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Le rire: journal humoristique — 8.1901-1902 (Nr. 365-416)

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https://doi.org/10.11588/diglit.17503#0399
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On a, l'autre semaine, fêté Gavarni en
dansant et, comme disait l'autre, « toutes
les mains de Paris ont levé lajambe en son
honneur ». Le Rire n'a pas voulu manquer
cette occasion de déposer son bouquet aux
piuds du grand homme, et il a demandé à
quelques-uns de ses descendants d'y ap-
porter leur fleur. Chacun d'eux a évoqué
a. ce propos le souvenir d'une des séries
les plus célèbres du maître, et c'est ainsi
que nous avons :

Les Enfants et les Parents terribles,
par Caran d'Ache.

Les Petits Bonheurs, par Abel Faivrr.

La Correctionnelle, par J.-L. Forain.

Les Coulisses, par Gerballt.

Gens de Province, par Huard.

Thomas Vireloijue, par G. Jeanniot.

Portraits contemporains, par C. Léan-

dre.

Les Lorettes, par L. Métivet.

Les Partageuses, par G. Meunier.

Les Nuits de Paris, par Roubille.

Fourberies de femmes, par H. Somm.

Les Huissiers, par Willette.

Le spirituel poète J. Redei.spehger et le
non moins piquant J. Robiquet se sont
chargés de lier la gerbe.

v{/v^ vV*Vv!> vVvï/vV *VVVV!/V-',VVv,/ VV *V VV *V *V v!r vV

Gavarni

Je, cas te. présenter, bon!... Mais moi,
gui est-ce qui me présentera 1

[Présenteurs et Présentés.)

Chose bizarre pour un Parisien, Ga-
varni naquit à Paris. Phénomène plus
curieux encore, le jour de sa naissance,
il avait vingt-cinq ans. Son entrée en
scène coïncide avec la disparition brus-
que d'un certain Sulpice-Guillaume Che-
vallier, qui lui ressemblait comme un
frère... comme A rouet ressemblait à
Voltaire, Jean-Baptiste Poquelin à Mo-
lière et, plus près de nous, E.-P. Lafor-
gue à un Monsieur qui suit les drames.

La substitution s'opéra par un caprice
du hasard. Chevallier, ayant rapporté un
certain nombre d'aquarelles d'un voyage
dans les Pyrénées, eut l'idée d'en en-
voyer deux au Salon de 1828. Elles
étaient datées de Gavarnie.

... Or, il advint que le fonctionnaire
chargé de rédiger le catalogue était un
de ces esprits simplistes qui prennent
le Pirée pour un.homme et M.ilo pour
un sculpteur grec, dont le Louvre pos-
sède une Vénus. Sans se soucier de
1 orthographe, bravement il catalogue :
deux aquarelles par Gavarni. La double
erreur du père Germain — vous ai-jc
dit qu'il s'appelait Germain? — amusa
fort le débutant qui conserva le pseudo-
nyme, c

Dix ans plus tard, il répondait à une
femme, curieuse de savoir s'il était pa-
rent de la cascade : « Nous sommes cou-
sins, issus de germain... »

■— Voici l'artiste baptisé. Essayons
de définir son œuvre. La tâche est assez
délicate, car on a beau multiplier les
fêtes et les souscriptions, crier la gloire
de Gavarni par-dessus les toits de Mont-
martre, le grand public est encore in-
juste envers un maître qu'il connaît
mal,

Demandez au premier venu ce qu'il
pense de Gavarni et je parie tout contre
rien, un pur-sang contre un cheval de
fiacre, la France contre l'Angleterre,
qu'il répondra sans hésiter : « Ah oui !
les Pierrots, les petites femmes, les bals
masqués, les débardeurs!... Jolis cro-
quis, jolis costumes, et puis les légendes
sont si drôles!... » — Vous n'en tirerez
pas davantage.

Après un demi-siècle écoulé, après le
livre des Goncourt, l'admirable étude de
Sainte-Beuve, la foule persiste à voir en
l'auteur des Lorettes vieillies, des To-
quades et de Thomas Vircloque un sim-
ple amuseur du crayon. De son œuvre,
on n'a retenu que le côté frivole et
léger.

