Tout de suite, Dodo prend la barre, car il se targue d'une
casquette de yachtman, et nous voilà partis avec une aimable
brise d'arrière.
— Nous irons, s'il se peu;, jusque par le travers du Gris-Nez,
décide! Dodo. En revenant, nous ferons quelques bords en piquant
face ù la côte angliche. On va bien s'amuser.
Moi, y*, veux bien. La bonne amie de Dodo ne demande pas
r.;iev.x. Pourvu que ses mains triomphent, le reste, pour l'ins-
lùnt, paraît lui être bien égal; et, même, ses yeux ont commencé
à se dévernir...
Mais le patron Christophe Lenel ne seplaitpas dansle silence,
à l'habitude, et le voilà qui se met à jaboter.
Dans le morceau de cuir tanné de son visage, deux étroits
hublots bleuâtres filtrent la malice naïve de son regard. Un ruis-
selet de jus de chique s'est creusé un lit de la commissure gauche
de sa bouche jusqu'au bas du menton, et serpente aussi les
touffes courtes de la brosse raide d'une barbe hebdomadaire....
— Au lieu de dire des bêtises, gronde soudain Lechat, patron,
narrez-nous l'histoire du commandant Coincoin.
— Ha! c'est eun'fameuse histoire, os parlez, mon sieu ! s'écrie
Christophe Lenel, en braquant sur moi ses hublots bleuâtres.
Os allez n'n'in zuzer! mais, avant part ed'tout, au respect qué
/.'vous dois, laissez-m'artirer m'eique pour pont qu'zé ITavale in
vous ['racontant.
Ce disant, le patron a retiré sa chique, qui fume, à présent,
sur le banc, dans le soleil, tel un petit crottin de pouliche frais
pondu.
— A c't heure, reprend-il, os sommes parés. Allons-y. Vlà
d'quo qu'i'r'tourne.
(Et je lui laisse ici la parole.)
C'étoit dins l'temps d'çall'falie guerre. Ces falis- coçons d'Prus-
siens, i's m'avoittent prins et bloqué au prison.
Mi, ça s'dit tout seul, ez n'avois qu'eunc idée, c'étoit d'iarguer
dé d'ià au pus vite. Ez vous dirai pont c'mint qu'z'ai pu faire;
mais l'vrai, c'est qu'aveuc in camarate, par eun'nuit, os nous
——— avons insauvés du prison tous les deusses.
Os étiones tout près du Belzique. C'est c'qui fai-t qu'os n'avons
modèles u autistes yonl e(0 longs à nous sintir in garaze. Seul'mint, v'ià, deuxzours
- Jo vous assure que je .suis très bien iaitc... d ailleurs, ma sœur a ou }.g avoittent passe tandis c'temps-là; et v'ià qu'os avions eun'faim
un premier prix de beauté! Dessin de Couturier. dMous ces uiabes; et pis, pour bin faire, mi, ez n'avois pour
autant dire pus d'çaussures dins mes pieds !
HISTOIRE DU COMMANDANT COINCOIN Par bonher v'ià qu'au môtnint de rbreune, çz ravise eune
liste masonne dins ces ea.mps d ou qu cest qui n y avoit pont m
- cat ni in tien à c'mômint là'.
Os buquons àçall'porle, et v'Ià eun'fame. qu'aH'nous ouVe.
Ce matin, sur la plage, j'ai rencontré Dodo Lechat. —Intrez, m's étants, qu'all'dit comme ça. Quo qu'c'est qu'os
C'est un homme de qui jo ne puis dire qu'il est de mes amis, voulez chi?
voire de mes camarades, bien qu'après tout, je pense qu'il nié- — Os vorrionsbin maquer. des fois, si c'étoit possibe, môman,
rite de figurer parmi ceux-ci comme au nombre de ceux-là. Il qu'os li disons.
n'est.pas non plus un de mes confrères; et co-n'est pas,d'ailleurs, — Maquer, mes pauvers fins? Qu'ail' répond môman. Quo qu'
pour quoi je l'en estimerais moins. Est-il donc de mes cousins? c'est qu'os voulez qué z' vous dône? Ez' n'ai mi rin !
