AU JOUR D’AUJOURD’HUI
LA « MOIIGUE » DE THÉRÈSE
«... Mm* Humbert a pénétré
avec une certaine morgue
dans le cabinet du juge d’ins-
truction... »
(Les Journaux.)
Le cabinet de M. Leydet. Décor habituel
vert et sévère d’un cabinet de juge d'ins-
truction bien connu, au reste, de qui se
pique de quelque parisianisme. Offerts par
d'anciens clients, quelques bibelots de va-
leur — combien discrets — égaient les car-
tonniers : les bienfaits de VInstruction.
Un garde de Paris avec la grande tenue
des soirées officielles, pousse du bout de
son gant blanc le battant de cuir vert, in-
troduit Mme Humbert et sort discrètement.
M. Leydet arbore son plus gracieux sou-
rire :
m. leydet.— Veuillez vous asseoir, chère
madame : ce fauteuil au coin de la chemi-
née... Ne suis-je point importun en vous
demandant des nouvelles de votre précieuse
santé?
(Mme Thérèse s'empare sans élégance du
siégé indiqué.)
Mme Thérèse. — A vrai dire, cher mon-
sieur, j’aurais mauvaise grâce à me plaindre
et ma santé est moins ébranlée que je ne
craignais par les ennuis que nous avons
supportés et le manque de soins. Evidem-
ment, rien ne vaut son chez-soi : vous
savez, quand on a été habituée à un certain
confort I... Pourtant je n’ai plus froid aux
pieds, et c’est une chose que je considère
comme essentielle.
m. leydet. — Vous me voyez, chère ma-
dame, ravi de cette bonne nouvelle. (Il étend
les jambes, bonhomme.) Et, qu’est-ce que
vous allez nous raconter de neuf, aujour-
d’hui ?
Mme Thérèse.—Mon Dieul à moins de
vous redire pour la vingtième fois la liste
des 326 hommes politiques et des 173 jour-
nalistes avec qui nous avons fait des
« affaires » pendant quinze ans...
m. leydet, vivement. — Inutile! inutile!...
Dans ces causeries dont la durée est, à
mon gré, hélas! trop limitée, nous n’avons
pas le temps de nous répéter. (Avec éner-
gie.) Il nous faut aller toujours de l’avant!
N’auriez-vous pas plutôt quelque révéla-
tion curieuse à me faire sur... (Il cherche
avec difficulté.)... sur la conquête de l’Al-
gérie en 1830, par exemple?
Mme Thérèse, abondante. — La conquête
de l’Algérie en 1830? Parfaitement. Elle fut
entreprise sur l’initiative d’un gros finan-
cier de l’époque dont la fortune consistait
en plantations de cacaouëts qu’il avait là-
oas. De considérables pots-de-vin décidèrent
les gens influents, dans la descendance de
qui se trouvent cinq députés actuels et deux
anciens ministres...
m. leydet, inquiet. — Je songe subitement
au peu de rapports qui existent entre la
conquête de l’Algérie et l’histoire du coffre-
fort. Parlez-moi plutôt... (Il cherche avec
une recrudescence de difficulté.)... de
cette vieille histoire d’Esaü qui vendit son
droit d’aînesse à son frère Jacob.
Mme thérèse, inlassable. — Encore une
affaire d’héritage. Jacob prétendit avoir
opéré le règlement par un plat de lentilles,
et il obtint gain de cause, contre toute
équité, en achetant la conscience du prési-
dent du tribunal, lequel s’appelait Abraham
et n’était autre que l’ancêtre du juge Abraham
de l’affaire Vauc...
(Le reste de la phrase se perd dans une
violente quinte de toux qui secoue M. te
juge d’instruction.)
Mme thérèse. — D’ailleurs, je suis en me-
sure de vous prouver la scrupuleuse exac-
titude des faits que je viens d’avancer : les
pièces à l’appui, copiées chacune six fois,
sont déposées dans des banques de tous les
pays du monde. On peut vous communi-
quer...
m. leydet, terrifié, chantonnant d'un air
extrêmement joyeux.— Tralalala!... trala-
lalère!... Ne trouvez-vous pas, chère ma-
dame, qu’il fait ici, ce soir, une chaleur
étouffante? (Il consulte sa montre avec
anxiété.) Votre interrogatoire doit durer
cinq minutes encore; de quoi allons-nous
bien pouvoir causer? (La tête de ce pauvre
M. Leydet se creuse à vue d’œil : dernier
et suprême effort! Soudain une idée l'illu-
mine.) A propos... qu’est-ce que vous pen-
sez du cake-walk?
m™ thérèse, enfin clouée. — Heu... nous
sommes, cher monsieur, si peu sortis ces
temps derniers...
(L'interrogatoire se termine. Le juge
Leydet éponge la sueur qui découle de son
front. Thérèse se lève, enfin, et prend
congé. — Poignée de mains. — Le magis-
trat reste seul dans son cabinet. Survient
le reporter d'un grand journal du matin.)
