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https://doi.org/10.11588/diglit.21881#0487
LETTRE
d’un cheval Parisien fourbu â son
frère habitant la province
Mon vieux coco ne te plains pas
D’habiter encore la province,
Pour nous Paris c’est le trépas,
Pourquoi fallait-il que j’y vinsse.
J’aurais moins bien couru, c’est sûr,
Et j’aurais moins aimé la gloire,
Si je m’étais douté que sur
Le turf m’attendait le déboire.
Ah ! que sont devenus les prés
Et les luzernes verdoyantes,
Où les papillons diaprés
Étalaient leurs robes voyantes :
Et les ruisseaux où gais poulains,
Nous venions avec les pouliches,
Au joyeux tic tac des moulins,
Boire l’eau des meuniers très riches !
Et le soir les beaux râteliers
Tout remplis d’herbes capiteuses.
Par les soins de nos bons rouliers ;
Aussi les nuits voluptueuses
Que sur nos lits, ô combien doux,
Faits de paille toujours nouvelle,
Nous dormions comme des gens saouls.
Libres de corps et de cervelle.
Vois-tu de penser à tout ça,
J’en suis bien plus triste qu’à l’heure
Où notre mère trépassa
Et sur mes vieux harnais je pleure.
Car je n’ai pas même le nom
Qu’on me donnait dans ma jeunesee,
Mon cocher m’appelle : « Absalon ! »
Pas, que ça manque de noblesse?
Ah ! j’en ai gagné dans le temps,
Des premiers prix dans mainte course
J’ai ruiné des gens épatants,
J’ai fait trembler ceux de la Bourse.
On avait pour moi du respect
Et deux grooms composaient ma suite.
J’étais luisant, mon seul aspect
Mettait les prétendants en fuite.
On disait à me voir passer,
Tète haute, allongeant l’allure :
Cent louis, il va tout casser,
Reluquez-moi cette encolure.
— Regardez comme c’est drôle . voilà quarante
ans que nous habitons le même département sans
nous connaître et voilà que nous nous rencontrons
à l’Éxposition! Dessin de Huard.
d’un cheval Parisien fourbu â son
frère habitant la province
Mon vieux coco ne te plains pas
D’habiter encore la province,
Pour nous Paris c’est le trépas,
Pourquoi fallait-il que j’y vinsse.
J’aurais moins bien couru, c’est sûr,
Et j’aurais moins aimé la gloire,
Si je m’étais douté que sur
Le turf m’attendait le déboire.
Ah ! que sont devenus les prés
Et les luzernes verdoyantes,
Où les papillons diaprés
Étalaient leurs robes voyantes :
Et les ruisseaux où gais poulains,
Nous venions avec les pouliches,
Au joyeux tic tac des moulins,
Boire l’eau des meuniers très riches !
Et le soir les beaux râteliers
Tout remplis d’herbes capiteuses.
Par les soins de nos bons rouliers ;
Aussi les nuits voluptueuses
Que sur nos lits, ô combien doux,
Faits de paille toujours nouvelle,
Nous dormions comme des gens saouls.
Libres de corps et de cervelle.
Vois-tu de penser à tout ça,
J’en suis bien plus triste qu’à l’heure
Où notre mère trépassa
Et sur mes vieux harnais je pleure.
Car je n’ai pas même le nom
Qu’on me donnait dans ma jeunesee,
Mon cocher m’appelle : « Absalon ! »
Pas, que ça manque de noblesse?
Ah ! j’en ai gagné dans le temps,
Des premiers prix dans mainte course
J’ai ruiné des gens épatants,
J’ai fait trembler ceux de la Bourse.
On avait pour moi du respect
Et deux grooms composaient ma suite.
J’étais luisant, mon seul aspect
Mettait les prétendants en fuite.
On disait à me voir passer,
Tète haute, allongeant l’allure :
Cent louis, il va tout casser,
Reluquez-moi cette encolure.
— Regardez comme c’est drôle . voilà quarante
ans que nous habitons le même département sans
nous connaître et voilà que nous nous rencontrons
à l’Éxposition! Dessin de Huard.