IV
V
coûteux des chaussures. Aux voitures, il préférait, avec raison,
le tramway où il se plaçait modestement sur la plate-forme.
Il y lia souvent connaissance avec des femmes du meilleur monde
que séduisait sa conversation dis-
crète, qui empruntait au geste
une grande force de persuasion.
Si parfois son entrée en matière
était un peu osée, sous l’in-
fluence d’une tentation plus vive
pour lui que pour un autre, ses
voisines, soit timidité, soit indul-
gence, faisaient semblant de ne
pas s’en apercevoir, et se trou-
vaient fort bien, en fin de compte,
de leur tolérance" persistante.
Il fréquentait aussi, les jours de
fête, le trottoir roulant, d’où l’on
peut tout voir sans être vu, car il
détestait paraître. Il y faisait des
études de mœurs étrangères et
s’instruisait en s’amusant, et en
amusant les autres.
Tout allait donc pour lui comme
sur des roulettes. Ses conquêtes
ne se comptaient plus et il mar-
chait, ou plutôt s’avançait, allè-
grement vers le « mil etre » quand une rencontre fatale vint
clore sa liste. Le petit dieu, né malin, mit un jour sur son pas-
sage une femme-géant. II adorait cette race et ne manqua pas de
s’éprendre,mais sans succès cette fois. Sa nouvelle idole n’était pas
à sa. portée, et comme elle n’aimait que les nains, mais com-
plets, c’est-à-dire pourvus de jam-
bes, elle repoussa nettement les
avances de l’infortuné. Il insista :
elle le traita de tronc en trois
lettres, car c’était une femme mal
embouchée.
Le coup était rude; il ne s’en
releva pas.
Et c’est ainsi qu’on peut le voir
maintenant, vieilli prématuré-
ment,errertristement sur le théâ-
tre de ses anciens exploits. Il a
cherché, comme dérivatif à ses
déboires de cœur, à augmenter ses
affaires et à y adjoindre un com-
merce de tabac pour lequel il avait
des dispositions physiques, n’ayant
même pas qu’à se baisser pour
cueillir les débris, savoureux en-
core, des londrès qui fleurissent à
l’ombre des tables de cafés. Mais
il renonça vite, dégoûté de tout,
même des mégots qu’il ne fume
pas, et, mélancolique, il se contente de culotter un brûle-gueule
qu’il envie. Goguès.
vu
V
coûteux des chaussures. Aux voitures, il préférait, avec raison,
le tramway où il se plaçait modestement sur la plate-forme.
Il y lia souvent connaissance avec des femmes du meilleur monde
que séduisait sa conversation dis-
crète, qui empruntait au geste
une grande force de persuasion.
Si parfois son entrée en matière
était un peu osée, sous l’in-
fluence d’une tentation plus vive
pour lui que pour un autre, ses
voisines, soit timidité, soit indul-
gence, faisaient semblant de ne
pas s’en apercevoir, et se trou-
vaient fort bien, en fin de compte,
de leur tolérance" persistante.
Il fréquentait aussi, les jours de
fête, le trottoir roulant, d’où l’on
peut tout voir sans être vu, car il
détestait paraître. Il y faisait des
études de mœurs étrangères et
s’instruisait en s’amusant, et en
amusant les autres.
Tout allait donc pour lui comme
sur des roulettes. Ses conquêtes
ne se comptaient plus et il mar-
chait, ou plutôt s’avançait, allè-
grement vers le « mil etre » quand une rencontre fatale vint
clore sa liste. Le petit dieu, né malin, mit un jour sur son pas-
sage une femme-géant. II adorait cette race et ne manqua pas de
s’éprendre,mais sans succès cette fois. Sa nouvelle idole n’était pas
à sa. portée, et comme elle n’aimait que les nains, mais com-
plets, c’est-à-dire pourvus de jam-
bes, elle repoussa nettement les
avances de l’infortuné. Il insista :
elle le traita de tronc en trois
lettres, car c’était une femme mal
embouchée.
Le coup était rude; il ne s’en
releva pas.
Et c’est ainsi qu’on peut le voir
maintenant, vieilli prématuré-
ment,errertristement sur le théâ-
tre de ses anciens exploits. Il a
cherché, comme dérivatif à ses
déboires de cœur, à augmenter ses
affaires et à y adjoindre un com-
merce de tabac pour lequel il avait
des dispositions physiques, n’ayant
même pas qu’à se baisser pour
cueillir les débris, savoureux en-
core, des londrès qui fleurissent à
l’ombre des tables de cafés. Mais
il renonça vite, dégoûté de tout,
même des mégots qu’il ne fume
pas, et, mélancolique, il se contente de culotter un brûle-gueule
qu’il envie. Goguès.
vu