Non, pas même! Hier encore, il s'estampait
au plan le plus fuligineux de mes connais-
sances de hasard... ,"r~~''""~Y
Je l'avais vu pour la première fois, la nuit,
sur le pont du bateau do Calais-Douvres, à
l'époqne — las ! déjà si périmée! — où j'ac-
coutumais d'aller tous les mois, à Hollo-
way, porter des oranges, de l'eau de Cologne
et du tabac au délicieux et, Dieu merci ! main-
tenant reprospère Arton. Depuis, de six mois <'
en six mois à peu prés, je m'étais croisé avec \
Dodo Lechat dans quelqu'une,des chochoteuse.s
voies du quartier do l'Europe. Nous nous sa- _ .
luions d'un marchoir à l'autre, et nous tenions g A
réciproquement pour satisfaits de ces béni- _J~*
gnes marques d'entente. J'ignorais son nom,
sa naissance, et n'avais aucun tuyau sur l'im-
portance do son utilité sociale. t
Mais, ce matin, il m'a remis sa carte ; et ; C
j'ai connu qu'il s'étiiquète Adolphe Lechat. I ^^v"'~^v >^>v~ &
C'est sa bonne amie qui l'appelé Dodo.--------=:-- -^==J*' ^^^/V, y Y i f y \
Il me l'a présentée, sa bonne amie. j'y /' ,J î /ft/' \
Je l'ai trouvée gentille avec ses yeux nacrés ^-^IfN / Jw /■■•......... i.....~\ S V—
constamment d'un vernis do désir charnel. ly / /l / .-^ s if
(Heureux Dodo !... mais ne fripons pas, même XX / J I / ''Jr I S\
avec une Heur, les rideaux de cette alcôve !) V; / \ f s^' ^ \
— Venez donc faire avec nous une pronie- / / il /■' fi?~~-r>\
nade en mer, me dit Dodo. / \r\ i l \
J'ai accepté. ( V^~r4 / v_ y
Presque au ras du quai, au fond même de k. ^*"**^^T lt- —
la gorge du chenal, le vieux batelet à voiles vS>~. """ » imV\' aj
du patron Christophe Lenel se dandine sur ^^^JUm""-----\-\—;—
ses gros flancs vermoulus. Nous y descen-
dons, la désirante bonne amie de Dodo, Dodo Nom. dc D... | us ont construit ça sur l'emplacement du chalet de nécessité,
et moi. Dessin de Jean Villemoi.
casquette de yachtman, et nous voilà partis avec une aimable
brise d'arrière.
— Nous irons, s'il se peu;, jusque par le travers du Gris-Nez,
décide! Dodo. En revenant, nous ferons quelques bords en piquant
face ù la côte angliche. On va bien s'amuser.
Moi, y*, veux bien. La bonne amie de Dodo ne demande pas
r.;iev.x. Pourvu que ses mains triomphent, le reste, pour l'ins-
lùnt, paraît lui être bien égal; et, même, ses yeux ont commencé
à se dévernir...
Mais le patron Christophe Lenel ne seplaitpas dansle silence,
à l'habitude, et le voilà qui se met à jaboter.
Dans le morceau de cuir tanné de son visage, deux étroits
hublots bleuâtres filtrent la malice naïve de son regard. Un ruis-
selet de jus de chique s'est creusé un lit de la commissure gauche
de sa bouche jusqu'au bas du menton, et serpente aussi les
touffes courtes de la brosse raide d'une barbe hebdomadaire....
— Au lieu de dire des bêtises, gronde soudain Lechat, patron,
narrez-nous l'histoire du commandant Coincoin.
— Ha! c'est eun'fameuse histoire, os parlez, mon sieu ! s'écrie
Christophe Lenel, en braquant sur moi ses hublots bleuâtres.
Os allez n'n'in zuzer! mais, avant part ed'tout, au respect qué
/.'vous dois, laissez-m'artirer m'eique pour pont qu'zé ITavale in
vous ['racontant.
Ce disant, le patron a retiré sa chique, qui fume, à présent,
sur le banc, dans le soleil, tel un petit crottin de pouliche frais
pondu.
— A c't heure, reprend-il, os sommes parés. Allons-y. Vlà
d'quo qu'i'r'tourne.
(Et je lui laisse ici la parole.)
C'étoit dins l'temps d'çall'falie guerre. Ces falis- coçons d'Prus-
siens, i's m'avoittent prins et bloqué au prison.
Mi, ça s'dit tout seul, ez n'avois qu'eunc idée, c'étoit d'iarguer
dé d'ià au pus vite. Ez vous dirai pont c'mint qu'z'ai pu faire;
mais l'vrai, c'est qu'aveuc in camarate, par eun'nuit, os nous
——— avons insauvés du prison tous les deusses.