Même à ce point de vue très étroit,
elle offre d'ailleurs plus d'un charme.
Nul n'excella comme Gavarni à rendre
le cambré d'une taille, la souplesse d'une
attitude, à mettre en relief, sous toutes
ses formes, la grâce de la Parisienne.

En matière do costumes, ce fut un no-
vateur aussi. Par mille trouvailles spiri-
tuelles, il rajeunit le Carnaval, remplaça
les mascarades niaises et les défroques
usées de la Comédie italienne. Il créa un
Pierrot tout neuf, un Chicard fantas-
tique, paradoxal, énorme, et le premier
débardeur qu'improvisa sa fantaisie fut
la préface de Cromwell de l'amusement
romantique.

Si le type est resté populaire, c'est
qu'il est vraiment adorable. Bien n'est
plus libre, plus claquant (c'était le mot
de Gavarni) que ce demi-déshabillé, à la
fois collant et flottant, qui dessine, ca-
resse et corrige.

C'est l'idéal travestissement de la pe-
tite poupée française et, si les Bacchantes
de Clodion, les Baigneuses de Frago-
nard, ou les Danseuses de Carpeaux,
avaient à choisir un costume, je gage
qu'elles n'en voudraient pas d'autre.

Mais Gavarni n'est pas seulement un
inventeur de modes gracieuses. Son ef-
fort ne se borne pas à chiffonner des
dominos. Derrière l'amuseur, pour peu
qu'on y prenne garde, le peintre de
mœurs apparaît, et nous nous trouvons
en présence de l'un des plus forts con-
densateurs de l'observation humaine.

D'un mot, d'un trait de crayon, il fixe
un caractère et, chez lui, la légende ex-

prime si bien le personnage qu'on ne la

lit pas, mais qu'on l'entend.
Par exemple, un avare dira :
« La charité est un plaisir dont il faut

savoir se priver. »

Le vieux marcheur poussera ce soupir :
« Le cœur m'a ruiné l'estomac. »
A la lorette vieillie, on criera dans la

rue :

« Bonsoir, madame veuve Tout-le -
Monde! »

Et le vieil éclopé qu'on raille, lancera
cette réplique admirable :

« Pure de la pauvreté, mes bourgeois,
c'est méchant...; mais rire de la vieil-
lesse, c'est bête. »

Ainsi, perpétuellement renouvelée par
la variété des sujets, l'observation de
Gavarni trouve le mot léger ou profond,
gai ou triste, mais toujours vrai. Sur ce
théâtre d'un genre spécial qui s'appelle
le dessin parlé, il satirisa tour à tour les
vices, les mesquineries humaines. Et
chacune de ses grandes séries : Fourbe-
ries des femmes, Enfants terribles, Inva-
lides du sentiment, Thomas Vireloquc,
etc., prend l'allure d'une comédie de
mœurs, au sens le plus large du mot.

Que dire maintenant de son métier?
de ce procédé d'expression qu'il poussa
si loin, sur la pierre?

Si vous voulez juger l'œuvre du nova
teur, examinez les productions de la pé-
riode précédente, les mesquines litho-
graphies qui faisaient rire les badauds à
la devanture de Martinet, vers la (in de
la Bestauration, et comparez ces pau-
vretés, ces misérables petites choses,
sans fantaisie et sans couleur, aux pre-
mières planches des Fourberies, le vrai
début de Gavarni. Du coup, la facture
s'élargit. Pour la première fois apparaît
ce coup de crayon, ce trait ailé qui, dans
les improvisations,reste toujours ferme et
précis et, dans les œuvres plus poussées

— études de types et portraits, — con-
serve encore son imprévu, son adorable
liberté. Pour la première fois aussi la
pierre lithographique connaît cette va-
riété de couleurs, cette richesse des noirs
et des gris, qui dépasse en intensité tout
ce que le burin, la pointe et la roulette
avaient obtenu jusqu'alors, sur le bois,
le cuivre ou l'acier. Et c'est un art nou-
veau, un art illuminé : douceur infinie
des demi-teintes, ombres aux miroite-
ments de velours, formes largement en-
veloppées dans la magie du clair-obscur,
voilà les secrets de Gavarni et c'est avec
une telle maîtrise qu'il joue des nuances
et des valeurs qu'on peut à bon droit le
classer — lui, simple manieur de crayon,

— parmi nos plus grands coloristes.

Jean Bobiquet.
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