— Voici, Monsieur...
Dessin cI'Avelot.
'LA LETTRE DU CHEVAL DE BOÏS
Dans mon volumineux courrier d’hier matin se trouvait un pli
d’un poids et d’un aspect tout à fait inusités. Sur l’enveloppe faite
de deux morceaux d’écorce liés par un ruban de rafla. l'adresse
apparaissait gravée comme par quelque clou. La lettre, écrite sur
un long copeau de sapin, avait été soigneusement pliée quatre fois
sur sa longueur.
Je la développai avec précaution au-dessus de mon crachoir dans
lequel tomba la valeur d’une poignée de sciure que mon excellent
correspondant avait jetée, pour le sécher, sur le coaltar qui lui avait
servi d’encre.
Tout de suite, l’aspect de l’écriture me frappa. (Je suis, comme
chacun l’ignore, un des plus distingués graphologues de la rue
Hégésippe - Moreau. ) On me pardonnera une figure qui, tout
d’abord, pourra sembler risquée, mais que justifiera la suite : à la
vue de ce singulier autographe, je me cabrai littéralement et poussai
un véritable hennissement de surprise.
— Il n’est pas possible, renâclai-je, que ces caractères aient été
tracés par cet admirable organe de préhension, siège principal du
toucher, qui termine le bras de l’homme et se divise en cinq doigts
dont l’un, appelé pouce, est opposable à chacun des quatre autres!
Et vous allez voir comme, dès ses premiers mots, l’étrange docu-
ment confirma la sûreté de mon diagnostic.
Voici, enfin, puisque, aussi bien j’ai juré de n’avoir plus pour vous
aucun secret, voici quelle était la teneur de cette missive expédiée
au coaltar sur un long copeau de sapin :
« Cher maître,
" Avant tout, pardon si j’écris comme un pied ou comme un sa-
bot, mais je ne saurais faire différemment, car je suis un cheval, et
— qui plus est, je ne crains pas de le dire — un cheval de bois. Ce
détail vous expliquera mieux que toutes sortes d’excuses menson-
gères pourquoi ce placet manque de souplesse en ses contours gra-
phiques.
« Il est entendu que je n’ai pas la prétention de vous arrêter un
trop long temps dans le sublime exercice de vos travaux magni-
fiques. Avant que d’en venir au fait, il faut, néanmoins, que vous
sachiez qui je suis et quels intérêts je représente. Il sied aussi de
vous apprendre que, m’adressant à vous à l’exclusion de tout autre
— Mais, ma parole, tu te fais de faux mollets avec tes faux nichons?
— Bah ! on porte si peu de poitrine, maintenant... autant s’en faire des
mollets pour les jours de bicyclette... Dessin de Radiguet.
★ g"
Dessin cI'Avelot.
'LA LETTRE DU CHEVAL DE BOÏS
Dans mon volumineux courrier d’hier matin se trouvait un pli
d’un poids et d’un aspect tout à fait inusités. Sur l’enveloppe faite
de deux morceaux d’écorce liés par un ruban de rafla. l'adresse
apparaissait gravée comme par quelque clou. La lettre, écrite sur
un long copeau de sapin, avait été soigneusement pliée quatre fois
sur sa longueur.
Je la développai avec précaution au-dessus de mon crachoir dans
lequel tomba la valeur d’une poignée de sciure que mon excellent
correspondant avait jetée, pour le sécher, sur le coaltar qui lui avait
servi d’encre.
Tout de suite, l’aspect de l’écriture me frappa. (Je suis, comme
chacun l’ignore, un des plus distingués graphologues de la rue
Hégésippe - Moreau. ) On me pardonnera une figure qui, tout
d’abord, pourra sembler risquée, mais que justifiera la suite : à la
vue de ce singulier autographe, je me cabrai littéralement et poussai
un véritable hennissement de surprise.
— Il n’est pas possible, renâclai-je, que ces caractères aient été
tracés par cet admirable organe de préhension, siège principal du
toucher, qui termine le bras de l’homme et se divise en cinq doigts
dont l’un, appelé pouce, est opposable à chacun des quatre autres!
Et vous allez voir comme, dès ses premiers mots, l’étrange docu-
ment confirma la sûreté de mon diagnostic.
Voici, enfin, puisque, aussi bien j’ai juré de n’avoir plus pour vous
aucun secret, voici quelle était la teneur de cette missive expédiée
au coaltar sur un long copeau de sapin :
« Cher maître,
" Avant tout, pardon si j’écris comme un pied ou comme un sa-
bot, mais je ne saurais faire différemment, car je suis un cheval, et
— qui plus est, je ne crains pas de le dire — un cheval de bois. Ce
détail vous expliquera mieux que toutes sortes d’excuses menson-
gères pourquoi ce placet manque de souplesse en ses contours gra-
phiques.
« Il est entendu que je n’ai pas la prétention de vous arrêter un
trop long temps dans le sublime exercice de vos travaux magni-
fiques. Avant que d’en venir au fait, il faut, néanmoins, que vous
sachiez qui je suis et quels intérêts je représente. Il sied aussi de
vous apprendre que, m’adressant à vous à l’exclusion de tout autre
— Mais, ma parole, tu te fais de faux mollets avec tes faux nichons?
— Bah ! on porte si peu de poitrine, maintenant... autant s’en faire des
mollets pour les jours de bicyclette... Dessin de Radiguet.
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