours là des amis prêts à faire un petit
tour à Meudon et à glaner un bon déjeuner. Des témoins sont aus-
sitôt constitués et la rencontre est décidée pour le lendemain matin.
Les amis de Mobillon étaient inquiets. On savait Barleycorn
capable de tout. Nel’avait-on pas soupçonné, dans de précédentes
rencontres, d’avoir porté une cotte de mailles, des gants de fer et
une chemise goudronnée? Les témoins étaient sur leurs gardes.
Sur le terrain, on examine soigneusement, sans en avoir l’air,
les vêtements de Barleycorn, rien de suspect, chemise molle
(d’ailleurs il n’en possédait point d’empesées), gants souples* rien à
dire. Allez, messieurs!
Mais, dès le premier engagement, voici que Barleycorn rompt
brusquement, plante son épée en terre et refuse de continuer. On
s’approche, on l’interroge.
— Inutile d’insister, dit Barleycorn froidement, je ne me battrai
pas contre un adversaire déloyal, je suis en état d’infériorité mani-
feste.
Cette fois on inspecte minutieusement les vêtements de Mobillon,
rien d’anormal.
— Oui, oui, dit Barleycorn, ne faites pas semblant de chercher,
il ne s’agit pas de la chemise ni des gants, regardez plutôt la tète
de mon adversaire.
Tous les yeux se fixent aussitôt sur la figure de Mobillon. Chose
navrante à dire, Barleycorn avait raison, MobiHon avait la gueule
de bois!
W. de Pawlowki.
ÿp-VouT le monde avait prévenu ce pauvre Mo-
billon : « Un gentleman comme vous, lui
avait-on dit, ne peut se battre avec John
Barleycorn. C’est un homme disqualifié ; ne
lui cherchez pas querelle, cela ne peut avoir que
de lâcheuses conséquences pour vous. » Mais com-
ment raisonner avec un homme ivre'?
Au surplus, voici les faits dans toute leur simpli-
cité : Mobillon, déjà éméché, entre avec ses amis
dans le café; le gérant se précipite, gracieux, re-
muant sa serviette sur les tables, comme un chien
reconnaissant agite la queue en voyant entrer son
maître. John Barleycorn était déjà attablé près du comptoir. Il en
était à sa Sixième absinthe, un traitement dépuratif, parait-il, qui
lui est prescrit par son médecin : il doit se garder du vin et ne
boire que des amers.
Tout semblait respirer la paix. Par malheur, John Barleycorn se
met en tête d’allumer sa pipe : première allumette qui rate, seconde
de même, puis troisième et ainsi de suite, second porte-allumettes ;
l'âge de John. Au même instant un garçon a la fâcheuse idée d'ou-
vrir la porté delà cour et do remplir des carafes d’eau à la pompe.
Mobillon, à cette vue, do l’autre bout du café et malgré les exhorta-
tions de ses amis, se met, avec un entêtement d’ivrogne, à inter-
peller Barleycorn :
ci Allume donc ta pipé à la pompe... allume donc ta pipe à la
pompe... allume donc ta pipe à la pompe... »
C’était stupide, mais que faire ? La lin de tout cela était facile à
prévoir. Au moment précis où la troisième interpellation de Mobil-
lon correspondait â l’épuisement du dernier porte-allumettes, Bar-
leycorn se lève, traverse le café et gifle Mobillon. Entre nous, il ne
l’avait pas volé. On s’interpose; on sépare Barleycorn ; quant à Mo-
billon, il se sépare de lui-même.
Que faire? Üne gifle est une gifle. Il n’y a que les patrons qui
puissent retirer le pain de la bouche de leurs subordonnés. Dans
notre monde, c’est impossible, et le patron du café assiste terrifié à
cette scène, impuissant à la conjurer>
Au surplus, il se trouve toujours là des amis prêts à faire un petit
tour à Meudon et à glaner un bon déjeuner. Des témoins sont aus-
sitôt constitués et la rencontre est décidée pour le lendemain matin.
Les amis de Mobillon étaient inquiets. On savait Barleycorn
capable de tout. Nel’avait-on pas soupçonné, dans de précédentes
rencontres, d’avoir porté une cotte de mailles, des gants de fer et
une chemise goudronnée? Les témoins étaient sur leurs gardes.
Sur le terrain, on examine soigneusement, sans en avoir l’air,
les vêtements de Barleycorn, rien de suspect, chemise molle
(d’ailleurs il n’en possédait point d’empesées), gants souples* rien à
dire. Allez, messieurs!
Mais, dès le premier engagement, voici que Barleycorn rompt
brusquement, plante son épée en terre et refuse de continuer. On
s’approche, on l’interroge.
— Inutile d’insister, dit Barleycorn froidement, je ne me battrai
pas contre un adversaire déloyal, je suis en état d’infériorité mani-
feste.
Cette fois on inspecte minutieusement les vêtements de Mobillon,
rien d’anormal.
— Oui, oui, dit Barleycorn, ne faites pas semblant de chercher,
il ne s’agit pas de la chemise ni des gants, regardez plutôt la tète
de mon adversaire.
Tous les yeux se fixent aussitôt sur la figure de Mobillon. Chose
navrante à dire, Barleycorn avait raison, MobiHon avait la gueule
de bois!
W. de Pawlowki.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
La question du jour: Quel est le pire ennemi de la France?
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1898
Entstehungsdatum (normiert)
1893 - 1903
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 5.1898-1899, No. 213 (3 Décembre 1898), S. 4
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg