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Le rire: journal humoristique — 7.1900-1901 (Nr. 313-364)

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https://doi.org/10.11588/diglit.21882#0004
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Alors, se tournant vers lady Paméla :

— Voici mon bras, madame, je vous suis.

CHAPITRE XI

Des yeux superbes où se reflétait sa propre image.

CHAPITRE X

\

Le rapt.

Demeurées seules, les jeunes filles ne savaient que penser de cet
étrange épisode. Devaient-elles rire ou pleurer? Problème. La joie
pourtant semblait l’emporter en elles sur la douleur : « Nous l’avons
vu, se disaient-elles. Il nous a parlé. Il nous a souri. Et puis nous
savons maintenant son nom. Boisflotté, il s’appelle Boisflotté ! » et
ce nom passait entre leurs lèvres comme une suave musique.

Elles ne s’étaient pas aperçues qu’un homme de bronze, surgi près
d’elles peu après le départ du comte et de l’Anglaise, les avait lon-
guement regardées avec ces veux perçants propres aux Indiens,
tout en monologuant dans une langue inconnue :

— Hugh... une brune et une blonde... par la trente-troisième
incarnation de Vichnou... Madapolam est un fameux fakir... il va
prévenir le maître... la destinée s’accomplira.

Puis il avait disparu quelques instants pour reparaître accompagné
d’un Ecossais. Les deux jeunes tilles étaient restées à la même
place, plongées dans une rêverie profonde et répétant presque
inconsciemment : Boisflotté ! Boisflotté ! Il fallut que l’Ecossais leur
effleurât l’épaule de sa main gantée pour les tirer de leur prostra-
tion.

— Belles dames, fit-il simplement, un gentilhomme, qu’il est inu-
tile de nommer, vous fixe rendez-vous ici près, dans le jardin royal,
au bosquet d’Armide, dans la deuxième charmille du boulingrin de
gauche. D’ailleurs, pour éviter toute confusion, je suis chargé de
vous conduire auprès de lui.

Entourant à la hâte leur frais minois d’une chaude mantille, les
jeunes filles(ô folie!) suivirent leur guide avec l’espoir de retrouver
l’élégant Arthur. Elles traversèrent les derniers salons, résonnant
encore de l’écho alangui et mourant des lointaines courantes, puis

Les groupes se perdaient dans les méandres mystérieux des jardins.

pénétrèrent dans le parc où, à la faveur de la lune, les couples se
perdaient dans les méandres mystérieux des allées. Peu à peu cepen-
dant, les jardins se firent plus déserts, plus sombres. Les deux amies
commençaient à sentir une sourde angoisse les envahir. L’Ecossais
marchait encore; l’Ecossais marchait toujours.

— Non ! non! nous-n’irons pasplus loin, nous avons eu tort d’ajouter
foi à Aros paroles, se décidèrent-elles à crier. Damnation ! il était trop
tard. Des mains brutales s’abattirent sur leurs frêles poignets, un
bandeau de forte toile aveugla leurs beaux yeux, un rude bâillon
écrasa leurs bouches mignonnes, tandis que des voix rauques glis-
saient à leurs délicates oreilles : « Un mot, un geste et nous vous
tuons comme un chien! »

Le Vaisseau-Fantôme.

Le carrosse des ravisseurs.

Cette menace était superflue. Quelle résistance les pauvrettes
pouvaient-elles opposer? Des bras vigoureux les saisirent et ies
emportèrent en une
course folle. Près
d’une porte dérobée
stationnait un carros-
se, où femmes ravis-
santes et infâmes ra-
visseurs devaient
prendre place. Mel-
chior monta à l’inté-
rieur avec Angela et
Dolorès, tandis que
Mouche-à-viande sau-
tait à côté du cocher
et que Madapolam,
avec une agilité si-
miesque, se hissaitpar
derrière sur les res-
sorts.

Aussitôt, les chevaux partirent, mangeant leurs freins. Ils dévorè-
rent la rue Saint-Honoré, ne firent
qu’une bouchée du Pont-au-Change
et, après avoir tourné brusquement,
se perdirent dans le dédale inex-
tricable de boyaux et d’artères qui
entourent Notre-Dame.

A cette époque, sur l’emplacement
actuel de la Morgue, on remarquait
un petit escalier branlant et verdi
de mousse, aboutissant à un môle.
Depuis longtemps ce môle était
abandonné, mais ce soir-là, par
extraordinaire, on aurait pu y voir
amarré un voilier ponté, de faible
tonnage et battant pavillon noir, se-
mé de larmes argentées. C’est là que
s’arrêta le car-
rosse. Sur les

premières mar-
ches du vétuste
escalier se te-
nait un homme
d’une taille su-
périeure à la
médiocre et portant — étonnant détai! —un sac
aussi noir et non moins semé de larmes que le
pavillon du navire mystérieux.

L’Homme verdâtre— on l’a deviné, c’était lui
— ne put retenir un soupir de satisfaction en
voyant les trois hommes et les deux jeunes filles
passer de la voiture sur le pont du bâtiment.

— Vous ne partez point avec nous, maître? fit
alors Melchior.

— Non, compagnon, ma place est ici. Je vou-
lais seulement m’assurer par mes yeux propres
que les dispositions nécessaires étaient prises.

Oui, maître.

Le carrosse tourna brusquement.

Sur la première marche
de l’escalier se tenait
un homme d’une taille
supérieure.

— Les petits focs
sont-ils drissés ?

— Oui, maître, les
grands aussi.

— Et la gaffe? j’ou-
bliais la gaffe.

— Vous pouvezêtre
tranquille à ce sujet,
maître.

— Les matelots sont-ils à leurs bancs?
— Oui, maître.

— Et l’homme à la barre?

— Oui, maître.

— Hugh! fit Madapolam, qui parle de
Malabar? Par la soixante-septième incar-
nation de Siva, ce nom me rappelle une
veuve que j’ai bien aimée.

— Peu nous chaut, l’Indien. Ferme les
écoutilles, tant à bâbord qu'à tribord. Et
vous, les gars, larguez les amarres, et adieu
vat !!!

Grâce à la forte brise qui soufflait du
Le vaisseau fantôme. nord-noroué, le boat fila dans la direction
du sud-sud-est avec la rapidité d’un carreau
d’arbalète lancé d’une main sure, soit un peu plus d’un nœud et
demi à l’heure...

Et la Seine reprit son majestueux silence.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
 
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