Dessins et texte de Jean Villehot.
LA « MOIIGUE » DE THÉRÈSE
«... Mm* Humbert a pénétré
avec une certaine morgue
dans le cabinet du juge d’ins-
truction... »
(Les Journaux.)
Le cabinet de M. Leydet. Décor habituel
vert et sévère d’un cabinet de juge d'ins-
truction bien connu, au reste, de qui se
pique de quelque parisianisme. Offerts par
d'anciens clients, quelques bibelots de va-
leur — combien discrets — égaient les car-
tonniers : les bienfaits de VInstruction.
Un garde de Paris avec la grande tenue
des soirées officielles, pousse du bout de
son gant blanc le battant de cuir vert, in-
troduit Mme Humbert et sort discrètement.
M. Leydet arbore son plus gracieux sou-
rire :
m. leydet.— Veuillez vous asseoir, chère
madame : ce fauteuil au coin de la chemi-
née... Ne suis-je point importun en vous
demandant des nouvelles de votre précieuse
santé?
(Mme Thérèse s'empare sans élégance du
siégé indiqué.)
Mme Thérèse. — A vrai dire, cher mon-
sieur, j’aurais mauvaise grâce à me plaindre
et ma santé est moins ébranlée que je ne
craignais par les ennuis que nous avons
supportés et le manque de soins. Evidem-
ment, rien ne vaut son chez-soi : vous
savez, quand on a été habituée à un certain
confort I... Pourtant je n’ai plus froid aux
pieds, et c’est une chose que je considère
comme essentielle.
m. leydet. — Vous me voyez, chère ma-
dame, ravi de cette bonne nouvelle. (Il étend
les jambes, bonhomme.) Et, qu’est-ce que
vous allez nous raconter de neuf, aujour-
d’hui ?
Mme Thérèse.—Mon Dieul à moins de
vous redire pour la vingtième fois la liste
des 326 hommes politiques et des 173 jour-
nalistes avec qui nous avons fait des
« affaires » pendant quinze ans...
m. leydet, vivement. — Inutile! inutile!...
Dans ces causeries dont la durée est, à
mon gré, hélas! trop limitée, nous n’avons
pas le temps de nous répéter. (Avec éner-
gie.) Il nous faut aller toujours de l’avant!
N’auriez-vous pas plutôt quelque révéla-
tion curieuse à me faire sur... (Il cherche
avec difficulté.)... sur la conquête de l’Al-
gérie en 1830, par exemple?
Mme Thérèse, abondante. — La conquête
de l’Algérie en 1830? Parfaitement. Elle fut
entreprise sur l’initiative d’un gros finan-
cier de l’époque dont la fortune consistait
en plantations de cacaouëts qu’il avait là-
oas. De considérables pots-de-vin décidèrent
les gens influents, dans la descendance de
qui se trouvent cinq députés actuels et deux
anciens ministres...
m. leydet, inquiet. — Je songe subitement
au peu de rapports qui existent entre la
conquête de l’Algérie et l’histoire du coffre-
fort. Parlez-moi plutôt... (Il cherche avec
une recrudescence de difficulté.)... de
cette vieille histoire d’Esaü qui vendit son
droit d’aînesse à son frère Jacob.
Mme thérèse, inlassable. — Encore une
affaire d’héritage. Jacob prétendit avoir
opéré le règlement par un plat de lentilles,
et il obtint gain de cause, contre toute
équité, en achetant la conscience du prési-
dent du tribunal, lequel s’appelait Abraham
et n’était autre que l’ancêtre du juge Abraham
de l’affaire Vauc...
(Le reste de la phrase se perd dans une
violente quinte de toux qui secoue M. te
juge d’instruction.)
Mme thérèse. — D’ailleurs, je suis en me-
sure de vous prouver la scrupuleuse exac-
titude des faits que je viens d’avancer : les
pièces à l’appui, copiées chacune six fois,
sont déposées dans des banques de tous les
pays du monde. On peut vous communi-
quer...
m. leydet, terrifié, chantonnant d'un air
extrêmement joyeux.— Tralalala!... trala-
lalère!... Ne trouvez-vous pas, chère ma-
dame, qu’il fait ici, ce soir, une chaleur
étouffante? (Il consulte sa montre avec
anxiété.) Votre interrogatoire doit durer
cinq minutes encore; de quoi allons-nous
bien pouvoir causer? (La tête de ce pauvre
M. Leydet se creuse à vue d’œil : dernier
et suprême effort! Soudain une idée l'illu-
mine.) A propos... qu’est-ce que vous pen-
sez du cake-walk?
m™ thérèse, enfin clouée. — Heu... nous
sommes, cher monsieur, si peu sortis ces
temps derniers...
(L'interrogatoire se termine. Le juge
Leydet éponge la sueur qui découle de son
front. Thérèse se lève, enfin, et prend
congé. — Poignée de mains. — Le magis-
trat reste seul dans son cabinet. Survient
le reporter d'un grand journal du matin.)
Dessins et texte de Jean Villehot.