Os étiones tout près du Belzique. C'est c'qui fai-t qu'os n'avons
modèles u autistes yonl e(0 longs à nous sintir in garaze. Seul'mint, v'ià, deuxzours
- Jo vous assure que je .suis très bien iaitc... d ailleurs, ma sœur a ou }.g avoittent passe tandis c'temps-là; et v'ià qu'os avions eun'faim
un premier prix de beauté! Dessin de Couturier. dMous ces uiabes; et pis, pour bin faire, mi, ez n'avois pour
autant dire pus d'çaussures dins mes pieds !
HISTOIRE DU COMMANDANT COINCOIN Par bonher v'ià qu'au môtnint de rbreune, çz ravise eune
liste masonne dins ces ea.mps d ou qu cest qui n y avoit pont m
- cat ni in tien à c'mômint là'.
Os buquons àçall'porle, et v'Ià eun'fame. qu'aH'nous ouVe.
Ce matin, sur la plage, j'ai rencontré Dodo Lechat. —Intrez, m's étants, qu'all'dit comme ça. Quo qu'c'est qu'os
C'est un homme de qui jo ne puis dire qu'il est de mes amis, voulez chi?
voire de mes camarades, bien qu'après tout, je pense qu'il nié- — Os vorrionsbin maquer. des fois, si c'étoit possibe, môman,
rite de figurer parmi ceux-ci comme au nombre de ceux-là. Il qu'os li disons.
n'est.pas non plus un de mes confrères; et co-n'est pas,d'ailleurs, — Maquer, mes pauvers fins? Qu'ail' répond môman. Quo qu'
pour quoi je l'en estimerais moins. Est-il donc de mes cousins? c'est qu'os voulez qué z' vous dône? Ez' n'ai mi rin !
Non, pas même! Hier encore, il s'estampait
au plan le plus fuligineux de mes connais-
sances de hasard... ,"r~~''""~Y
Je l'avais vu pour la première fois, la nuit,
sur le pont du bateau do Calais-Douvres, à
l'époqne — las ! déjà si périmée! — où j'ac-
coutumais d'aller tous les mois, à Hollo-
way, porter des oranges, de l'eau de Cologne
et du tabac au délicieux et, Dieu merci ! main-
tenant reprospère Arton. Depuis, de six mois <'
en six mois à peu prés, je m'étais croisé avec \
Dodo Lechat dans quelqu'une,des chochoteuse.s
voies du quartier do l'Europe. Nous nous sa- _ .
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réciproquement pour satisfaits de ces béni- _J~*
gnes marques d'entente. J'ignorais son nom,
sa naissance, et n'avais aucun tuyau sur l'im-
portance do son utilité sociale. t
Mais, ce matin, il m'a remis sa carte ; et ; C
j'ai connu qu'il s'étiiquète Adolphe Lechat. I ^^v"'~^v >^>v~ &
C'est sa bonne amie qui l'appelé Dodo.--------=:-- -^==J*' ^^^/V, y Y i f y \
Il me l'a présentée, sa bonne amie. j'y /' ,J î /ft/' \
Je l'ai trouvée gentille avec ses yeux nacrés ^-^IfN / Jw /■■•......... i.....~\ S V—
constamment d'un vernis do désir charnel. ly / /l / .-^ s if
(Heureux Dodo !... mais ne fripons pas, même XX / J I / ''Jr I S\
avec une Heur, les rideaux de cette alcôve !) V; / \ f s^' ^ \
— Venez donc faire avec nous une pronie- / / il /■' fi?~~-r>\
nade en mer, me dit Dodo. / \r\ i l \
J'ai accepté. ( V^~r4 / v_ y
Presque au ras du quai, au fond même de k. ^*"**^^T lt- —
la gorge du chenal, le vieux batelet à voiles vS>~. """ » imV\' aj
du patron Christophe Lenel se dandine sur ^^^JUm""-----\-\—;—
ses gros flancs vermoulus. Nous y descen-
dons, la désirante bonne amie de Dodo, Dodo Nom. dc D... | us ont construit ça sur l'emplacement du chalet de nécessité,
et moi. Dessin de Jean Villemoi.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1903
Entstehungsdatum (normiert)
1898 - 1908
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 9.1902-1903, No. 430 (31 Janvier 1903), S. ix
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg